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Lecture et décryptage du rapport sur la diversité à l’Opéra de Paris

Même si ses deux salles sont fermées depuis maintenant plusieurs mois, l’Opéra de Paris continue d’occuper le champ médiatique ces derniers jours, avec la parution début février de l’attendu Rapport sur la diversité à l’Opéra de Paris, mené par Pap Ndiaye et Constance Rivière. Et les réactions ont parfois été vives, du côté des favorables à ce rapport comme de ses opposant.e.s. Alors qu’en est-il réellement ? DALP l’a lu et vous en fait un résumé, avec un regard forcément subjectif. Le rapport n’évite pas certains clichés et naïvetés. Mais le contenu reste toutefois prudent et modéré – il ne s’agit pas de renverser la table – tout en apportant des recommandations qui pourraient être efficaces pour éviter différentes discriminations. Retour en détail sur ce rapport qui, de par les réactions qu’il provoque, montre aussi le rapport parfois complexe et complexé qu’entretient l’institution comme le public avec la vaste et large question de la diversité.

Le Défilé du Ballet et de l’École de Danse de l’Opéra de Paris en janvier 2021

 

Un rapport sur la diversité – Comment et pourquoi

Cet automne, un manifeste « De la question raciale à l’Opéra national de Paris » a été diffusé, écrit par Binkady-Emmanuel Hié (salarié de l’AROP – Association pour le rayonnement de l’Opéra de Paris) et cinq danseurs et danseuses du Ballet de l’Opéra de Paris (Guillaume Diop, Letizia Galloni, Jack Gasztowtt, Awa Joannais et Isaac Lopes Gomes). Il s’agissait de parler des agissements discriminants envers les personnes noires, allant aussi bien de produits de maquillage non adaptés à des réflexions d’un autre âge, comme des appellations à connotation raciste (par exemple : la danse des négrillons dans La Bayadère) ou la demande d’arrêter les maquillages « blackface » (un artiste blanc se maquillant le visage en noir). Tout en restant très respectueux de l’institution, ce manifeste pointait du doigt des pratiques d’un autre âge, qui s’apparentent à de la discrimination pour les artistes noirs, et faciles à supprimer. C’est d’ailleurs ce qui a été fait : l’Opéra de Paris a déjà annoncé l’arrêt des « blackface » tout comme la mise à disposition de produits de maquillage, coiffure et tenues de danse aux couleurs de peau de chacun et chacune.

Alexander Neef, le nouveau directeur de l’Opéra de Paris depuis septembre, a cependant tenu à aller plus loin en demandant un rapport sur la diversité à l’Opéra de Paris à deux personnalités indépendantes : Pap Ndiaye (historien) et et Constance Rivière (secrétaire générale de la Défenseure des droits). Ils ont interrogé pendant trois mois une centaine de personnes, salarié.e.s de l’Opéra de Paris, ancien membre de l’institution ou liés d’une façon ou d’une autre au monde de la danse. À l’exception cependant notable d’historiens et historiennes de la danse (notamment de la danse du XIXe) et de médecins du sport, ce qui laisse parfois passer dans ce rapport des erreurs assez fondamentales.

Le rapport a été rendu public le 8 février. Voici ce que DALP en retient, en reprenant les chapitres du document. Le rapport est disponible dans son intégralité en ligne.

La Bayadère à l’Opéra de Paris (2010) – Le Royaume des Ombres

Introduction

En préambule, le rapport rappelle le contexte : le meurtre de George Floyd aux États-Unis (qui a certes aussi engendré des mouvements de protestation en France, mais la question de la diversité dans la culture française ne date pas d’hier) et le manifeste évoqué plus haut. Une volonté « déclenchée par la double constatation de la mobilisation antiraciste et de la prudence que l’Opéra a longtemps manifestée sur ces questions« . Un point juste : évoquer la question de la diversité auprès de responsables de l’institution a toujours provoqué des réponses fuyantes. Ce qui n’est non pas la marque d’une institution qui serait volontairement discriminante, mais plutôt d‘un certain malaise face à des réflexions complexes qui ont du mal à être menées à bien. Un bon exemple : parler de Jean-Marie Didière (danseur noir) ou Kader Belarbi (d’origine algérienne) pour affirmer qu’il n’y a aucune discrimination au sein du Ballet. Évoquer quatre ou cinq artistes sur 40 ans montre pourtant un problème, qui ne relève d’ailleurs pas proprement de l’institution, mais qui existe bel et bien.

