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Julie Guibert nommée directrice du Ballet de l’Opéra de Lyon – Pétition de soutien à Yorgos Loukos

La semaine a été mouvementée pour le Ballet de l’Opéra de Lyon. D’abord l’annonce de la nomination de Julie Guibert à sa tête, le 13 février, en remplacement de Yorgos Loukos, licencié par son conseil d’administration après avoir été jugé coupable en appel de discrimination envers une de ses danseuses parce qu’elle avait eu un bébé. Puis le 18 février, la publication d’une tribune dans Libération signée d’une centaine de très grands noms de la danse (de Mats Ek à Brigitte Lefèvre) en faveur de Yorgos Loukos, demandant son maintien à la tête de la troupe sous peine d’éventuellement retirer leurs oeuvres de la compagnie. Mais dès le lendemain, plusieurs d’entre eux (dont William Forsythe ou Benjamin Millepied) ont fait savoir qu’ils n’avaient pas signé cette lettre ouverte, soutenant Yorgos Loukos mais n’étant pas en faveur de mesures coercitives. Retour sur une semaine complexe pour une compagnie d’excellence, mais qui se cherche un nouveau souffle.

Le Ballet de l’Opéra de Lyon en répétition

Julie Guibert, nouvelle directrice à Lyon

Novembre 2017. Alors que le mouvement #MeToo vient d’émerger, Yorgos Loukos, le directeur du Ballet de l’Opéra de Lyon, est condamné à six mois de prison avec sursis et 6.000 euros d’amende pour discrimination et harcèlement moral envers une de ses danseuses, Karline Marion, qui l’accuse de ne pas l’avoir reconduite en raison de sa récente maternité. Le directeur, qui dirige la troupe depuis 1991, est une personnalité qui compte énormément dans le monde de la danse. Dans un milieu où la parole est très loin d’être libérée, très peu de victimes osent parler, les condamnations sont encore plus rares.

Yorgos Loukos fait appel du jugement. Ce dernier est rendu en décembre 2019. Si le verdict de harcèlement est rejeté, le directeur est une nouvelle fois reconnu coupable de discrimination envers cette ballerine. Deux mois plus tard, suite à cette décision, le conseil d’administration de l’Opéra de Lyon décide de licencier Yorgos Loukos. Il est remplacé quelques jours plus tard par Julie Guibert, ancienne danseuse de la troupe passée également par le Ballet Cullberg, interprète de Russel Maliphant, Trisha Brown ou Christian Rizzo.

Le choix de Julie Guibert pour prendre la tête du Ballet de l’Opéra de Lyon semble naturel : voilà une personnalité d’expérience, qui connaît la maison tout en ayant eu de multiples autres expériences. Une décision justifiée sur le fond, car le Ballet de l’Opéra de Lyon a besoin d’un sérieux renouveau. Au début des années 1980, Françoise Adret porte ce ballet vers le haut et en fait l’une des troupes de référence de la danse contemporaine, comme le rappelle ScèneWeb. Yorgos Loukos continue dans cette lignée dès 1991. Mais au bout de plus de 25 ans de direction, la troupe tourne logiquement en rond. Les interprètes sont tous d’excellent niveau, mais le répertoire comme les saisons semblent ronronner depuis deux ou trois ans. Sans prendre en compte la décision de justice, il semblait évident que la direction de Yorgos Loukos touchait à sa fin, d’autant plus qu’il arrive à l’âge de la retraite.

Sur la forme, la décision de changer de direction semble opaque, intervenant sans aucun appel à projet. Cependant, le départ de Yorgos Loukos semblant arriver à court terme – il aurait en fait déjà dû partir la saison dernière et il était entendu qu’il partait à la fin de la saison 2019-2020 – certain-e-s candidat-e-s s’était fait connaître auprès de la direction de l’Opéra de Lyon. Un changement devait de toute façon être annoncé cette saison, même si les rumeurs internes évoquaient un profil un peu plus Danse classique que ne l’est Julie Guibert.

Fin janvier, alors que le Ballet de l’Opéra de Lyon était en scène pour un programme Nacho Duato/Mats Ek/Johan Inger, plusieurs noms circulaient en interne. À ce moment-là, Yorgos Loukos n’était pas encore licencié mais plusieurs membres de la troupe s’accordaient sur le fait que la situation n’était pas tenable en l’état, même s’il était à ce moment-là entendu que le directeur prendrait sa retraite six mois plus tard, à la fin de la saison. L’on y disait aussi qu’il avait le soutien de nombreux chorégraphes, dont l’un qui présentait une de ses oeuvres lors de cette soirée et qui était prêt à retirer le droit de ses ballets à la troupe si Yorgos Loukos était débarqué.

 

Une tribune qui fait débat

Le 18 février, Libération publie une tribune de soutien à Yorgos Loukos, menée par Maguy Marin et Ariane Mnouchkine et signée par une centaine de personnalités très prestigieuses du monde de la danse : Jiří Kylián, William Forsythe, Brigitte Lefèvre, Benjamin Millepied, Lucinda Childs, Mats Ek, Sylvie Guillem, Mathilde Monnier… Des chorégraphes, mais aussi des directeurs et directrices de festival et de théâtre. La tribune ne fait pas qu’apporter son soutien à Yorgos Loukos. Elle réécrit aussi les faits en dénigrant une décision de justice et présentant celui qui a été jugée coupable comme une victime, soit de règlement de comptes en interne, soit d’une danseuse voulant se venger. Danseuse reconnue victime par la justice, qui a perdu son travail dans cette affaire et qui n’a pas le réseau de Yorgos Loukos pour se défendre dans ce que l’on peut appeler un tribunal médiatique. La tribune se termine par une menace, indiquant que si le directeur n’était pas remis dans ses fonctions, « il est à craindre que les chorégraphes signataires n’auraient d’autres solutions que de retirer leurs œuvres du répertoire du Ballet de l’Opéra national de Lyon« .

