[Livre] Entrer dans la danse, l’envers du Ballet de l’Opéra de Paris de Joël Laillier
Joël Laillier n’appartient pas au monde de la danse. Ce sociologue et maître de conférence à l’université de Toulouse a découvert le Ballet de l’Opéra de Paris à travers un job d’étudiant, celui d’ouvreur au Palais Garnier. C’est par ce biais qu’il a eu envie de faire un travail de recherche sociologique sur cette compagnie et son école de danse, en assumant sa position de quelqu’un d’extérieur à la troupe. Joël Laillier s’est penché plus particulièrement sur la vocation de danseur et danseuse, comme elle naît et comment l’École de Danse comme la compagnie la maintiennent, en s’appuyant sur le témoignage de danseurs et danseuses, d’anciens artistes de la troupe, d’élèves de l’École de Danse (actuels ou anciens) et de parents. Le résultat est passionnant à plus d’un titre et a donné l’ouvrage Entrer dans la danse, l’envers du Ballet de l’Opéra de Paris. Même si la démarche peut parfois être critiquable. En tant que sociologue, Joël Laillier exclut les notions de talent et de passion, si peu évoquées dans le livre. Son travail de recherche n’en reste pas moins éclairant sur certains fonctionnements du Ballet de l’Opéra de Paris.
La première partie d’Entrer dans la danse, l’envers du Ballet de l’Opéra de Paris se concentre sur la naissance de la vocation de danseur et danseuses chez les futurs Petits rats. Un point particulièrement intéressant, car concernant des enfants très jeunes, qui n’ont souvent pas vraiment conscience de ce qu’est le métier de danseur et danseuse. Cela vient en général avec le.la premier.ère professeur.e de danse, qui explique aux parents que leur enfant a « des capacités physiques« . Joël Laillier met aussi en avant l’importance d’appartenir à un milieu social éduqué à la culture et aisé financièrement. Ce point laisse voire cependant l’ignorance du chercheur : si aujourd’hui les classes supérieures sont effectivement sur-représentées à Nanterre, ce n’était pas forcément le cas il y a 20 ans, encore moins historiquement. Cette bascule n’est pas expliquée.
L’auteur se penche ensuite sur la façon dont l’École de Danse entretient la vocation de l’enfant, et surtout la transforme en vocation de danseur.se du Ballet de l’Opéra de Paris, et même de danseur.se Étoile à l’Opéra de Paris. Les professeur.se.s, la directrice, mais aussi le collectif jouent un rôle. Un point passionnant, car au coeur de la pédagogie de l’École de Nanterre, qui forme avant tout des artistes pour sa compagnie, avec sa technique bien spécifique. Plus que par les témoignage des enfants (qui souvent ont quitté l’École de Danse en cours de formation, donc proposent un regard assez biaisé), cette partie est intéressante par le témoignage des parents, qui parfois gardent un grand recul par rapport à ce qui se passe à l’École, même s’ils sont, dans tout ce qui concerne la danse, laissés de côté. L’on peut regretter pourtant que l’auteur ne se penche pas sur la passion : un élève reste parce que le collectif et l’École le poussent à rester, mais aussi parce qu’il.elle a cette passion en lui, ce certain plaisir malgré l’effort. L’auteur parle beaucoup de l’immense difficulté de l’apprentissage, qui est réel, mais oublie aussi le certain plaisir artistique à danser, et pas seulement à vaincre une difficulté technique.
Sur le fonctionnement propre de l’École, en-dehors de toute idée de création de vocation, les témoignages des parents sont là encore plus éclairants que ceux d’anciens élèves. Toute la partie concernant l’entourage médical est – il faut bien le dire – assez édifiante. L’auteur met en avant le fait que le discours de l’École est clair sur ce point : la santé des élèves est primordiale. Mais dans les faits, l’encadrement médical semble faible, occasionnant beaucoup de méfiance de la part des élèves. Joël Laillier met aussi en avant que les élèves sont seuls face à leurs problèmes physiques, que c’est souvent aux familles de trouver des solutions à travers des suivis chez un kinésithérapeute ou un ostéopathe, relevant là encore l’importance d’appartenir à un milieu social élevé. Une certaine ambivalence semble régner chez les professeur.se.s sur le sujet. Ils demandent aux élèves de s’arrêter s’ils ont mal, mais font tout de même comprendre – de façon inconsciente ou non – qu’il ne faut pas s’arrêter. L’auteur rate là un point intéressant, dû à sa certaine ignorance du milieu. Le souci de la santé des élèves est venu avec Élisabeth Platel, qui a effectué un véritable changement de mentalité à son arrivée à la direction de l’École. Mais les professeur.se.s n’ont pas appris la danse comme ça, et cela peut parfois se ressentir.
