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Shostakovich Trilogy – Fabuleux festival Alexeï Ratmansky à l’American Ballet Theatre

Créée en 2013 et co-produite par le San Francisco Ballet, Shostakovich Trilogy du chorégraphe russo-américain Alexeï Ratmansky fait son retour dans la programmation de la saison de printemps de l’American Ballet Theatre. Chorégraphiée sur la musique de deux symphonies et un concerto du compositeur soviétique, cette œuvre magistrale semble faire écho au ballet de George Balanchine Diamants. Tout comme le chef-d’œuvre du maître américain d’origine russe, Shostakovich Trilogy décline en trois pièces trois atmosphères différentes mais appartenant au même univers, en l’occurrence une évocation musicale et dansée de la vie en Union Soviétique à l’époque du compositeur. Rien n’est vraiment narratif dans ce ballet : pas d’argument, pas d’histoire mais comme un fil rouge incarné par le décor de George Tsypin qui signe les trois toiles de fond de scène de la trilogie. Ce dispositif contribue à construire l’unité de ce ballet conçu pour être représenté dans sa totalité, même si aussi bien l’ABT que le San Francisco Ballet, en montrent des extraits dans leurs soirées mixtes.

Piano Concerto#1-Ensemble.

Piano Concerto#1 – Ensemble.

Il faut s’arrêter un instant sur la folie Alexï Ratmansky qui s’est emparée de New York cette saison. Le New York City Ballet avait ouvert le bal en remettant au répertoire deux pièces majeures : Concerto DSCH, chorégraphié également sur la musique de Dimitri Chostakovitch et Tableaux d’une exposition. Le NYCB proposera d’ailleurs la saison prochaine une soirée All Ratmansky et le maître de ballet en chef Peter Martins s’enorgueillit dans la brochure d’avoir « joué un rôle dans son ascension« . Ce n’est pas faux, mais cela ne dit pas toute l’histoire. Tout d’abord parce qu’Alexeï Ratmansky avait déjà dirigé l’une des plus grandes compagnies du monde, le Bolchoï, avant d’être dansé par le NYCB. Mais aussi parce que c’est Kevin McKenzie, le directeur de l’ABT qui a eu l’audace et le coup de génie de nommer Alexeï Ratmansky artiste en résidence.

Le résultat éclate cette saison sur la scène du Metropolitan Opera avec ce festival Ratmansky qui occupe pas moins de quatre soirées : la reprise de la sublime reconstruction de La Belle au Bois Dormant (qui sera au Palais Garnier à Paris en septembre où l’ABT est invité), l’entrée au répertoire de The Golden Cockerel (Le Coq d’Or) qu’Alexeï Ratmansky avait créé pour le Ballet Royal du Danemark, un programme mixte avec une création mondiale (Sérénade d’après le Symposium de Platon sur la musique de Leonard Bernstein) et les reprises de Seven Sonatas et de l’Oiseau de Feu.

Herman Cornejo-Symhony#9.

Herman Cornejo – Symhony#9

La Shostakovich Trilogy est le 4ème opus de ce festival et aussi le plus intrigant. Alexeï Ratmansky a depuis l’origine de sa carrière de chorégraphe établit un lien intime et particulier avec le compositeur soviétique, remettant sur scène les ballets narratifs oubliés tels que Le Clair Ruisseau ou Bolt, utilisant aussi ses partitions pour des pièces plus abstraites. La Shostakovich Trilogy appartient à un entre-deux : il n’y a pas d’argument qui accompagne ces rois pièces mais elles résonnent comme une évocation fondée sur des réminiscences.

La soirée s’ouvre sur Symphony#9 qui avait été présentée par le San Francisco Ballet dans le cadre des Étes de la Danse en 2014. Le décor de toile peinte figurant des athlètes et des familles arborant le drapeau rouge fait clairement référence à l’Union Soviétique de l’après-guerre au moment où une population, traumatisée par la seconde Guerre Mondiale, tente de retrouver une gaieté perdue. Il y a dans la musique et dans la chorégraphie quelque chose de joyeux, une forme d’insouciance incarnée par le couple interprété par Devon Teuscher et Marcelo Gomes. « Ils sont des outsiders qui se protègent l’un l’autre« , avait commenté Alexeï Ratmansky lors de la création. Cela se perçoit-il dans la chorégraphie ? Pas sur mais qu’importe : les différentes séquences de leur pas de deux sont d’une parfaite expressivité, où l’on perçoit l’attirance qu’ils ont l’un pour l’autre. Marcelo Gomes avait créé le rôle et il y est impérial, partenaire exemplaire et danseur majuscule.

