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Pina Bausch, d’Agua à Auf dem gebirge hat man ein geschrei gehört

Le répertoire du Tanztheater Wuppertal compte plus de 40 pièces, illustrant plusieurs périodes. L’ère « noir et blanc » d’abord, jusqu’à la mort en 1980 de Rolf Borzik, compagnon et scénographe de Pina Bausch. C’est alors à Peter Pabst de créer d’incroyables décors. À partir de 1986, l’œuvre de la chorégraphe s’émaille de ses « pièces de voyages« . Et autour des années 1990, désolée par la guerre du Golfe, les crises, la pauvreté, elle abandonne ses sombres obsessions pour composer des pièces plus gaies, où les solos s’enchainent, la danse prenant le pas sur le texte et le théâtre. Le spectacle doit à ce moment, selon elle, apporter joie, beauté, et réconfort. En programmant en son sein Agua, puis au Théâtre du Châtelet Auf dem gebirge hat man ein deshrei gehört, le Théâtre de la Ville offre une nouvelle fois ce printemps, une vibrante démonstration de cette dichotomie.

Auf dem gebirge hat man ein geschrei gehört de Pina Bausch

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Agua, la carte postale brésilienne

À partir de Viktor, créée en 1986 et programmée sur la scène du Théâtre de la Ville à la rentrée prochaine, Pina Bausch entame une série de coproductions qui conduisent son Tanztheater aux quatre coins du globe. De Palerme à Los Angeles, de Hong Kong à Istanbul, de Séoul à Calcutta, trois semaines de résidence et d’immersion dans différentes cultures conduisent à la production d’une pièce, élaborée à Wuppertal. Agua, qui a vu le jour en 2001, est l’aboutissement de son escale brésilienne.

Très loin du parti pris de Maguy Marin qui, dans Les applaudissements ne se mangent pas, composera un an plus tard, pour une Biennale lyonnaise consacrée à l’Amérique Latine, une pièce abrupte et politique, Pina Bausch choisit du Brésil une version carte postale. Pourtant, au tout début des années 2000, Lula da Silva n’a pas encore été élu, et la nation qui croule sous la dette et subit une grave crise, n’est pas encore un puissant pays émergeant. Mais, depuis toujours, Pina Bausch évite les sujets politiques dans les fameuses petites questions qu’elle pose à ses interprètes, et qui, par leurs réponses parlées ou dansées, créent le matériel chorégraphique de ses œuvres. Et puis, pour le public comme pour les peuples, elle croit au pouvoir consolant de la danse. « Dans un certain nombre de pays les gens ne survivraient pas sans leurs musiques et leurs danses. On se sent libre quand le corps bouge, quand on s’épuise au plaisir de danser » dit-elle.

Agua de Pina Bausch

Agua de Pina Bausch

C’est donc un folklore joyeux, une vision touristique, que donne à voir Agua. Dans un décor d’un blanc immaculé, qu’envahissent des projections de palmes dans le vent, de flamands roses ou des chutes d’Ignazù, une joyeuse compagnie se prélasse, se défoule, se courtise et s’ébroue. Les solos aux mouvements larges et virevoltants succèdent à des danses de groupes à la vitalité libératrice. On croit déceler chez les hommes quelques mouvements de capoeira. Les femmes ondulent dans les airs lorsqu’ils les soulèvent. Quand un canapé blanc géant envahit le plateau, la bande se déshabille et s’alanguit sur un air de samba. À moins qu’elle n’ironise gentiment sur le culte du corps des autochtones, se parant de serviettes de plage imprimées de silhouettes aux formes avantageuses. Copacabana et Ipanema ne sont pas loin. Il y a aussi des soirées mondaines, costumes et divines robes longues pour danses de salon. La sublime Julie Shanahan fait un numéro de séduction hystérique et alcoolisé dont elle a le secret. Tout ce petit monde, très occidental, se cherche, s’aguiche à grands renforts de conversations murmurées et de jupes soulevées, se cache dans une forêt tropicale soudain surgie derrière le décor blanc. Le public est choyé, à qui l’on offre des cafés, serre la main, demande d’où il vient.

Aucun guide de voyages ne saurait mieux faire, et une ambiance festive à la chaleur tropicale envahit une salle comblée. Et pourtant. Et pourtant… Certes, retrouver les membres de la compagnie, dont les personnalités entières et singulières caractérisent le Tanztheater, autant que l’immense talent de Pina Bausch, est une joie toujours renouvelée. Certes Agua est d’une resplendissante beauté. Mais elle n’a ni la puissance émotive et la profondeur de pièces plus anciennes, ni l’explosivité jubilatoire d’un Vollmond. Et je sens déjà que ses images auront du mal à s’imprimer durablement dans ma mémoire.