L’introduction se veut néanmoins prudente et apaise d’office le débat : « Il ne saurait être question à travers notre rapport de remettre en cause l’histoire de l’Opéra national de Paris, son excellence, et sa mission« .

 

Chapitre 1 – Histoire et tradition : l’opéra, le ballet et la représentation des ‘Autres’

Les ballets blancs

« Dans les années 1950, certaines ballerines étaient moins fines qu’aujourd’hui, d’autres étaient de petite taille. La diversité morphologique était plus grande. Pour autant, il n’a jamais été question de diversité mélanique ».

« Il est clair que les notions de ballet blanc et d’acte blanc doivent être repensées pour que la grâce et l’harmonie qui s’en dégagent n’aient plus rien à voir avec la couleur de la peau des danseuses – ce qui signifie concrètement renoncer à blanchir les peaux et faire confiance au talent des artistes pour que la danse, et non la peau, captive le public, l’apparence spectrale pouvant être traduite de mille autres manières ».

Faute d’historiens et historiennes, le rapport démarre malheureusement avec un certain flou autour des actes blancs des ballets du XIXe siècle, laissant entendre que l’adjectif « blanc » est aussi associé, historiquement, à la couleur de peau des interprètes. Alors que cela vient avant tout de son symbolisme : les fantômes et autres spectres que peuvent représenter les femmes inaccessibles de ces actes blancs (Cygnes, Willis, Ombres, etc). La question de la couleur de peau s’est-elle d’ailleurs véritablement posée au moment de la création de ces ballets ? Y avait-il à l’époque des danseuses de couleurs ? Cela laisse la réflexion dans un certain flou.

Néanmoins, il faut reconnaître que la question des actes blancs réservés aux danseuses de couleur blanche a pu se poser dans le monde de la danse classique, en France ou ailleurs. Et qu’il est encore possible d’entendre le discours qu’une danseuse noire dans un acte blanc casse l’esthétique et l’harmonie de la danse. Alors que, comme le dit plutôt justement le rapport, cette harmonie tient avant tout à l’interprétation, la technique, la musicalité, etc. Interdire un acte blanc à une danseuse lui pose clairement un problème de carrière : ne pas avoir le droit de danser les 32 Cygnes, par exemple, lui interdit de fait de danser les quatre Petits cygnes, les grands… jusqu’au rôle d’Odette/Odile.

Si la question pouvait encore se poser à l’Opéra de Paris il y a peu (revoir pour cela le documentaire Relève autour de la direction de Benjamin Millepied), la présence de danseuses noires dans un acte blanc semble actée, si l’on en voit la captation de La Bayadère en décembre dernier, ou même certaines reprises du Lac des cygnes il y a deux ou trois saisons. En interne cependant, une totale unanimité n’est pas forcément là sur ce sujet.

 

Le maquillage et « blackface »

« Sur ce sujet, un mot est souvent revenu dans nos entretiens, comme écho aux inquiétudes suscitées par toute évolution : celui de ‘vraisemblance’. Sans maquillage noir ou jaune, il deviendrait trop complexe de montrer ou de signifier au public qui est sur scène, ou de lui faire croire à la ‘réalité’. […]. Mais au fil de nos auditions, nous n’avons à aucun moment été convaincus que la pratique du blackface pouvait, en tant que telle, revêtir une nécessité artistique, ni que son abandon pourrait heurter la liberté artistique. […]. (À propos des danses de caractère dans Casse-Noisette) « Les autres Européens sont folklorisés par des costumes et danses de caractère ; les autres non-Européens sont racialisés. […]. « Les œuvres du ballet, mêmes les plus classiques, sont en permanente transformation, réinterprétation, réinvention. L’idée qu’il y aurait un modèle original à reproduire fidèlement est depuis longtemps une fiction dont la plupart des chorégraphes se sont affranchis ».

« La seule chose qui ne nous semble plus possible, ce serait de reprendre tels quels des clichés offensants (enfermement des personnes noires dans des rôles d’esclave ou de méchants). « De même qu’un acteur noir doit pouvoir jouer tous les rôles, un acteur blanc devrait pouvoir jouer tous les rôles. […] Pour dépasser cet apparent impératif d’uniformité chromatique, il est tout d’abord nécessaire de rappeler que la couleur blanche n’est pas le neutre de la peau, comme il a fallu accepter que le masculin n’est pas le neutre du genre pour faire avancer les combats féministes ».

