[Nuits de Fourvière] Acosta Danza – Boán / Peck / Montero / Cherkaoui / Crecis
À quoi reconnaît-on les véritables passionné.e.s de danse ? À leur capacité à résister aux trombes d’eaux qui leur tombent dessus pour voir un spectacle. Début juin, Carlos Acosta revenait en France pour la première fois avec sa propre troupe, l’Acosta Danza, aux Nuits de Fourvière. Soir de première, soir de pluie aussi. Mais il en faut plus pour dissuader les aficionados : les ponchos étaient de sortie, les parapluies aussi autorisés pour l’occasion. Ce ne sont pas trois gouttes (à peu près) qui feront renoncer au plaisir de revoir en scène celui qui fut l’une des plus grandes Étoiles internationales de sa génération dans les années 2000-2010, ainsi que les jeunes talents cubains qui forment sa compagnie, fondée en 2016. Les interprètes de l’Acosta Danza n’ont d’ailleurs pas ménagé leur peine pour séduire le public pour leur première en France. Et mission réussie pour cette troupe séduisante et pleine de jeunesse, aux fortes personnalités, même si les pièces choisies étaient de qualité et d’intérêt inégal.
La danse à Cuba ne se limite pas à Alicia Alonso. La danse contemporaine y a aussi sa place avec la Danza Contemporanea de Cuba. Et plus récemment, Carlos Acosta, l’enfant du pays expatrié au Royal Ballet de Londres, y a fondé sa propre troupe (avec une école sous peu) : Acosta Danza. Soit une petite structure d’une vingtaine d’interprètes charismatiques, proposant un répertoire du néo-classique au contemporain, en passant par les incontournables internationales comme Justin peck ou des chorégraphes cubain.e.s. Le niveau des interprètes est épatant – comme souvent à Cuba, le choix des pièces un peu moins. La troupe se cherche encore, voulant à la fois faire la place à des talents locaux comme assurer de gros noms pour remplir ses salles. La première oeuvre de la soirée, El Cruce Sobre el Niagara de Marianela Boán est ainsi déstabilisante et fait presque regretter la motivation qui m’a poussée à rester assise sous la pluie. Voilà un duo qui semble aligner les clichés du danseur cuba, forcément grand, forcément beau, forcément fort, et vêtu du presque plus simple appareil. C’est à peu près tout pour la danse, qui se contente d’une pose par là et d’un saut par ici, même si les deux interprètes du soir s’y donnent du mal.
Belles lettres de Justin Peck est comme une bouffée d’oxygène qui arrive ensuite. Le chorégraphe sait décidément ce qui fonctionne, mais aussi ce qui met en valeur les danseurs et danseuses, ce qui les nourrit. Il s’agit ici d’une très belle pièce néo-classique avec tout ce que cela sous-entend : les pointes, les robes fluides, l’alternance de solos, duos et ensembles et une belle musique (César Franck). Avec la touche Justin Peck, ce petit twist qui va surprendre, séduire et faire un tout de tous ces petits passages. Carlos Acosta, au centre, semble être comme le feu qui anime l’ensemble. Les années passent, et sa danse reste fascinante : il y a toujours chez lui cette sensation d’instinct, d’une gestuelle animale, mais aussi très poétique, profondément musicale, sensible. Le groupe autour se met à son niveau pour un vrai beau moment de danse.
Après un entracte rapide, la pluie s’intensifiant – on est passionné ou on ne l’est pas est l’expression de la soirée – place à Imponderable de Goyo Montero, à l’ambiance très différente, plus moderne dans la gestuelle comme dans son état d’esprit. Les danseuses et danseurs y sont montrés comme ce qu’ils sont, de jeunes interprètes du XXIe siècle, dans une chorégraphie percutante et vive. L’ensemble est peut-être un peu bavard – 25 minutes quand on a peu ou prou tout dit en 15. Mais Imponderable reste toutefois une pièce séduisante qui va à toute allure, calée pour la fraîcheur et l’envie de ses interprètes, mettant en avant leur forte personnalité scénique quand Belles lettres montrait plutôt leur virtuosité. Carlos Acosta revient ensuite en scène avec Marta Ortega pour duo conçu pour eux, Mermaid de Sidi Larbi Cherkaoui. On y retrouve la gestuelle en spirale chère au chorégraphe, même si l’on est loin de son hypnotique Faun. Reste toutefois une pièce construite pour ces deux formidables interprètes, qui occupent la scène comme jamais et font vivre chaque geste intensément. En prime, un final qui a involontairement fait rire le public avec Marta Ortega finissant sous… un jet d’eau. Il est donc écrit que ce soir, tout le monde finit donc trempé, des deux côtés de la scène.
C’est dans cette ambiance bon enfant que se termine le spectacle avec la pièce Twelve de Jorge Crecis. L’oeuvre s’inspire plus de numéros de cirque et d’acrobatie que de danse pure. Pour les interprètes, les choses se jouent sur des bouteilles d’eau (fermées, rassurez-vous) à se lancer et s’échanger. Tout démarre un peu mollement, mais les choses s’accélèrent vite pour se transformer en une joyeuse battle organisée. Chorégraphique, ça ne va pas franchement chercher bien loin. Mais l’énergie et l’implication des interprètes, à la technique décidément malléable et volubile, emballent le tout pour un final énergique et plein de bonne humeur. Acosta Danza donne décidément envie d’y revenir et de voir évoluer ses danseurs et danseuses aux multiples possibilités. Public et artistes s’applaudissent au final avec le même enthousiasme, alors que la pluie commence tout juste à se tarir. On est passionné on l’on ne l’est pas.
Programme Boán/Peck/Montero/Cherkaoui/Crecis par l’Acosta Danza dans le cadre des Nuits de Fourvière. El Cruce Sobre el Niagara de Marianela Boán, Belles lettres de Justin Peck, Imponderable de Goyo Montero, Mermaid de Sidi Larbi Cherkaoui et Twelve de Jorge Crecis, avec Carlos Acosta, Carlos Luis Blanco, Enrique Corrales, Mario Sergio Elias, Yanelis Godoy, Julio León, Gabriela Lugo, Marta Ortega, Jayron Pérez, Raúl Reinoso, Laura Rodriguez, Javier Rojas, Deborah Sanchez, Alejandro Silva et Leticia Silva. Jeudi 7 juin 2018. Les Nuits de Fourvière continuent jusqu’au 28 juillet.