Agua de Pina Bausch

Agua de Pina Bausch

 

Auf dem gebirge hat man ein deshrei gehört, l’angoisse merveilleuse

« Sur la montagne on entendit un hurlement », voilà ce que signifie ce long titre, énigmatique pour les non germanophones. Tout un sombre programme. Créée en 1984, juste après Nelken et juste avant Two cigarettes in the dark, cette pièce, trop rare et remarquable, n’avait plus été jouée à Paris depuis près de 30 ans.

« La peur a toujours existé dans mes spectacles, mais auparavant elle était plus personnelle, touchant au problème de l’individu dans la société. Maintenant elle est collective, fondamentale. C’est la peur de l’humanité entière menacée d’autodestruction ou d’avenir sombre » disait Pina Bausch. De défis climatiques en catastrophes nucléaires, d’actes terroristes en crises économiques, quoi de plus actuel que ce discours ? Mais au-delà d’une quelconque époque, la chorégraphe y joue sur des angoisses universelles et archaïques, et invente mille petits et grands supplices, qu’elle mêle au burlesque et à une certaine tendresse, comme elle seule sait le faire.

Auf dem gebirge hat man ein geschrei gehört de Pina Bausch

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Sur un plateau couvert de tourbe brune, qui n’est pas sans évoquer Le Sacre du printemps, et qu’un brouillard dense envahit parfois, une petite humanité se débat dans d’infinis tourments, sous le joug d’un tortionnaire psychopathe au nez écrasé, qui arbore slip, lunettes, et bonnet de bain rouges. D’une joyeuse noyade aux cheveux trop rapidement blanchis de Ditta Miranda Jasjfi, d’une fuite à la rame à même le sol à des plongeons dans les tranchées, de gestes sadiques laissant des marques rouges sur le dos d’une danseuse aux corps utilisés comme armes ou projectiles, d’une vieille dame courbée semblant creuser sa tombe au sursaut enfantin créé par un ballon éclaté, la liste des souffrances est longue, et les femmes les premières victimes. Mais si, à force de répétions, une scène de baiser contraint, évoquant aussi bien la cruauté d’une cours de récréation que des viols ou mariages forcés, devient quasi insupportable, Pina Bausch prend soin, par le rire et la poésie d’apaiser les tensions. Il en va ainsi de l’horrible tortionnaire burlesque, qui offre au public son avant bras agrémenté de mayonnaise en guise de collation, ou s’assoie violemment sur les ballons qu’il ne cesse de gonfler, les sortant de son slip. La danse, que deux jeunes filles modèles et ingénues, en robes froufroutantes, exécute est charmante. Et la tendresse de Dominique Mercy, cherchant par tous les moyens à retenir son ami Lutz Förster menaçant de tomber, est immense.

Absurdités, scènes terrifiantes, Auf dem gebirge hat man ein geshchrei gehört a touts les ingrédients d’un effroyable cauchemar. Mais sa musique, entre jazz nostalgique crépitant et classique vivifiant ne manque pas de l’apaiser. Et quand c’est Pina Bausch et son Tanztheater qui en tirent les ficelles, on ne peut qu’avouer qu’on l’aimerait récurrent.

Auf dem gebirge hat man ein geschrei gehört de Pina Bausch

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Agua de Pina Bausch par le Tanztheater Wuppertal au Théâtre de la Ville. Avec Regina Advento, Pablo Aran Gimeno, Andrey Berezin, Damiano Ottavio Bigi, Michael Carter, Çagdas Ermis, Silvia Farias Heredia, Jonathan Fredrickson, Ditta Miranda Jasjfi, Nayoung Kim, Daphnis Kokkinos, Crisitiana Morganti, Blanca Noguerol Ramirez, Helena Pikon, Jorge Puerta Armenta, Franko Schmidt, Azusa Seyama, Julie Shanahan, Julie Anne Stanzak, Julian Stierle, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza, Anna Wehsarg, Paul White et Ophelia Young. Samedi 7 mai 2016.

Auf dem gebirge hat man ein deshrei gehört de Pina Bausch par le Tanztheater Wuppertal au Théâtre du Châtelet. Avec Emma Barrowman, Rainer Behr, Andrey Berezin, Michael Carter, Çagdas Ermis, Lutz Förster, Jonathan Fredrickson, Ditta Miranda Jasjfi, Scott Jennings, Nayoung Kim, Dominique Mercy, Blanca Noguerol Ramirez, Breanna O’Mara, Nazareth Panadero, Jean-Laurent Sasportes, Franko Schmidt, Azusa Seyama, Julie Anne Stanzak, Julian Stierle, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza, Tsai-Wei Tien, Paul White, Simon Wolant, Ophelia Young et Tsai-Chin Yu. Vendredi 20 mai 2016.

 

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