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Une année à l’Académie Princesse Grace – En cours de danse

La saison dernière, nous avons suivi pendant toute une année les élèves du LAAC. Pour 2017-2018, DALP est allé un peu plus au sud, du côté de Monaco, pour suivre les élèves en dernière année de l’Académie Princesse Grace. Née en 1975, cette institution a pris un nouvel élan il y a quelques années en se rattachant aux Ballets de Monte-Carlo et au festival Monaco Dance Forum. Dirigée par Luca Masala, l’école a la particularité d’accueillir très peu d’élèves, une cinquantaine tout au plus, pour une formation la plus personnalisée possible. Recruté.e.s un peu partout dans le monde, ces étudiant.e.s ont de 13 à 18 ans. Et 100 % des diplômé.e.s décrochent un contrat dans une compagnie à la fin de leur formation. Premier épisode de notre série Une année à l’Académie Princesse Grace, entre cours de danse classique et workshop contemporain.

 

« Ce n’est pas juste une école de danse, c’est une école de la vie »

Il est 8h en ce lundi matin de début octobre. L’Académie Princesse Grace est installée dans une jolie villa à l’italienne, comme on en voit beaucoup dans la région, au cœur de la principauté. Salles de danse et d’étude, internat, réfectoire… Les élèves y vivent à l’année, ne rentrant chez eux.elles que trois ou quatre fois par an. « Ici, ce n’est pas juste une école de danse, c’est une école de la vie« , glisse Martino, 18 ans, en dernière année (et qui passe aussi son bac en Italie en juin). « Nous travaillons tellement dur… Pas seulement la danse classique, aussi la danse contemporaine, le pilates, la gym… Nous avons même des cours de cuisine ! C’est un endroit vraiment spécial« . Originaire d’Italie (de Venise plus précisément), Martino est parti tôt de chez lui, à 14 ans, pour deux ans d’étude à l’école de danse du Ballet de Vienne. C’est à 16 ans qu’il a rejoint l’Académie. Les futur.e.s diplomé.e.s dont il fait partie (l’Académie compte quatre années d’étude) prennent cependant régulièrement leurs cours dans les magnifiques studios des Ballets de Monte-Carlo, un peu plus haut. C’est là que nous les retrouvons pour le cours du matin.

Dans la grande salle, elles sont cinq filles de dernière année, toutes en justaucorps noirs, pour le cours de danse donné par Gioia Masala. La leçon de 1h45 est donnée en anglais, avec des pointes d’italien et de français. Japon, Corée, Mexique ou États-Unis, les filles viennent en effet des quatre coins du monde. Les élèves connaissent leur barre par coeur, démarrent par une petite révérence avant de se placer pour les pliés. Avec cinq élèves, il s’agit presque pour elles d’un cours privé, tout est passé au crible. L’ambiance est calme, sereine et concentrée. Au moment des dégagés, une élève, Ivana, s’arrête cependant : une douleur au mollet gauche s’est réveillée, la jeune fille a trop marché ce week-end dans les rues de la principauté. « Vous êtes là pour danser, pas pour marcher. Si tu as mal pendant week-end, tu restes dans le patio de l’Académie, et c’est tout« , lui rappelle Gioia Masala. Rien de grave cependant, mais la ballerine doit s’arrêter pour aujourd’hui. 

 

Le soleil apparaît dans le studio pendant les ronds de jambe. Tout s’enchaîne rapidement, le rythme est soutenu. Les corrections sont peu nombreuses, mais précises, avec une insistance sur le travail du pied. Au milieu, place aux pointes. Minji et Yuka montrent des lignes magnifiques, Yuria une belle rapidité dans le travail du bas de jambe, Natatia est très expressive. Beaucoup de corrections sont faites sur le haut du corps, les détails du placement de la tête, des mains. Les exercices sont d’ailleurs très dansés, très agréables à regarder, avec un joli travail du haut du corps. « Pensez au public. Tout doit sembler facile« . Sans oublier la propreté du mouvement, toujours. « Tu peux ne faire qu’une seule pirouette, mais tu la termines bien« , insiste la professeure. « C’est une correction que je vous ai déjà faite une fois, je n’ai pas à la répéter. Cet exercice je veux qu’il soit parfait vendredi« .

