Magnétic – Jérôme Thomas
Sur DALP, nous aimons beaucoup parler du cirque contemporain, où la danse s’y mêle de plus en plus et souvent avec bonheur. Discipline circassienne à part, le jonglage joue aussi le jeu de l’inventivité chorégraphique. Surtout quand le spectacle est mené par Jérôme Thomas, jongleur depuis 30 ans dont les spectacles tournent un peu partout. Est-ce de la danse ou du jonglage ? Un beau mélange des deux. Après Hip 127, La Constellation des cigognes vue l’année dernière, avec de gros effets visuels, sa dernière création Magnétic prend le contre-pied avec des moyens scéniques tout simples, et juste quatre jongleuses en scène. Mais il en faut souvent peu pour créer un monde à part. C’est le cas de Magnétic, qui en une heure ouvre les portes de son univers forcément étrange, parfois déstabilisant, mais assurément poétique et étonnant, et unique en son genre.
Pour Magnétic, Jérôme Thomas s’est inspiré de sa pièce HIC, créée il y a 20 ans et devenue emblématique. On y retrouve ces drôles de longues tiges souples surmontées d’une balle blanche en guise d’accessoire, à la fois référence à la base du jonglage (la fameuse balle) et son ouverture sur complètement autre chose, pour peu qu’on l’on ait un peu d’imagination pour ses dix doigts, capables de manier bien plus de choses que des balles blanches. Dans les mains des quatre artistes, ces longues tiges se transforment en chorégraphie (sur la belle musique créée par l »iRCAM), en formes mouvantes, presque en personnages à part entière quand la lumière se fait jeu et efface parfois les quatre jongleuses. C’est alors un autre ballet qui prend forme, celui de l’illusion, même si le spectacle n’utilise aucun artifice que les jeux de lumière. « C’est plus qu’une remontée dans le temps« , explique Jérôme Thomas. « C’est aussi un acte de création qui convoque magie et pratique jonglistique pointue dans leur brutalité d’exécution, sans trucage ni décor comme il y a vingt ans, mais avec des signes de notre contemporanéité. Visions nées de la cinétique, et une magie d’autant plus poétique qu’elle est dévoilée« .
Des balles blanches donnent ainsi l’impression de flotter toutes seules dans le noir. Comme avec le geste chorégraphique, le jeu des ballets et accessoires redessinent l’espace scénique, s’amuser à jouer avec les dimensions, à s’inventer des dialogues, avant que les quatre artistes réapparaissent presque par magie dans notre champ de vision, comme ouvrant une autre porte, vers un autre imaginaire. Il faut se laisser emporter par Magnétic, dans ce monde un peu hors du temps justement, et comme se laisser murmurer à l’oreille cette drôle d’histoire où de simples balles blanches semblent prendre vie.
Contrairement à HIC, Jérôme Thomas utilise d’autres accessoires de jonglage dans Magnétic, dont des plaques de polystyrène. Il y a là encore quantité de choses à trouver dans le maniement de ces objets finalement tout simples, savoir les faire danser de la paume de la main, les faire se transformer par l’agilité de ses dix doigts. Le travail sur ces plaques qui termine le spectacle est en soi tout aussi fascinant, mais la transition avec le reste n’a pas été simple à trouver. Ce dernier moment tombe en fait presque comme un cheveu sur la soupe, et ferme la porte d’un univers fascinant sans forcément réussir à en ouvrir un autre. L’on reste étonné face à la dextérité des artistes et à l’imagination intact du jongleur, mais la poésie troublante et cette sensation intrigante de ne pas bien savoir où l’on est ont disparu.
Magnétic de Jérôme Thomas, avec Audrey Decaillon, Chloé Mazet, Nicoletta Battaglia et Gaëlle Cathelineau. Jeudi 19 octobre 2017 au Théâtre Mansart de Dijon. À voir en tournée en 2018 et 2019.