Le rapport revient d’abord sur l’histoire du « blackface » dans le monde du théâtre, qui n’a pas la même signification que l’expression « blackface » employée aux État-Unis. Et les conclusions sont intéressantes et déjà constatées. Maquiller un visage en noir est une fausse vraisemblance et l’enlever ne nuit en rien au ballet. Le fait de rebaptiser en « Danse des enfants » la « Danse des négrillons » dans La Bayadère, et d’enlever les costumes et maquillages noirs pour les enfants blancs, n’a en rien dénaturé l’œuvre. Faire de même avec certaines danses de Casse-Noisette ne reviendrait pas à détruire le ballet. D’autant que, et le rapport le rappelle aussi, les ballets n’ont cessé de se transformer au fil des siècles à travers les différentes productions. Le rappel de la couleur blanche encore perçue comme la couleur neutre est aussi intéressant (et le lien avec la fausse neutralité du genre masculin dans l’écriture est bien vu, tout comme il est encore difficilement accepté parfois).

Le rapport prend comme exemple, entre autres, le personnage d’Abderam dans Raymonda ou le ballet Petrouchka de Michel Fokine, l’un étant un cliché d’un personnage Arabe (plus vraiment maintenant par l’interprétation qu’en font les danseurs aujourd’hui), l’autre étant un ballet qui s’amuse des clichés. La façon d’évoquer ces deux ballets reste toutefois peu convaincante, les deux rapporteur-e-s essayent d’apporter des solutions mais manquent de connaissances en histoire de la danse pour cela, et restent dans une maladresse certaine. 

 

Les propositions concernant le répertoire/chorégraphes invités

« Par ailleurs, comme pour l’opéra, l’avenir – et peut-être même la survie, de la danse classique nous semble passer par la commande d’œuvres de danse sur pointes qui perpétuent le vocabulaire de la danse classique, corps tirés vers le haut, qu’il s’agisse d’œuvres néo-classiques ou modernes. Il est tout à fait légitime, compte-tenu de son histoire, de son excellence et de sa renommée, que l’Opéra national de Paris soit un moteur de la réinvention de la danse classique ».

Voilà ce que demandent haut et fort depuis des années les spécialistes de la danse ! Toutes les grandes compagnies mondiales travaillent sur ces nouveaux ballets classiques, à faire émerger de jeunes chorégraphes travaillant la technique classique, évoquant des sujets d’aujourd’hui ou des personnages récents par la technique classique. Le Ballet de l’Opéra de Paris reste dans une vision où toute création vient d’abord de la technique contemporaine. Cette proposition du rapport voit bien plus loin que la seule question de la discrimination : utiliser sa technique classique pour raconter des sujets d’aujourd’hui est aussi ce qui permet de la laisser pleinement vivante pour danser les ballets du répertoire. C’est un sujet fondamental sur lequel le Ballet de l’Opéra de Paris passe complètement à côté et qu’il est urgent de changer.

 

« Mais aucun chorégraphe noir n’a été jusqu’à présent invité à travailler avec le Corps de Ballet, alors qu’il existe, aux Etats-Unis notamment, des artistes afroaméricains qui travaillent le classique, comme Alonzo King […] « Proposition : ouvrir les invitations à des metteurs en scène et chorégraphes issus de la diversité ».

Ou comment prendre le problème dans le mauvais sens. Inviter un.e chorégraphe issu.e de la diversité uniquement pour cela n’a aucun intérêt artistique. Il faut d’abord réfléchir à quel.le chorégraphe a vraiment à apporter au Ballet de l’Opéra de Paris (quand aujourd’hui il s’agit surtout d’aligner les noms), puis pourquoi y a-t-il si peu de diversité. La question se pose aussi pour les chorégraphes femmes, pour qui il existe toujours un véritable plafond de verre.

 

« Il nous semble donc que l’Opéra national de Paris gagnerait à se doter d’une nouvelle salle permettant des productions d’opéra et de ballet d’une taille plus réduite, dans laquelle des œuvres plus expérimentales ou peu connues pourraient être produites » […]. « Achever le projet de salles modulables pour permettre des représentations contemporaines plus «risquées», que ce soit des œuvres nouvelles pour la production desquelles un circuit mécénat ad hoc devrait être monté, ou pour faire revivre des figures oubliées du répertoire ».

Hum, pas vraiment convaincu. Cela fait longtemps que le Ballet de l’Opéra de Paris propose des œuvres « risquées ». Quant à faire revivre des figures ou des œuvres oubliées du répertoire, gageons qu’elles rempliraient facilement la grande salle du Palais Garnier.

