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« Le Ballet Royal du Danemark joue avec la tradition »

Alors que le Ballet Royal du Danemark est jusqu’au 10 janvier au Palais Garnier, pour présenter Napoli, L’ambassade du Danemark a organisé une conférence sur cette compagnie. Erik Aschengreen, un Danois docteur ès lettres et historien de la danse, s’est chargé de nous raconter la riche histoire de la troupe, marqué par de fortes personnalités et une relation spéciale avec la France. Une conférence passionnante, surtout que le narrateur ne manquait pas d’un certain humour.


La naissance du Ballet Royal du Danemark et des compagnies en Europe

Au XVIIIe siècle, le ballet est un art européen. Le premier grand maître de ballet à Copenhague, celui qui a fondé le répertoire, était italien. Il s’appelait Vincenzo Galeotti, et il est venu à Copenhague en 1775.

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Quatre ans avant, l’Ecole du ballet avait été fondée en 1771, et c’est ici que la France entre dans l’histoire. L’école a en effet été fondée par un Français, Pierre Laurent, qui 20 ans plus tôt était venu de l’Opéra de Paris et est resté à Copenhague. A cette époque, les danseurs voyageaient beaucoup, il n’y a pas de barrière. En 1726, déjà, le Français Jean-Baptiste Landé avait un grand succès à Copenhague. Quand on a fermé le théâtre de la ville à cause d’un roi très pieux qui ne voulait pas que les gens s’amusent trop,  Jean-Baptiste Landé est parti à Saint-Pétersbourg où il a fondé une école, que l’on peut considérer aujourd’hui comme l’ancêtre de l’École du Théâtre impérial de Saint-Pétersbourg.

Les trois compagnies les plus anciennes d’Europe avec des écoles, qui existent encore aujourd’hui, sont ainsi en place : L’Opéra national de Paris, L’Opéra de Saint-Pétersbourg et L’Opéra royal du Danemark. Les trois écoles sont fondées par des Français, nous savons bien d’où vient la danse.

L’ère Vincenzo Galeotti

Au Danemark, Vincenzo Galeotti régna et créa des ballets jusqu’à sa mort en 1816. Ça a été difficile pour lui de quitter la scène, personne ne pouvait le convaincre. Quand Vincenzo Galeotti avait 77 ans, il se présentait toujours dans des rôles de pantomime, et le théâtre ne savait plus quoi faire pour l’arrêter. Heureusement, en 1812, quand il avait 79 ans, le Roi l’a nommé Chevalier, et avec ce titre, il ne pouvait plus entrer sur scène.

Tous les ballets de Vincenzo Galeotti ont disparu, sauf un : Les caprices de Cupidon. C’est un ballet créé en 1786 et c’est le plus ancien encore au répertoire d’une compagnie. Beaucoup plus tard, en 1952, un chorégraphe danois a remonté Les Caprices de Cupidon pour à l’Opéra de Paris. Les chemins entre la France et le Danemark se croisent tout le temps.


L’arrivée de la famille Bournonville


Vincenzo Galeotti travaillait à Copenhague d’après les traditions italiennes En 1792, un nouveaux Français arriva, Antoine Bournonville, futur père d’Auguste Bournonville. Lui-même était le grand réformateur du ballet français. C’est un peu par hasard qu’Antoine termina sa carrière au Danemark, et c’est donc par hasard si Auguste est né à Copenhague.

Antoine Bournonville fut un très beau danseur, et un bel homme. Il est venu à Copenhague depuis la Suède, où il dansait depuis 10 ans à Stockholm, chez le roi Gustave III qui aimait beaucoup les arts. A  Copenhague, Antoine Bournonville est tombé amoureux d’une danseuse, ça arrive, et comme le roi de Suède s’était fait assassiné, ça arrive aussi, Antoine a préféré rester à Copenhague plutôt que de retourner en Suède. Même s’il était absolument innocent, Antoine risquait des soucis à l’extérieur. Etant Français, on était suspect. Au royaume, on avait en effet très peur de la Révolution française, nous sommes en 1792. Des auteurs danois qui écrivaient contre la monarchie absolue avaient été exilés, et plusieurs ont trouvé refuge en France, où on n’avait pas tellement peur des écrivains.