Chamber Symhony-Ensemble.

Chamber Symhony – Ensemble.

Mais ce ballet appartient sans conteste à Herman Cornejo pour qui Alexeï Ratmansky a écrit un rôle solo en indiquant au danseur que son personnage protégeait le couple central. De quoi ? De qui ? La chorégraphie ne le dit pas mais la performance d’Herman Cornejo est époustouflante. Des sauts d’une amplitude maximum, des tours impeccablement réalisés avec des réceptions parfaites et plus encore un charisme qui emporte instantanément l’adhésion.

Chamber Symphony qui occupe la partie centrale de la trilogie est aussi la pièce la plus déconcertante. Sans doute parce qu’elle induit plus directement une narration conduite par James Whiteside qui reprend le rôle créé pour David Hallberg, toujours en congé de la compagnie. Costume noir, torse nu, il semble personnifier le compositeur, ses amours, ses deuils et ses peurs si l’on en croit la brève note d’intention du programme. Le décor de George Tsypin est à l’image de cet univers tourmenté que veut décrire Alexeï Ratmansky. James Whiteside dansait ce soir-là avec trois partenaires, Sara Lane, Isabella Boylston et Hee Seo, dans un quatuor ou des pas de deux avortés qui figurent les difficultés existentielles du héros. C’est sombre même si Alexeï Ratmansky instille comme à son habitude des notes d’humour. Le final où James Whiteside quitte la scène le dos courbé est poignant.

James Whiteside-Chamber Symphony

James Whiteside – Chamber Symphony

Hélas ! L’ampleur du Metropolitan Opera se prête mal à des œuvres chambristes. En musicien hors pair, Alexeï Ratmansky a préféré construire de petits ensembles plutôt que de mettre sur scène tout le corps de ballet. Ce travail ciselé au plus près des danseur-se-s se perd sur la scène immense du Met.

C’est tout aussi vrai de la dernière partie de la trilogie chorégraphiée sur le Premier Concerto pour Piano, Trompettes et Cordes, même si les deux couples stars du ballet parviennent à faire oublier cet inconvénient. Avec son décor évoquant des objets volants dans l’espace et dessinant une fusée, Piano Concerto#1  est clairement une référence à l’aventure spatiale de l’Union Soviétique. Qui mieux que le sémillant Daniil Simkin pouvait figurer l’envol d’un Spoutnik ? Avec sa partenaire Maria Kochetkova, qui avait dansé cette pièce au San Francisco Ballet, ils offrent une prestation pyrotechnique et flamboyante. L’autre couple apparaît plus effacé mais il faut mettre ce bémol sur le compte d’une distribution de dernière minute, Christine Shevchenko ayant du remplacer Gillian Murphy qui s’est blessée sur les représentations de Sylvia. Elle ne démérite pas mais son partenariat avec Cory Stearns est trop vert.

Maria Kochetkova etDaniil Simin-Piano Concerto #1.

Maria Kochetkova et Daniil Simkin – Piano Concerto #1

Shostakovich Trilogy est un ballet complexe, versatile, exigeant. Il serait présomptueux de prétendre le cerner dès la première vision. C’est peut-être l’œuvre la plus personnelle d’Alexeï Ratmansky car elle inclut son expérience de la vie soviétique, puis son désir d’aller vers l’Ouest pour trouver du nouveau. Mais qui a dit qu’un ballet devait forcément livrer tous ses secrets ? Ce qui est certain, c’est que Shostakovich Trilogy est déjà un classique.

 

Shostakovich Trilogy d’Alexeï Ratmansky par American Ballet Theatre au Metropolitan Opera de New York. Symphony#9, avec Devon Teuscher, Marcelo Gomes, Herman Cornejo, Stella Abrera et Graig Salstein ; Chamber Symphony, avec James Whiteside, Sarah Lane, Isabella Boylston et Hee Seo ; Piano Concerto#1, avec Maria Kochetkova, Daniil Simkin, Christine Shevchenko et Cory Stearns. Samedi 21 Mai 2016.

 

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