Le Ballet de l’Opéra de Lyon au travail dans son studio.

Mais la tribune n’a peut-être pas été suffisamment préparée. Le lendemain de sa publication, William Forsythe indique qu’il n’a pas signé ce texte. Même si le chorégraphe apporte son soutien à Yorgos Loukos, il précise dans une lettre adressée à Libération qu’il a « été sollicité » pour signer cette tribune, mais qu’il ne l’a pas accepté. « La lettre porte sur des problématiques internes à l’Opéra dont je n’ai ni la connaissance, ni l’expérience, et parce que je suis en désaccord avec la démarche coercitive de vouloir retirer des œuvres du répertoire du ballet de l’Opéra de Lyon« . Benjamin Millepied indique sur les réseaux qu’il n’a pas non plus signé ce texte. Mais sollicitées par Libération, Maguy Marin et Ariane Mnouchkine, les initiatrices de cette tribune, indiquent dans un erratum qu’elles ont bien eu une réponse positive de sa part. Jiří Kylián se défend lui aussi d’avoir signé ce texte, comme il le dit à ScèneWeb : « Je n’ai jamais dit que j’entendais retirer les ballets de la compagnie lyonnaise quel que soit le changement de situation« , même s’il réaffirme son soutien à Yorgos Loukos. Plusieurs signatures, faisant de même, se défendent d’être en accord avec de telles mesures coercitives.

Mesures qui peuvent de toute façon être difficiles à appliquer, les droits des oeuvres se négociant par contrat de plusieurs années et étant encore en cours actuellement. De plus, le Ballet de l’Opéra de Lyon se distingue par un répertoire vaste, ne dépendant pas de quelques chorégraphes. Il est donc peu probable de voir le répertoire de la compagnie décimé, comme le conseil d’administration de revenir sur sa décision. Cette tribune ne devrait donc avoir que peu d’impact concrètement sur la troupe. Il est par contre regrettable de lire de tels propos à l’heure où le phénomène #MeToo n’a pas encore atteint le monde de la danse, trop peu de victimes osant parler. Toutes ces personnalités ont de très fortes responsabilités dans le monde de la danse. On aurait aimé les entendre pour mettre en place des actions visant à lutter contre les discriminations sexistes et le harcèlement, encore bien trop présents dans le monde de la danse. On ne les aura donc entendues, pour l’instant, que pour soutenir l’un des leurs condamné par la justice, et pour disqualifier une danseuse dans sa démarche de porter plainte et dans son statut de victime.

Julie Guibert aura pour sa part un projet ambitieux à mettre en place pour le Ballet de l’Opéra de Lyon, tournant un peu en rond depuis quelques saisons. Mais ses interprètes sont toujours d’exception, et tout est là pour donner une nouvelle dynamique à cette troupe qui le mérite. 

 




 

Comments (3)

  • Marin Favre

    Très bon article, merci !

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  • tout à fait d’accord, merci bien pour toutes ces informations.Pourquoi une danseuse devrait-elle perdre son emploi sous prétexte qu’elle donne la vie …?

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  • Rouvière Mathieu

    Ce n’est pas mon habitude de poster sur les réseaux sociaux mes pensées et de m’étendre sur ce que je ressens.
    Mais le contexte délétère de ces dernières semaines me pousse à me poser devant mon clavier et à donner mon opinion.

    Je ne suis ni chorégraphe, ni créateur ni quelqu’un d’important ou de connu. Je ne suis qu’un ancien danseur. Un ancien danseur de l’opéra de Lyon.
    Je n’ai pas accès aux « journalistes » de Libération, de Télérama ou à d’autres media, mais j’ai quand même un mot à dire et j’aimerais qu’il soit lu et entendu.
    Contrairement à beaucoup de personnes qui ont partagé leurs opinions sur Karline Marion, moi, je l’ai connue en tant que danseuse et collègue.
    Contrairement à tous ceux qui osent dire qu’elle n’était pas à la hauteur sans l’avoir jamais vue sur scène, moi, j’ai été témoin de son incroyable talent. J’ai vu les chorégraphes la regarder avec fierté lorsqu’elle défendait leur travail, avec passion et respect. Toujours douce et de bonne humeur elle était la collègue parfaite. Elle n’avait pas une once de méchanceté en elle et c’était un vrai honneur de travailler a ses cotés.
    Je ne comprendrai jamais comment certains peuvent prendre la parole, juger et rabaisser une personne, alors qu’ils ne connaissent même pas celle qu’ils dénigrent. Comment osent-ils tenir des propos aussi blessants, quasi insultants à l’encontre d’une artiste avec qui ils n’ont jamais eu de contacts au quotidien??

    Karline a toujours respecté tout le monde, chorégraphes, assistants, collègues, et c’est pour cela que je tenais à écrire ces quelques lignes car avec ce qui se passe depuis quelques semaines, on nous ferait presque croire que le coupable a changé de camp… et ça je ne le tolèrerai jamais.

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