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Auguste Bournonville est donc né à Copenhague en 1805, la même année que Hans Christian Andersen, qui devient plus tard un grand ami. Il aurait bien voulu être danseur, il a même essayé, mais ses pieds étaient trop grands. Auguste Bournonville est lui devenu danseur, et un danseur excellent. Son père lui a donné l’amour de la danse, et la fierté de ce métier. Antoine parlait de la danse comme « la carrière la plus glorieuse du monde« . Ce n’est pas toujours le cas, mais pour Auguste, ce fut bien le cas.

Auguste Bournonville a appris le métier par son père, puis plus tard à Paris, de 1824 à 1830. Ses professeurs étaient les noms les plus illustres de l’époque : Pierre Gardel, Auguste Vestris… Auguste Bournonville dansait à l’Opéra de Paris, il aurait pu faire une carrière internationale, mais il a préféré rester à Copenhague.


Auguste Bournonville, un Français du Danemark


D’abord, Auguste Bournonville se considérait tout à fait comme Danois. A Copenhague, où il est devenu directeur de la danse en 1830, il pouvait tout décider lui-même, et ça lui a fait du bien. Auguste Bournonville était chorégraphe et premier danseur. Dans ses ballets, la danse masculine était aussi importante que la danse féminine, parce que c’était lui qui dansait le premier rôle masculin. Ce n’était pas le cas du tout dans les ballets de la période romantique en Europe. Les grandes ballerines commençaient à conquérir les scène, ce qui choquait Auguste Bournonville, élevé par des grands maîtres, une génération qui avait vu régner le danseur. Bournonville ne voulait pas devenir l’appendice des sylphide et des naïades, Il ne voulait pas être « le porteur des dames« .

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Le style Bournonville, la danse au sommet des arts

Auguste Bournonville a eu un éducation  française. Et c’est le style français qui l’a mené à Copenhague. Il était un personnage extraordinaire. Il dota la compagnie d’un répertoire, mais a aussi assuré la position social de ses danseur-se-s. Il aimait voir les danseur-se-s comme des citoyen-ne-s respecté-e-s, et il y parvint. Lui-même était très estimé et respecté, et il fréquentait des personnalités les plus importantes des cercles artistiques. Dans d’autres pays en Europe, les gens du ballet menaient souvent une vie assez marginale pendant la période romantique, ils étaient mésestimés par les Académiciens, les grand artistes qui ne considéraient pas vraiment l’art du ballet. Et ce n’était pas le cas à Copenhague.

Auguste Bournonville arrive à placer le ballet au premier rang avec les autres arts. Il est le directeur de la danse de 1830 à 1877, avec deux petites interruptions. Et dans sa danse, comme dans ses chorégraphies, il reste fidèle à la grâce et à la légèreté du style français. Chorégraphe, il a créé une cinquantaine de ballets, dont une dizaine continue d’être dansés à Copenhague dans une tradition jamais interrompue. Parmi les plus connus on retrouve La Sylphide, Napoli, Le Conservatoire

Un danseur voyageur

Comme les autres artistes de la période romantique, Auguste Bournonville fut fasciné par tout ce qui était exotique. Ses ballets se déroulent dans des pays étrangers : l’Espagne, L’Ecosse, La  Russie… Et surtout l’Italie, son pays préféré. L’Italie était loin du Danemark et c’était un pays adoré par les artistes du monde. Auguste Bournonville y trouvait du soleil, des oranges sur les arbres, une vie plus spontanée, pleine de tempérament et de joie de vivre.

En Italie, il découvra aussi la beauté de l’antiquité et de l’art plastique. Le sculpteur danois Bertel Thorvaldsen a habité la plus grande partie de sa vie à Rome, et dans ses sculptures, Auguste Bournonville trouva son idéal esthétique. Chez Bertel Thorvaldsen, on trouve une harmonie sublime, et l’harmonie est le mot clé d’Auguste Bournonville.

L’époque romantique au Danemark

Dans sa conception de la vie, Auguste Bournonville se distingua des autres romantiques en Europe. Il devient très danois. Il n’était pas absorbé par le mal du siècle, les héros romantiques en Europe sont tristes. Auguste Bournonville, lui, est avant tout optimiste et croyant. Quand vous avez vu un ballet d’Auguste Bournonville, c’est le théâtre de la bonne humeur, et si quelque chose ne va pas, vous pouvez réclamer votre argent à la caisse.

