[Captation] Les portes ouvertes 2021 des classes de danse du CNSMDP
Comme tout enseignement supérieur, les classes de danse du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP) souffrent depuis plus d’un an et le début de la crise sanitaire : plus de deux mois de cours à distance, masque obligatoire en studio depuis la rentrée, annulation d’une grande partie des manifestations publiques… Alors la diffusion en direct de leurs traditionnelles portes ouvertes – appelées École ouverte – fut comme une bouffée d’air frais. Même si ce ne fut qu’en vidéo – réalisation soignée et grande fluidité de l’image, la technique n’a pas été lésinée – ce fut un vrai plaisir de découvrir les jeunes talents, de déceler les yeux qui brillent malgré le masque, le charisme de certain.e.s déjà bien présent, la virtuosité en éclosion. Tout comme de retrouver les professeur.e.s à la grande exigence et intelligence pédagogique. Impossible de tout voir de ces deux journées de direct, mais retour sur certains cours de danse classique et contemporaine.
Chaque mois d’avril, les portes ouvertes des classes de danse du CNSMDP ont leur rituel. Comme celui de se plonger dans le planning pour se décider à quel cours assister – deux ou trois se déroulant simultanément, dans les studios de danse et l’auditorium. Même si l’édition 2021 a eu lieu en direct vidéo, cette habitude est restée, avec deux lives simultanés. Et oh frustration, très peu de temps de replay ! Tant pis ainsi pour le cours de partnering de danse contemporaine, une nouveauté, en espérant découvrir ce cours en vrai la saison prochaine.
Tout a démarré avec la scène et la création De chair et d’âme de Julien Guérin pour les classes préparatoires et DNSP classique (les quatre premières années). L’apprentissage de la scène restait un point faible des classes de danse du CNSMDP, avec peu de chance de faire un véritable spectacle avant la quatrième année. Cette création vient justement pallier ce vide en proposant une pièce de 30 minutes de danse sur-mesure pour tous les élèves, signée Julien Guerin – ancien élève du Conservatoire puis danseur notamment pour les Ballets de Monte-Carlo, aujourd’hui chorégraphe. Et l’oeuvre est très efficace, calibrée pour des élèves, offrant à la fois un challenge technique, un panorama de la technique classique (tours, sauts, etc.), un travail de corps de ballet pour les plus jeunes classes, de solos ou petits ensembles pour les plus grands (notamment un très beau duo ouvrant le ballet) et une attention forte à la musique sur des tubes du classique. Tout en respectant les codes d’un ballet d’école, Julien Guerin sort toutefois de l’exercice de style par des moments plus néo-classiques, une intelligence du mouvement et plein de petites surprises dans sa chorégraphie. Si les plus jeunes élèves montrent encore un stress un peu trop visible, notamment pour les ensembles, les plus grands élèves montrent des personnalités artistiques épanouies, à l’aise en scène et dans leur virtuosité. Un parfait avant-goût avant de les découvrir en cours de danse.
Pour les cours de danse, concernant le cursus de danse classique, place tout d’abord aux DNSP2 filles (troisième année), avec comme professeure Anne Salmon et accompagnateur Yu Matsuoka. Anne Salmon s’est pendant longtemps occupée des plus petites classes, que je n’avais pas forcément privilégiées lors des différentes Portes ouvertes. Ces sessions en vidéo furent donc un peu l’occasion d’une découverte, qui fut des plus agréables. Place ainsi à une très belle classe, menée par une professeure les poussant aux challenges techniques, tout en restant soucieuses du travail du haut du corps et de la musicalité – avec Chopin en fil rouge pour cette édition 2021. Parmi les jolis exercices remarqués : les relevés sur pointes, puis les petits sauts avec un beau travail d’épaulement, avant les grands sauts menés comme une véritable petite chorégraphie. L’on sent que les exercices ont été longuement répétés, comme dans la perspective d’un spectacle. Anne Salmon laisse ses élèves en autonomie pendant ce live, les laissant faire chaque exercice avant quelques remarques, parfois plus à destination du public, sur un détail technique. Le tout se finit par les fouettés, avec certaines élèves passant leur baptême du feu des 32 en scène… avec succès, et avec masque !
Pour les DNSP2 classique garçons, le professeur Laurent Novis montre un peu plus l’âpreté de la classe, accompagné au piano par Sylvain Griotto. Il corrige beaucoup les élèves pendant les exercices, insiste particulièrement sur le travail du pied, du placement. En pleine barre, il fait ainsi faire les fondus et les ronds de jambe en l’air au milieu, exercices un peu ingrats mais qui montrent au public le travail de fond. Laurent Novis multiplie les explications, aussi bien pour ses élèves que pour le public, une vraie leçon de pédagogie de la danse accessible à tous. Au milieu, place à l’adage, « l’un des moments les plus importants de la classe« , puis à la petite batterie avec un apprentissage comme le menait Gilbert Mayer : d’abord à la barre, ensuite au centre. Le cours mixe des exercices simples, presque de base, avec leur version « grande technique ». À l’image ainsi des tours en l’air, qui démarrent par des quarts, des demis, puis deux tours en l’air, avant de finir par des doubles assemblées. On a là encore affaire à une très belle classe dans son ensemble, montrant un travail particulièrement soigné du bas de jambe. N’hésitez pas, au passage, à regarder en ligne la classe de Laurent Novis filmée en octobre 2019, un aperçu un peu plus large de sa pédagogie.
