Playlist #1 – Angelin Preljocaj revisite son oeuvre à l’Opéra Royal de Versailles
En ce mois de décembre frileux, Angelin Preljocaj nous réchauffe sur tous les fronts, au Théâtre de Chaillot pour la première parisienne de sa dernière création La Fresque, mais aussi à Versailles, à l’Opéra Royal, l’un des plus beaux théâtres du monde. Il y présentait pour trois soirées un gala, bien que le titre choisi par le chorégraphe – Playlist#1 – résonne mieux et plus justement. Le spectacle est composé d’extraits des pièces les plus fameuses d’Angelin Preljocaj écrites entre 1994 et 2015. Mais il ne s’agit en rien d’aligner une succession de pas de deux ou d’ensembles de ces ballets. Angelin Preljocaj a conçu Playlist #1 comme une très longue phrase chorégraphique, sans pause ni entracte, et où les extraits sont minutieusement choisis et organisés pour ce projet singulier. Et le résultat est fascinant à plus d’un titre. Il constitue une superbe porte d’entrée dans l’œuvre du chorégraphe français pour celles et ceux qui ne le connaissent pas, mais aussi un voyage stimulant lorsque l’on est familier de l’univers d’Angelin Preljocaj.
Toutes ses pièces ne sont pas des réussites absolues. Aucun artiste n’est sur de faire mouche à tous les coups. Mais Playlist #1 démontre qu’Angelin Preljocaj a développé un vocabulaire et un style qui lui sont propres et qui ont fourni quelques ballets sublimes. Il y a toujours à l’origine du travail et de la création du chorégraphe une interrogation qui vise à donner du sens. Cette inspiration peut venir d’un thème littéraire comme dans Spectral Evidence où il puise dans l’histoire des Sorcières de Salem pour composer ce ballet commandé par le New York City Ballet en 2013. Ou un questionnement plus général sur l’amour et les sentiments dans Le Parc créé pour l’Opéra National de Paris en 1994. Angelin Preljocaj ne rechigne pas à s’attaquer aux monuments littéraires et chorégraphiques comme Roméo et Juliette dont il livra sa version en 1996 ou au conte de notre enfance avec Blanche Neige (2008).
De toutes ces pièces, le chorégraphe a conservé ce qui pourrait en constituer l’essence et faire sens en soi sans le reste du ballet, et sans avoir nécessairement besoin d’en connaitre le contexte. Ce sont donc 90 minutes de pas de deux, de solos et d’ensembles emportés dans un même mouvement et une fluidité naturelle. On passe d’une émotion à une autre en douceur sans ces ruptures violentes qui heurtent le public lors des traditionnels galas.
Sur les dix pièces présentées, certaines sont plus connues que d’autres, mais toutes illustrent un style où s’affirme toujours la place prépondérante du couple quel qu’il soit, de sa sensualité et son érotisme. Angelin Preljocaj a récemment repris avec sa compagnie les deux pièces qu’il a créées pour le New York City Ballet. On en trouve dans Playlist #1 un extrait de la Stravaganza (1997) et du plus récent Spectral Evidence. Il y a d’abord un premier duo masculin entre les prêtres ou les juges du procès des Sorcières de Salem, où s’expriment les doutes liées à la transgression. Puis un second duo mixte encore plus explicite pour finir sur un solo éblouissant sur la musique de John Cage.
La reprise du jeu de chaises musicale pour deux danseuses et quatre danseurs de Paysage après la bataille (1997), qui met en scène les disputes imaginées entre l’écrivain Joseph Conrad et le plasticien Marcel Duchamp, est comme une respiration ludique bienvenue dans cette soirée qui regorge de sentiments forts. Et surtout, comment ne pas s’extasier encore une fois face au pas de deux du Parc sur le Second mouvement du Concerto pour Piano 23 de Mozart, sans doute l’un des plus belles et des plus déchirantes musiques jamais écrites. 23 ans après sa création, ce pas de deux reste l’un des plus beaux duos d’amour de la danse contemporaine. Initialement créé pour le Ballet de l’Opéra de Paris – qui tarde à le reprendre – ce ballet est une des pièces majeures du répertoire d’Angelin Preljocaj.
Le spectacle s‘achève sur deux duos de Romeo et Juliette : l’incontournable pas de deux du balcon qui chez Angelin Preljocaj est un summum d’érotisme, et le déchirant final où les époux de Vérone – transposés dans un monde totalitaire dans la vision du chorégraphe – se suicident sans avoir pu se dire adieu. Il y a une forme de brutalité dans ce dernier pas de deux de la soirée, cette danse ultime de la passion amoureuse à jamais disparue.
Voilà un joli tour de force que nous fait vivre ainsi le chorégraphe, une manière élégante et ludique de nous faire revisiter son répertoire. À 60 ans, il est toujours l’un des tous premiers chorégraphes français et l’un des rares ayant collaboré avec les plus grandes compagnies mondiales (Opéra de Paris, New York City Ballet, Mariinsky…). Playlist #1 prouve que son travail n’a pas pris une ride. Parions qu’il y aura un jour une Playlist #2 !
Playlist#1 d’Angelin Preljocaj par le Ballet Preljocaj, à l’Opéra Royal de Versailles. Extraits de Retour à Berratham (2015), Les Nuits (2013), Suivront Mille Ans de Calme (2010), Spectral Evidence (2013), Le Parc (1994), Paysage après la Bataille (1997), La Stravaganza (1997), Blanche Neige (2008), Roméo et Juliette (1996), avec Virginie Caussin, Margaux Coucharrière, Léa De Natale, Isabel Garcia Lopez, Verity Jacobsen, Emilie Lalande, Cecilia Torres Morillo, Sergi Amoros Aparicio, Idir Chatar, Baptiste Coissieu, Simon Ripert, Redi Shtylla et Aaron Smeding. Vendredi 15 décembre 2017. À voir en tournée en France en 2018.