[Centenaire Merce Cunningham] Un Event avec l’école du CNDC à la Maison de la Danse
Si 2018 a été l’année Jerome Robbins, 2019 sera Merce Cunningham, marquant en effet le centenaire de naissance du chorégraphe, maître de la post-modern dance aux États-Unis. Si l’anniversaire tombe le 16 avril, la Maison de la Danse de Lyon a pris un peu d’avance, en proposant le 26 janvier un « Event » dans ses locaux, par les élèves de l’école du CNDC d’Angers. Le Centre National de Danse contemporaine est en effet devenu le coeur de la transmission de l’oeuvre de Merce Cunningham depuis 2013 et l’arrivée à sa direction de Robert Swinston, un proche du chorégraphe américain. Un Event, c’est un spectacle dans un lieu qui n’est a priori pas conçu pour ça, faisant appel au hasard dans sa construction, jouant aussi avec le public pour créer un moment qui sera forcément unique. Une notion du spectacle vivant fondamentale dans l’oeuvre de Merce Cunningham.
« Si Merce Cunningham est le pape de la post-modern dance, Trisha Brown en est la papesse« . Ainsi Dominique Hervieu, la directrice de la Maison de la Danse de Lyon, introduit le spectacle dédié à Trisha Brown par le Ballet de l’Opéra de Lyon. Cette programmation a e effet été l’occasion d’un focus sur Merce Cunningham, avec l’organisation d’un Event avant le spectacle. Tout a commencé en fait quelques heures plus tôt, dans le studio Jorge Donn. Robert Swinston, le directeur du CNDC d’Angers, a amené avec lui une vingtaine d’élèves de l’école du Centre National de Danse contemporaine. La formation n’est pas axée sur Merce Cunningham, les élèves partent dans différentes compagnies à la fin de leurs études. L’on n’est donc pas dans la pure technique Cunningham (cela se ressent un peu dans le travail des bras) mais les étudiant.e.s ont toutefois l’habitude de prendre ces cours, ce qui permet d’avoir un bon aperçu de ce qu’est une « classe Cunningham ».
Ici, le cours dure une heure, sans temps mort, enchaînant des séries d’exercices en général assez courts. Les exercices sont familiers pour les habitué.e.s de la danse classique : pliés, dégagés, développés, etc. Mais tout se fait au milieu, avec un mélange d’en-dehors et de parallèle, de déplacement du poids du corps, d’un haut du corps de façon général plus mobile. Robert Swinston n ‘est pas forcément très bavard et ne donne pas spécifiquement de correction (c’est parfois un peu frustrant pour le public), mais l’application des élèves donne un cours agréable à regarder. La majeure partie du cours est consacré à l’échauffement (ce que l’on pourrait considérer comme une barre, même s’il n’y en a pas). La leçon se termine par des traversées, des sauts et des diagonales de grands jetés. Le tout sur des musiques plutôt sympathiques, alternant des airs au piano, Under the sea (oui oui, La Petite sirène), Funkytown ou Charles Trenet (mais rendons à César… la playlist vient d’un ancien danseur du CNDC, Lucas Viallefond).
Les élèves restent ensuite dans le studio pour se préparer pour le Event, pendant que le public se dirige dans une autre salle pour une conférence d’Annie Sucquet, historienne de la danse, sur ce qu’est justement un Event, une notion clé dans l’œuvre de Merce Cunningham. Petit retour en arrière. En 1964, la Merce Cunningham Dance Company a une petite dizaine d’années d’existence et a du mal à trouver des engagements. Quand arrive une proposition du Musée du XXe siècle de Vienne. Ce n’est pas un lieu pour la danse, ni un théâtre : la troupe ne peut danser que dans le large hall, entouré de baies vitrées. Merce Cunningham ne va donc pas y créer un spectacle, mais son premier « Event » : un « événement » au milieu du public, reprenant des extraits de ses pièces sur des musiques différentes. Il y a deux espaces de danse, donc deux expériences de danse en même temps, et les spectateurs et spectatrices peuvent circuler entre les deux. L’Event dure 3 heures. Au cours de la performance, l’on voit le soleil se coucher à travers les baies vitrées, puis les phares des voitures qui passent le long de la rue. Cela dessine ainsi la vision du spectacle vivant de Merce Cunningham : un événement qui sera forcément unique, qui ne pourra pas se reproduire tel quel le lendemain, et où le hasard (le mouvement du public, de la lumière des voitures…) entre en jeu.
L’Event prend ainsi une place de plus en plus importante dans les performances de la Merce Cunningham Dance Company. Au début, ils portent un nom, un numéro : après le 500e, le chorégraphe arrête de les compter. L’Event se transforme : le chorégraphe peut choisir d’y donner une pièce dans son intégralité (mais sur une autre bande-son pour y renforcer la notion de hasard), de créer une pièce spécialement pour l’Event, de montrer des oeuvres en cours de création… Contrairement au premier Event où un plasticien y oeuvrait en même temps, la place n’est faite qu’à la danse, petit à petit. La durée d’un Event raccourcit aussi, tournant plus autour d’1h30. Mais il se déploie dans d’autres lieux, notamment en plein air : la Merce Cunningham Dance Company propose ainsi des Events dans les théâtres antiques de Grèce, sur la place Saint-Marc de Venise, dans la cours du Palais des Papes d’Avignon, aussi dans des lieux publics comme la grande Gare Centrale de New York. Les Events retrouvent ensuite les théâtres traditionnels, dans les foyers, les halls d’entrée.
L’Event représente finalement tout le travail de Merce Cunningham sur ce qu’est un spectacle, avec une situation qui libère le public. Le chorégraphe ne veut pas imposer une émotion : c’est au public de trouver son propre cheminement. Un cheminement qu’il n’a pas forcément l’habitude de prendre. Ainsi, quand l’Event du CNDC d’Angers démarre, chacun prend une chaise ou s’assoie contre le mur, sans bouger… comme lors d’un spectacle traditionnel. Une dizaine d’étudiants et étudiantes sont cette fois-ci en scène, dans le hall de la Maison de la Danse. On y retrouve, notamment chez les danseuses, les interprètes collant le mieux à l’esthétique de Merce Cunningham. Moment de groupes, solo (notamment un très peu solo féminin)… les élèves reprennent quelques extraits de pièces, notamment Biped, sur des musiques différentes. Si le public du début reste sagement assis, le hasard arrive avec le hall qui se remplit avant le spectacle du Ballet de l’Opéra de Lyon, qui démarre juste après. Le brouhaha se fait plus insistant, des curieux se glissent et repartent, même si personne n’ose vraiment circuler dans l’espace de la danse, même contre le mur. Pas facile pour le public de prendre une liberté quand il n’y est plus habitué !