La classe de DNSP3 classique filles d’Isabelle Ciaravola est toujours très agréable à suivre, avec au piano Tania Ichmoukhametoval. L’ancienne Étoile a le chic pour trousser des exercices très techniques, mais montés comme de véritables chorégraphies, donnant ainsi l’impression d’assister plus à un spectacle de ballet qu’à une classe de danse, d’autant plus que les apprenties danseuses ont de très nombreux passages seules en scène. Voilà six jeunes filles épanouies, matures artistiquement, sûres d’elles en scène : on ne peut plus appréciable pour le public. Isabelle Ciaravola insiste particulièrement dans ses remarques comme sur la construction des exercices sur la musicalité et le travail de bras. « Offrez-nous un peu de poésie« , lance-t-elle ainsi avant l’adage. Place ensuite à un pas de pointe comme une variation, poussant les filles à se dépasser techniquement (« Ne t’écoute pas, danse !« ), avec quelques références à des exercices de Christiane Vaussard. Vient les grands sauts, dont le placement en scène comme un vrai ballet pose au début quelques problèmes aux élèves, avant de passer à la coda et des fouettés périlleux. L’une des élèves, qui a droit à des fouettés à la seconde façon Études, fait ainsi une chute assez spectaculaire… avant de revenir en scène et de refaire son passage, cette fois-ci de façon impeccable. Tout le monde tombe, mais tout le monde n’a pas le cran de s’y remettre de suite en assurant, bravo à elle ! De façon générale, les fouettés ne semblent pas être la partie préférée des élèves, contrairement à des exercices faisant appel à la vivacité du bas de jambe. À l’exemple de la tarentelle finale, vraiment bien envoyée et dansée avec beaucoup de panache par route la classe ! Avant une très jolie révérence aux tons plus néo-classiques.
Pour les garçons classique de DNSP3, Gil Isoart mène sept élèves, accompagné par Naruko Tsuji. La classe est là encore très technique, avec des réflexions très précises sur le geste. Les exercices sont longs et bien dansés, montrant là encore une certaine maturité dans la classe, on sent que le monde professionnel n’est plus très loin. Voilà là encore 50 minutes très agréables à suivre. Aimant les challenges, Gil Isoart termine sa classe par la Mazurka d’Études de Harald Lander, un piège technique comme une difficulté pour le souffle, d’autant plus quand cela arrive à la fin d’une classe déjà soutenue et avec le masque (bravo vraiment aux élèves qui travaillent tous et toutes au quotidien masquées… On imagine la difficulté !). Le travail est encore en cours, il s’agit d’une première pour les élèves qui n’ont pu marquer la variation avant sur la scène de l’auditorium, mais l’ensemble est prometteur. Place enfin à un final montrant tout un ensemble de la grande technique masculine, brillant dans l’ensemble et qui finit le cours sur une très bonne note.
Quant au cursus de danse contemporaine, je n’ai pu regarder que deux places, mais montrant des pédagogies très différentes. Place d’abord aux DNSP3, 11 jeunes danseuses et danseurs, menés par Nathalie Pubellier. La professeure axe sa leçon sur « le lien qui unit le travail de l’ancrage au sol à la colonne« . La professeure semble déjà s’adresser à des professionnel.le.s, avec des réflexions plus axées sur la sensation, des choses très précises dans le corps, que la technique pure. Elle emploie son propre vocabulaire, que les élèves ont intégré et comprennent, mais qui ne rend pas forcément le cours le plus accessible possible au public plus néophyte. La classe reste néanmoins très agréable à regarder, avec là encore des personnalités artistiques épanouies, un groupe homogène et vivant. Les élèves démarrent par un échauffement, demandant de plus en plus de liberté articulaire du corps. Les exercices sont visiblement connus, mais chaque fois guidés par une réflexion demandant à se concentrer sur une partie précise du corps. L’on y parle beaucoup de sensations, d’autonomie, d’indépendance dans le travail. C’est aussi ce qui transparaît pour la suite du cours et un travail d’improvisation : « Faites un choix : quelle est l’action que je traverse ?« , donne ainsi pour consigne Nathalie Pubellier. Elle guide les élèves à travers une série de verbes, parfois inventés – le fameux « arcencieler« . À chacune et chacune de s’en saisir, de voir comment il résonne (ou non) dans son corps et comment, avec différents repères musicaux. Puis c’est une élève qui prend le rôle de la leader. Le geste, le mouvement, la sensation du corps, sont guidées par une intention intérieure.
Le cours de DNSP2 contemporaine, la classe d’en-dessous, mené par Daniel Ccondamines, est plus traditionnel et très technique. On y sent la très grande exigence demandée aux élèves de ce cursus, l’apprentissage de haut niveau et l’attention au moindre détail pour être le plus libre possible dans sa technique. Les exercices s’enchaînent sans temps mort, rapidement, ponctués de réflexions très précises, aussi bien sur le placement du corps que le placement dans la salle et par rapport aux élèves. L’échauffement est organique, musical, cherchant là encore à augmenter la liberté articulaire au fur et à mesure du cours, avant de très belles diagonales et exercices de sauts. Et c’est un vrai plaisir à regarder. On sent tous les élèves concentrés dans leur travail tout en montrant de très belles qualités de mouvements et de musicalité. La classe se termine par un travail de répertoire sur un extrait du Sacre du Printemps de Pina Bausch, exigeant dans sa précision du geste comme sur le mouvement du groupe et comment y trouver sa place. À noter enfin pour finir : le formidable accompagnement musical de ces deux classes par Déborah Shannon, musicienne qui jongle entre son piano, ses percussions et quelques machines, pour un plaisir des oreilles comme une grande richesse pédagogique.