Décès d’Alicia Alonso, la Prima Ballerina Assoluta de Cuba
Alicia Alonso, Danseuse Étoile mythique du XXe siècle, monstre sacré de la danse à Cuba et dans le monde, est décédé le jeudi 17 octobre 2019, à l’âge de 98 ans. Fabuleuse ballerine classique, qui a notamment marqué de son empreinte le rôle de Giselle, elle a dirigé pendant plus de 70 ans d’une main de fer le Ballet National de Cuba, faisant vivre et prospérer la grande école de danse cubaine, qui a formé de nombreuses Étoiles aujourd’hui dansant un peu partout dans le monde.
Un destin hors du commun
Alicia Alonso faisait partie de ces quelques monstres sacrés de l’histoire de la danse. De par son talent d’interprète, la longévité de sa carrière aussi bien de ballerine que de directrice, aussi par son parcours hors normes, intimement lié à l’histoire de Cuba, pays qu’elle a toujours refusé de déserter. Née à La Havane le 21 décembre 1920, Alicia Ernestina de la Caridad del Cobre Martínez del Hoyo commence la danse presque par hasard, à 11 ans. À 15 ans, elle se marie avec son partenaire de danse, Fernando Alonso, prenant son nom pour s’appeler le restant de sa vie Alicia Alonso. Devenue maman quelques mois plus tard, elle part aux États-Unis avec son mari, à New York, prendre des cours à la School of American Ballet et démarrer sa carrière professionnelle. Mais à 22 ans, un double décollement de rétine la rend presque aveugle. Alicia Alonso reste un an alitée… avant de faire sa prise de rôle de Giselle, guidée par les ombres de projecteurs en coulisse, sur la scène new-yorkaise. Un rôle qui lance sa carrière et qui la suit toute sa vie. « Si Alicia Alonso est née, c’est pour que Giselle ne meure jamais« , dit-on ainsi à Cuba.
Alicia Alonso danse les grands ballets du répertoire pendant une dizaine d’années à l’American Ballet Caravan, précurseur du New York City Ballet. Mais en 1948, elle rentre à Cuba, désireux d’y développer la danse. Elle fonde sa troupe, le Ballet Alicia Alonso, plus tard appelé le Ballet National de Cuba, ainsi que son école. Ses nouvelles fonctions ne l’empêchent pas de danser : Alica Alonso ne rangera ses chaussons qu’en 1995, à l’âge de 74 ans. Giselle, son rôle emblématique, est à l’image de l’école cubaine qu’elle développe : une danse généreuse, extrêmement virtuose et technique, à la fois pleine de vie et aussi profondément romantique, porté par l’art de l’adage. Si l’on a ainsi l’habitude de citer Don Quichotte comme l’un des grands spectacles du Ballet de Cuba, Giselle reste peut-être encore plus emblématique. Alica Alonso a d’ailleurs monté une version de ce ballet, dansé par sa troupe mais aussi par des compagnies étrangères, comme le Ballet de l’Opéra de Paris qui l’a dansé dans les années 1970-1980.
La force de l’école cubaine
Profondément patriote, Alicia Alonso n’a jamais souhaité partir de Cuba, malgré de nombreuses propositions. Mais elle emmenait son Ballet National de Cuba en tournée, un peu partout dans le monde. À travers son école de danse, elle a formé énormément de talents. Certains sont restés à Cuba, d’autres ont préféré partir à l’étranger. Ce fut le cas ainsi de Carlos Acosta, magnifique danseur exemple de l’école cubaine, brillante Étoile du Royal Ballet dans les années 2000. À la fin de sa carrière, il a voulu monter sa propre compagnie à Cuba, l’Acosta Danza, critiquant parfois la mainmise d’Alicia Alonso sur la danse à Cuba. La danseuse n’a en effet jamais voulu laisser sa place à la tête de la compagnie, malgré l’âge et les productions de plus en plus vieillissantes du Ballet du Cuba, qui ces dernières années semblaient sortir d’un autre âge, malgré la vitalité intacte de ses artistes. Carlos Acosta fut néanmoins l’un des premiers à saluer la mémoire d’Alicia Alonso : « Maman nous a quittés, elle était la plus grande de toutes les stars. Alicia Alonso… immortelle ! Fille d’une petite île des Caraïbes, elle s’est imposée face à toutes les barrières de ceux qui disaient que le ballet était un art de pays développés, que le physique et le tempérament latins n’allaient pas avec les exigences de la danse classique« .
De nombreux danseurs et danseuses, qu’ils et elles soit de Cuba ou non, ont aussi salué la mémoire d’Alicia Alonso. Ballerine qui a connu tous les grands chorégraphes du XXe siècle, qui a dansé tous les grands rôles du répertoire, elle aimait partager ses souvenirs et apprendre à la jeune génération. Jusqu’au bout, elle a accompagné sa troupe, assise dans la salle, venant saluer à la fin, toujours élégantes avec son foulard et son rouge à lèvres. Pour la jeune génération, voilà l’image que laisse Alicia Alonso, en dehors de quelques souvenirs venus de Youtube : une petite dame toute frêle, venant saluer à la fin des tournées parisiennes du Ballet de Cuba, porté par ses danseurs et danseuses la regardant comme la légende qu’elle était.