 

Les bonnes habitudes à prendre

« Par ailleurs, les micro-agressions (questions déplacées, petites «blagues », surnoms douteux…) liées à l’usage de certains termes offensants, qui étaient habituels dans le passé, ne sont plus acceptables aujourd’hui »

L’on est ici complètement d’accord. Comme les mauvaises habitudes sexistes (réflexion sur le ton de la blague, surnom, etc), il est bien qu’un rapport les nomme, les mette sur papier et rappelle leurs interdits.

 

« Des temps d’échanges gagneraient ainsi à être proposés aux interprètes avant toute répétition afin de leur présenter le contexte, l’histoire, les enjeux des pièces et les choix de mise en scène permettant de surmonter les difficultés identifiées ».

Un point là encore intéressant, tant il nous a semblé parfois que les interprètes du Ballet pouvaient être démunis et manquant de clés face au répertoire qu’ils dansaient. Le rapport cite dans ce même sens l’importance du séminaire « Positioning Ballet » qu’a organisé ces dernières années le Het Nationale Ballet. Il s’agissait de rassembler de nombreux acteurs et actrices de la danse (directeurs et directrices, chercheurs et chercheuses, etc) autour du futur du ballet classique. Des temps d’échange passionnants, où le Ballet de l’Opéra de Paris a brillé par son absence.

 

« Proposition : faire la lumière sur l’histoire de l’institution, pour valoriser des figures méconnues, voire oubliées, des artistes non-Blancs et pour mettre en perspective historique les pratiques et représentations promouvant des représentations stéréotypées des non-Européens » […] « Pour susciter des vocations et attirer de nouveaux publics, l’Opéra pourrait aussi veiller à la diversité dans ses productions sur les réseaux sociaux destinés aux jeunes (Instagram, TikTok…), des vignettes présentant la vie quotidienne des artistes issus de la diversité de manière positive, à l’image du film réalisé par Cédric Klapisch durant le confinement ».

En soi, l’on est d’accord, même si on ne peut s’empêcher de trouver cela un brin gadget. Si ce sont des pratiques intéressantes en soi et positives, ce n’est pas à elles seules qu’elles règleront le problème.

 

Chapitre 2 – La diversité, grande absente de l’Opéra

En préambule

« L’Opéra national de Paris n’est pas un lieu de diversité. Disons-le franchement : dans l’ensemble, c’est un monde blanc fort éloigné de ce à quoi ressemble la société française contemporaine ».

Le rapport rappelle en préambule la difficulté de donner des chiffres précis, les statistiques ethniques étant interdites en France, et un certain travail empirique qui a entouré ces réflexions. Si le constat est vrai, il l’est dans la plupart des milieux professionnels et culturels en France. L’Opéra de Paris n’est pas une exception. Ce n’est pas une institution discriminante en soi, elle vit avant tout dans une société qui n’est pas vraiment égalitaire, pour de multiples raisons.

 

La diversité dans le ballet

« Recruter et former autrement sont les conditions d’un changement durable et profond, mais il faudra du temps et de la patience pour éviter l’écueil de mesures purement symboliques, et celui d’évolutions au pas de charge, qui pourraient créer des crispations telles qu’elles auraient pour seule conséquence un recul durable » […] « Il y a quelques décennies, l’argument de l’excellence était employé contre la présence des femmes dans les grands orchestres : il est toujours utilisé comme un moyen de préserver le statu quo ».

Il aurait été intéressant, dans cette idée que la formation prend du temps, de souligner que les choses ont changé à l’École de Danse depuis l’arrivée à sa tête d’Élisabeth Platel. Ce qui a amené ces dernières années à un changement dans le corps de ballet, plus diversifié qu’il y a 20 ans. Là encore, le parallèle avec les discriminations sexistes est cependant assez juste.

 

« L’explication tiendrait en partie à l’image de la danse classique dans la société en général, perçue comme élitiste et ‘aristocratique’, image redoublée par son aspect ‘blanc’, critère parmi d’autres d’une homogénéité qui serait consubstantielle au ballet et qui rendrait malaisée une appropriation de la danse classique pour les enfants non blancs – ‘si personne ne me ressemble dans cette école, c’est donc qu’elle n’est pas faite pour moi’ […] « L’expression d’’acte blanc’ renvoie implicitement à la couleur de peau, même si ce n’est pas sa signification première. Comment s’imaginer danser dans un acte blanc si on ne l’est pas soi-même ? La question n’est pas théorique : elle s’est posée et a été posée de manière insistante aux enfants et adolescentes non-blanches ».