Dans ses œuvres d’essence romantique, dont La Sylphide (dont Taglioni a volé le succès à Paris, à cette époque il n’y avait pas copyright) et Napoli, on trouve deux mondes qui s’opposent : le réel et le surnaturel, où les sylphides partent dans les airs et les naïades tendent leur pièges sous les eaux. Ce monde est dangereux, et ce qui est dangereux dans cette période romantique, c’est la sexualité. On commençait à plonger dans le subconscient, et on était un peu surpris de ce qu’on y trouvait.

Auguste Bournonville savait tout ça, mais son but était avant tout de présenter au public un monde où la joie règne. Mais il n’était pas naïf, il connaissait très bien les tentations de la vie. Jeune à Paris, il n’a pas seulement fait des exercices de grands battements. Il a eu une petite fille, avait la sœur de l’un de ses amis. Il ne l’a raconté à personne au Danemark. Il avait une fiancé à Copenhague, qui n’aurait pas aimé cette histoire, et c’était presque sûr que le roi ne l’aurait pas nommé directeur de la danse si le jeune danseur n’avait pas mené une vie respectable, comme l’exigeait le royaume. On ne pouvait pas avoir un directeur de la danse qui faisait des enfants un peu partout.

Le monde idyllique dans les ballets d’Auguste Bournonville est donc une harmonie prémédité, une façon de conjurer tout ce qui pourrait gâcher le bonheur.

L’influence de Bournonville en Russie

Auguste Bournonville a aussi beaucoup voyagé, il se tenait au courant de ce qui se passait dans le monde, de la danse ou d’ailleurs. Il a eu une influence sur le ballet en Russie. Un jeune suédois, Christian Johansson, est venu de Stockholm à Copenhague, dans les années 1830, pour étudier chez Auguste Bournonville. Plus tard, ce danseur devint danseur à Saint-Pétersbourg, puis professeur principal à l’Ecole du Ballet Impérial. Il y enseigna l’école française qu’il a appris à Copenhague, et c’est dans ses classes que Marius Petipa venait trouver des idées pour ses chorégraphie.

Christian Johansson et Auguste Bournonville tenaient une correspondance, et quand Auguste Bournonville visita la Russie en 1874, il le revoit ainsi que Petipa, qui était directeur de la danse à Saint-Pétersbourg. Auguste Bournonville n’aimait pas du tout ce qu’il voyait en Russie, qui était pour lui trop acrobatiques. Il fait dire que les scène étaient beaucoup plus grandes en Russie qu’au Danemark.

La fin de Bournonville 

Auguste Bournonville se retira du théâtre en 1877, il mouru deux ans plus tard. Pour garder son style, ses élèves ont créé, après sa mort, ce qu’on appelle l’école de Bournonville. Il y a une classe pour chaque jour, et ces classes sont toujours enseignées à Copenhague, il y a un DVD depuis 7 ans, et un stage organisé en juillet à Biarritz.


Une compagnie moderne

Le Ballet Royal du Danemark a fait autre chose que du Bournonville. A la fin du XIXème, on y importe Coppélia, qui a été créé à Paris en 1870. Pour la première à Copenhague, 26 ans plus tard, le personnage principal masculin est dansé par un monsieur, pas comme à Paris où on n’aimait pas les messieurs à l’opéra à ce moment-là.

On danse aujourd’hui au Ballet Royal du Danemark un répertoire international, des ballets de Balanchine, John Neumeier, Killian, Robbins… Et le ballet a aussi ses propres chorégraphes. Les deux plus intéressants du XXe siècle sont Harald Lander et Flemming Flindt. Tous les deux ont collaboré de façon étroite avec la France.