Assimiler vite, et gagner en assurance aussi. « Tu as des lignes magnifiques. Prends confiance en toi et sers-toi en« , lance ainsi Gioia Masala à une élève. « Attention, c’est trop vite Yuria, on dirait que tu stresses. Tu dois demander de l’aide aux garçons pour les sauts. Avec les jambes magnifiques que tu as, tu peux faire l’entrechat 6« . Et un grand saut pour finir. « Vous êtes fatiguées ? Mais sautez s’il vous plaît ! Il vous reste deux minutes de cours !« . Révérence et applaudissement, puis rapide départ au vestiaire pour les filles : elles doivent revenir à l’Académie Princesse Grace pour leur cours de Pilates.

 

« Un bon danseur, tu ne regardes pas sa technique, tu regardes comment il danse »

La salle est ensuite occupée par les garçons, les troisièmes et quatrièmes années, pour leur cours de danse classique de 2h donné par Michel Rahn. Les élèves, là encore, ne sont que quatre. La barre est plus dense et très méthodique, toute la technique y passe, avec beaucoup de corrections. « Demandez-vous tout le temps : à quoi sert cet exercice ? Le pied dans la main, oui, c’est un stretch. Mais le but est aussi d’avoir la parfaite position en passant à la seconde« . Le professeur demande aussi aux élèves de s’individualiser un peu plus. « C’est un processus très important. Vous êtes responsables de votre travail. Corrigez-vous vous-même. N’attendez pas que je le fasse si vous savez quoi faire ». L’indépendance dans le travail, un point sur lequel doit particulièrement travailler Martino. « Il faut beaucoup lui répéter les choses. C’est normal, il est jeune« , explique Luca Masala, le directeur de l’école. « Son but cette année est d’acquérir cette maturité, pour qu’il puisse travailler par lui-même l’année prochaine, en compagnie. Il faut qu’il s’y retrouve si le maître de ballet n’est pas focalisé sur lui« . 

Passage au milieu. Là encore, le travail est mis sur le placement et le travail du haut du corps, une certaine expressivité, et d’être conscient de ce que l’on fait. « Cet exercice est à propos du relevé, pas de faire de multiples pirouettes« , insiste Michel Rahn. « Vous devez vous concentrer sur la jambe de terre« . Et de se méfier aussi du miroir. « Tu regardes ce que tu es en train de faire. Ne te regarde pas : fais. C’est un tic, tu dois t’en débarrasser, sinon tu le garderas toute ta vie. Tu dois me faire confiance. Si tu te regardes dans la glace, pendant le renversé, la position de ta tête n’est plus la bonne« . Le professeur décortique beaucoup les exercices, se penche sur chaque position, chaque mouvement. Les quatre élèves ont globalement une allure assez athlétique, avec de belles qualités de sauts. « Sentez toujours la musique . Il n’y a rien de pire que de voir un garçon qui ne fait que sauter, sans sentir la musique« , appuie Michel Rahn. « Il nous aide à nous concentrer sur les bonnes choses« , explique Martino. « Tout doit être fait avec le haut du corps, les bras, la tête. Maintenant, je comprends vraiment comment danser. Un bon danseur, tu ne regardes pas sa technique, tu regardes comment il danse. J’essaye d’aller dans ce sens. Je dois me sentir plus libre, je pense beaucoup à mes bras en ce moment. Je commence à comprendre ce qu’il faut changer« .

 

« Vous devez penser que chaque mouvement que vous faites est le premier et le dernier de votre vie »

À midi, les garçons retrouvent les filles à l’Académie Princesse Grace pour le déjeuner. Puis direction le grand studio bleu de l’école (et sa jolie vue sur le port monégasque) pour le cours de danse contemporaine. L’année dernière, Benjamin Lamarche était venu remonter un pas de deux de Claude Brumachon pour le spectacle. Le courant est passé, et il revient pour donner quelques cours de danse contemporaine (dans un fran-glais irrésistible). Il s’agit d’ailleurs du premier cours, et l’on sent chez les élèves comme une légère appréhension. Garçons et filles de dernière année sont là, ainsi que les danseuses de troisième année. Tout démarre par un exercice a priori simple, au sol. A priori, donc, car la façon de bouger, assez organique, mouvante de la tête aux pieds et sans jamais s’arrêter, peut être nouvelles pour les étudiant.e.s. « Imaginez que vous êtes le maître du temps. Le .la danseur.se ne suit pas la musique, c’est la musique qui le.la suit. Chaque mouvement est aussi important que celui d’avant et celui d’après. Comme dans la vie. Vivre et danser, c’est la même chose !« , lance pour les guider le professeur, qui n’est pas avare en énergie et démonstration. Les élèves ne sont pas forcément à l’aise avec ce qui leur ait demandé. Mais chacun.e y met du sien, il y a des sourires sur les visages, l’envie de bien faire.