La majeure partie du livre se concentre sur l’École de Danse, mais toute la dernière partie est consacrée à la compagnie. L’intérêt de la recherche est ici moindre concernant le maintient de la vocation. L’auteur sous-entend que, pour réussir, il faut les bons réseaux, les bonnes rencontres. Ce qui n’est pas faux, mais il occulte complètement le talent, la capacité de travail, le fait d’être plus doué.e qu’un.e autre. À le lire, une nomination d’Étoile ne serait dû qu’à sa capacité à se faire un réseaux. C’est là la limite de la sociologie, qui ne peut expliquer scientifiquement le charisme. Les témoignages viennent là en grande partie de danseurs et danseuses qui n’ont pas forcément bien vécu leur temps à l’Opéra. Il y a autant de façon de vivre sa vocation que de danseurs et danseuses, il faudrait donc avoir le témoignage de tous les artistes pour avoir une vision à peu près juste du sujet. Concernant la santé, les témoignages d’artistes en fin de carrière sont bien sûr aberrants et font parfois froids dans le dos. Mais – ce que ne sait pas forcément l’auteur – les générations sont en train de changer, les mentalités aussi. Les témoignages ont d’ailleurs été recueillis entre 2006 et 2010, avant le début de la prise de conscience de l’importance de la médecine à l’Opéra de Paris. Les jeunes danseurs et danseuses de la troupe auraient sûrement un discours tout autre.
Un point intéressant cependant dans cette partie consiste au maintient de la vocation chez des artistes qui ne deviennent pas Étoile, qui restent toute leur carrière dans le corps de ballet. C’est là qu’est abordé le regard différent entre la danse classique et contemporaine, qui peut expliquer beaucoup de choses. La plupart des commentaires des artistes sont durs envers le répertoire classique quand il s’agit des parties du corps de ballet. Tous et toutes voient ce travail comme être « du papier-peint » (sic)… Tiens, tiens, voilà qui nous rappelle un certain coup de gueule de Benjamin Millepied dans Relève, sur le fait que l’apprentissage du corps de ballet était limité à l’Opéra de Paris à celui de rester en ligne sans bouger. La plupart des artistes expliquent ainsi leur épanouissement dans la danse contemporaine, y trouvant plus de facilité à s’y exprimer. Joël Laillier ne connaît pas assez le monde de danse pour aller plus loin, mais cela laisse encore une fois réfléchir sur la façon dont sont transmis – avec passion et intelligence ou non – le répertoire classique.
Entrer dans la danse, l’envers du Ballet de l’Opéra de Paris de Joël Laillier, sortie aux CNRS éditions en juin 2017.
Elisabeth
Je suis assez partagée sur ce livre. J’avais lu l’article , vieux de 5/6 ans du même auteur sur ce sujet, article qu’il reprend largement dans le livre.
Ce que est certain, c’est que le milieu social des danseurs a changé avec l’installation de l’école à Nanterre ( rappelez-vous, l’internat à été obligatoire au début. ..mais seul les cours de danse et l’enseignement général sont gratuits. Et gratuit, jusqu’à un certain point. Parce qu’une paire de pointes par mois en 1ère division….si ça fait dix jours on est chanceuse.)
Mais oui le talent, le don c’est bien mais sans les relations on ne va pas loin. Ça a toujours existé et puis c’est humain. Pour être mis en lumière, il faut interesser. Logiquement. Mais interesser les bonnes personnes.
Et puis le côté papier peint du corps de ballet dans le peu de grands classiques à l’affiche …est réel à l’ONP surtout depuis l’ère Brigitte.
Et ça ne risque pas de changer tout de suite hélas.
Léa
J’envisageais de le lire, mais votre article me refroidit… J’ai également lu les deux articles que J. Laillier a écrit et qui sont inclus dans ce livre, et je les avais trouvé intéressants.
Mais passer à côté de la passion et du talent dans une analyse sociologique, c’est une faute. Certes un sociologue n’a pas à juger de cela mais il a à le prendre en compte comme un fait objectif du point de vue des acteurs : réelle ou imaginaire, la passion est un moteur exprimé (cela voudrait dire qu’il a volontairement exclu cette partie des réponses qu’il a eues- forcément- lors de ses entretiens), et le don ou le travail, le fait d’être meilleur, sont aussi des arguments qu’il a forcément entendus dans ses échanges sur la promotion de l’un ou de l’autre. On ne lui demande pas de juger de la réalité de ce don ou de ce travail mais enfin il n’a pas à l’occulter comme motif des promotions et nominations si on lui en a parlé, et on lui en a forcément parlé.
Du coup je m’interroge sérieusement sur la qualité de cet ouvrage, même sur le plan sociologique….
Yugo
Avant de critiquer le bouquin et le travail du sociologue comme vous le faites, lisez-le.