Pour The Great Gatsby, Paris n’est pas une fête
Son énigmatique lumière verte en a ébloui plus d’un-e… Gatsby le Magnifique, monument de la littérature américaine, se décline inlassablement sur scène et à l’écran. Dwight Rhoden s’est essayé à l’adaptation chorégraphique de ce roman emblématique de la Génération perdue, qui trouve de nos jours un juste écho auprès de la « Génération sacrifiée ». Bien que le spectacle se regarde sans déplaisir, influencé par l’univers des comédies musicales façon Broadway, il peine à faire entendre les mots de Fitzgerald en raison d’une mise en scène confuse et d’une narration elliptique.
Si le ballet déçoit, c’est d’abord parce que Gatsby le Magnifique y a perdu de sa superbe. Le personnage principal apparait en retrait et dénué de toute sa complexité. Denis Matvienko, argument promotionnel de la tournée, interprète Gatsby avec une lassitude manifeste qui ne sied pas plus à l’euphorie de façade qu’à la mélancolie intérieure de son double de papier. L’illisibilité de la narration, plus gros point faible de cette production, ne joue pas en sa faveur. Les différents tableaux se succèdent en effet sans grande trame ni caractérisation, malgré la projection, dans l’arrière-plan, d’images censées jalonner l’argument. Résultat, le propos génial du roman se dilue jusqu’à disparaître. L’univers festif désinvolte de l’oeuvre originale et son arrière fond rance, préfigurant le krach boursier dont Fitzgerald avait perçu les signes avant-coureurs, ne sont pas plus restitués. L’outrance des années folles n’est stylisée qu’a minima. La violence entre les classes sociales n’est qu’effleurée. Le regard que porte Gatsby sur Daisy manque de lyrisme et Nick, le narrateur, est réduit au rôle d’observateur naïf, bien éloigné du fin analyste des vices de son temps.
Cependant, une fois acté que le ballet n’a guère de fitzgeraldien que le nom, l’ensemble n’apparait pas déplaisant. La qualité de la danse est élevée, le vocabulaire chorégraphique, marqué par Alvin Ailey, est agréable quoique répétitif. La bande-son, « à l’américaine », pare le ballet des couleurs chaudes de Broadway. Le tout se fond à merveille dans le décor des Folies Bergère, écrin de choix pour cette production aux airs de music hall. Vedettes de la soirée, Olga Grishenkova et Clifford Williams donnent du corps à l’oeuvre. La première, danseuse russe longiligne à la grâce d’un cygne, interprète la précieuse Daisy avec une petite moue boudeuse qui n’est pas sans rappeler la froideur égoïste de son personnage. Le second, danseur métisse à l’agilité féline, interprète Meyer Wolfsheim en véritable showman, éclipsant la tête d’affiche par sa présence en scène.
Attirant sur le programme, ce Gatsby n’a pas vraiment le goût du gin rickey espéré. Le corps de ballet et autres personnages secondaires montrent pourtant des qualités techniques et artistiques fort appréciables. De quoi passer une bonne soirée mais sans grande ivresse.
The Great Gatsby de Dwight Rhoden aux Folies Bergère. Avec Denis Matvienko (Gatsby), Olga Grishenkova (Daisy), Clifford Williams (Meyer Wolfshein), Stanislav Skrinnik (Nick), Ekaterina Kalchenko (Jordan), Arthur Gaspar (Tom), Ivan Zhuravlev (Wilson) et Ekaterina Alaeva (Myrtle). Lundi 16 octobre 2017.