Place à un deuxième exercice, toujours au sol, mais par duo ou trio. « Vous devez essayer de danser, pas de faire le mouvement« , explique Benjamin Lamarche. « Je suis sûr que tout le monde vous dit ça, dans d’autres cours, avec d’autres mots« . Il demande si un élève veut bien le faire avec lui. Shale, un garçon de dernière année brillant en cours de danse classique, lève la main. L’exercice se refait de plus en plus rapidement, puis de façon plus syncopée : le.la camarade donne le coup d’envoi de chaque mouvement en frappant le sol, pour travailler l’immédiateté du geste. « Vous devez penser que chaque mouvement que vous faites est le premier et le dernier de votre vie. C’est pas mal. Pas assez vivant, pas assez vrai, mais c’est normal« , encourage le professeur.

 

Le troisième exercice se fait debout, toujours en duo, avec quelques déplacements. Il s’agit de travailler avec son.sa partenaire, de réagir avec lui.elle. « Imagine que tu es une planche de bois sur l’eau. Donc si je te pousse, tu bouges, mais tu résistes. Mais ce n’est pas une résistance humaine, ce n’est pas un combat« . Pas facile à comprendre pour les étudiant.e.s. Mais petit à petit, les élèves se détendre, montre moins d’appréhension dans le geste, quelques rires fusent. L’exercice se refait avec tout le corps, avec des tombés dans les bras du.de la partenaire. Il s’agit de travailler différentes façons de s’approcher, de se toucher, de s’accrocher. « J’étais intimidé au début, presque effrayé« , raconte Martino après le cours. « C’était quelque chose de très fort, de puissant, dans le bon sens du terme. J’ai eu la sensation de se sentir ensemble. J’ai vraiment beaucoup aimé« .

 

Prendre en main les plus jeunes

En dehors des cours de danse, les élèves de dernière année doivent aussi préparer leur dossier pour leurs auditions : des photos, des vidéos, un CV, une lettre de motivation. Et de dresser la liste des compagnies souhaitées. « J’ai quatre choix de rêve : Stuttgart, Vienne, Munich et l’ENB« , raconte Martino. « Je vais tout faire pour y arriver et beaucoup travailler« . Le choix a été validé par Luca Masala. « Il a ses chances« , explique-t-il. « Martino a un beau potentiel et de belles qualités physiques pour la danse, qu’un.e directeur.rice de compagnie voit tout de suite« . Et de se souvenir.  « Martino a beaucoup changé. Quand il est arrivé, il était colérique, il n’était pas facile à cerner, il ne rentrait pas dans le groupe. Il a beaucoup mûri là-dessus« . Une description dans laquelle se retrouve le jeune danseur. « Ma première année à Monaco fut difficile« , reconnaît-il. « J’avais 16 ans, je ne parlais pas aux autres, je restais dans mon coin. Petit à petit, je me suis ouvert« . En trois ans à l’Académie, il a aussi appris à prendre soin de son corps. « En première année, je me suis blessé deux jours avant le spectacle« , se souvient-il. « J’ai appris à gérer, j’ai énormément progressé en tant que danseur. J’ai de la chance, je suis grand, j’ai un corps fait pour la danse« .

Les plus jeunes danseurs et danseuses de l’Académie Princesse Grace ont 13 ans. Et Luca Masala aimerait bien que le petit groupe des futur.e.s diplômé.e.s, dont fait partie Martino, les prenne un peu plus en charge. « Il n’y a pas encore de leader dans le groupe, mais beaucoup de personnalités fortes. Ils visent leur rêve, mais ils n’ont pas encore compris l’esprit de groupe, ce qui est normal car ils sont jeunes. Et un.e danseur.se doit être égoïste quelque part, il faut travailler dur« . L’année dernière, les diplômé.e.s étaient un peu plus âgé.e.s, plus nombreux aussi, et organisaient beaucoup de choses pour les autres élèves. Ils demandaient aussi de pouvoir occuper un ou deux jours l’appartement des invité.e.s des Ballets de Monte-Carlo, pour apprendre à vivre en autonomie. « Il y avait un sens du groupe plus fort », reconnaît Luca Masala. « Aujourd’hui, dans cette promotion, il n’y a pas encore ça. Martino, j’espère, va donner l’exemple aux plus jeunes. Il a fait beaucoup de petites fautes plus jeunes, mais il a mûri. Il faut qu’il montre ce chemin aux plus jeunes« .

 



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