L’ère Harald Lander

Harald Lander devint directeur de la danse à Copenhague en 1932. Il était le premier danseur qui a traversé l’Atlantique pour prendre des classes à New York. Jusque-là, c’était toujours en France qu’on allait. Mais l’Amérique a commencé à entrer dans le jeu dans les années 1920. Harald Lander a renouvelé le ballet danois. Il changa l’école à Copenhague, pour donner aux danseur-se-s un entraînement plus moderne, et pas seulement du Bournonville. Il voulait que les danseur-se-s danois-ses puissent danser le répertoire moderne de l’époque : Fokine et Balanchine, ainsi que les grands classiques russes comme Le Lac des Cygnes, qui n’était pas au répertoire du ballet danois. Et d’ailleurs pas non plus à Paris à cette période-là.

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Le chef d’œuvre de Harald Lander reste Etudes, où il a transposé le travail quotidien des danseur-se-s. Le studio devient une scène, et le ballet passe insensiblement à des exercices de cours à de la danse pure. Etudes montre aussi le cheminement de chaque danseur qui commence tout jeune par l’apprentissage du placement et des positions, pour un jour peut-être briller comme une étoile.

En 1952,  Harald Lander monte Etudes à l’Opéra de Paris, et il fait toujours parti du répertoire. Dans les années 1950, il est chorégraphe pour le Ballet de l’Opéra de Paris, il devient même le directeur de l’école en 1956. Il a beaucoup apporté à la danse ici. Claude Bessy donnait à son prédécesseur le crédit d’avoir apporté au danseur-se-s français « le goût d’un style très précis« . Brigitte Lefèvre, une de ses anciennes élèves, souligne que Harald Lander avait appris à ses élèves à travailler avec exactitude et méthode, et savait transmettre sa passions. Elle le surnommait l’amoureux de la danse, et elle dit que les danseur-se-s à l’Opéra ne seraient jamais arrivé-e-s à être ensemble sur du Noureev si Harald Lander n’avait pas été là avant.

Il a indéniablement contribué à faire évoluer le style de l’Opéra de Paris, même s’il venait de l’extérieur.

L’ère Flemming Flindt

Flemming Flindt venait de l’extérieur aussi, formé par l’école de Copenhague, où Harald Lander était d’ailleurs sont professeur. Flemming Flindt était danseur étoile à Paris en 1960. En 1963, il signe sa première chorégraphie, La Leçon, d’après la pièce d’Eugène Ionesco. On l’a dansé à l’Opéra-Comique. En 1966, Flemming Flindt quitte Paris pour devenir Directeur de la danse à Copenhague, où il continue son intérêt pour l’univers absurde de Ionesco, avec Le Jeune homme à marier, et Le Triomphe de la Mort. Ce dernier a fait sensation à Copenhague, peut-être à cause des danseurs complètement nus, c’était pas mal non plus.


Le Napoli du XXIe siècle

La nouvelle production de Napoli, présentée à Garnier, est une reconstruction. Le premier acte se passe dans l’Italie des années 1950, tandis que le secon acte, sous l’eau, a été complètement rechorégraphié par Nikolaj Hübbe (l’actuel directeur de la danse du Ballet Royal du Danemark) et Sorella Englund “Il ne faut pas s’attendre à une mise en scène du style romantique”, indiquent-ils. « C’est justement ce que nous voulions éviter. C’était important pour nous de placer Bournonville dans un nouveau contexte pour voir ce qui se passe« .

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Napoli
se passe dans les années 1950, ce qui donne la possibilité de présenter un nouveau décor. Ce n’est pas par hasard si Nikolaj Hübbe et Sorella Englund ont situé leur Napoli à cette époque. Ils ont été inspirés par des réalisateurs comme Fellini. Nikolaj Hübbe est convaincu que Bournonville, dans sa façon de raconter des histoires, est très proche de l’art cinématographique. Il trouvait qu’il y a avait les mêmes personnages dans le cinéma italien que chez Bournonville.

C’était ainsi amusant de placer les personnages de Bournonville dans un nouveau contexte. On joue avec la tradition, au lieu de succomber sous son poids.

Comments (1)

  • Léopoldine

    Bonjour à tous,

    j’ai été assez déçue par le ballet royal du Danemark tant par la troupe que par le ballet Napoli. Le 1er acte est à peine dansé !! le deuxième acte est le meilleur, avec un Poséidon très puissant, pour moi le meilleur danseur. Au troisième acte, malgré les chorégraphies je trouve que la magie n’opère pas et le couple de danseurs étoiles ne m’a arraché aucune émotion ….

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