Le rapport enchaîne ensuite avec des statistiques sur les danseuses blanches et noires dans les grandes compagnies de danse à travers le monde, montrant la très faible présence de ces dernières. La question de la représentativité est évidemment importante et joue beaucoup dans la volonté des enfants d’entrer dans ce monde-là, de se dire que c’est possible. Ce n’est pas uniquement là que se règle la question de la diversité, mais ce n’est pas anodin. Le rapport donne malheureusement dans une certaine naïveté dans ce même chapitre, s’étonnant que seules les femmes donnent les cours de danse aux filles et les hommes aux garçons. C’est avant tout dû à la technique qui est différente, et ce n’est dans la pratique pas entièrement vrai (notamment dans les compagnies où les cours sont mixtes).

 

Recrutement à l’École de Danse

Les recrutements dans le Ballet se faisant très majoritairement via l’École de Danse, le rapport revient longuement sur les modalités de recrutement de cette dernière, et comment les transformer.

« Il y a ensuite l’idée ancienne et tenace que certaines morphologies et anatomies ne seraient pas adaptées à la danse classique, qui exigerait des pieds cambrés, une musculature allongée, non visible, un bas de jambe qui annule la cambrure du dos. Or, selon une idée reçue, les personnes noires et asiatiques seraient réputées avoir plus généralement les pieds plats. D’après la littérature et les exemples vécus par des ballerines blanches ou non blanches ayant des pieds plats, ce type de pied, s’il peut compliquer la tenue sur pointes, n’est en aucun cas rédhibitoire […] Or, le groupe des personnes noires est infiniment divers d’un point de vue morphologique. Il serait profondément invalide et même absurde d’un point de vue scientifique de vouloir les regrouper dans une catégorie définie par des traits morphologiques. Il s’agit là de stéréotypes contestables […] « Le concours lui-même gagnerait à repenser les critères anatomiques de sélection, qui sont susceptible d’être lestés de considérations indirectement discriminantes »

L’un des points les plus contestables du rapport qui mélange absolument tout. Un entretien avec un.e médecin du sport aurait permis de mettre les choses au clair. Oui, la danse classique demande des qualités physiques particulières, comme le pied cambré. Avoir les pieds plats ne signifie pas que l’on ne peut pas danser en amateur, et même acquérir une jolie technique. Mais oui, cela empêche un entraînement intensif et l’acquisition d’une technique de haut niveau professionnel. Une telle erreur jette malheureusement le discrédit sur les deux rapporteur.e.s. Un fait d’autant plus dommage que ce même passage soulève un point très important : les stéréotypes que peut encore avoir le monde de la danse. Devant la faible présence d’élèves noirs, l’École a en effet pu répondre (et nous l’avons entendu) pour se justifier que les personnes noires avaient moins le pied cambré. Le rapport rappelle avec justesse une telle ineptie. Il ne s’agissait pas néanmoins pour l’École de discriminer les élèves noirs, mais de tenter d’expliquer pourquoi il y en avait peu.

 

« L’information sur le concours n’est publiée que sur le site de l’École et tend à circuler toujours au sein des mêmes cercles. Ainsi, les profils socio-économiques de certains candidats tendent à être favorisés » […] « Il nous semble qu’elle aurait beaucoup à gagner à se projeter vers l’extérieur, pour faire du repérage de talents (ce que pratiquent par exemple les clubs de sport) et faire connaître l’École et ce qu’elle offre comme possibilités » […] L’objectif n’est pas que l’École recrute des élèves moins bons pour satisfaire à des objectifs de diversité, mais d’aller chercher les élèves très bons partout où ils sont ».

Un point absolument fondamental et une excellente idée. Il y a 25 ans, 1.000 enfants se présentaient chaque année à l’École de Danse. Ils sont autour de 200-300 aujourd’hui, ce qui montre l’essoufflement de ce type de concours. Aller à la rencontre des enfants permettrait de toucher tous les talents potentiels, quel que soit leur niveau social (trop peu savent qu’il existe cette École de Danse, gratuite). De plus en plus d’écoles à l’étranger ont recours à ce type d’audition, avec succès.

 

Formation à l’École de Danse

« Il nous semble que l’École, ou l’Opéra en formation continue pour ses danseurs, gagnerait à mettre en place des cours de chorégraphie, afin de permettre aux artistes qui le souhaitent de s’inscrire dans cette filière de création ».

Un point très important à lier au manque de créations basées sur le langage classique. C’est dès l’École que se dévoilent les talents de chorégraphe. Là encore, différentes écoles et institutions étrangères ont pu mettre ce type de système en place avec un certain succès.

 

Et aussi…

« L’Opéra national de Paris pourrait, ne serait-ce qu’à titre expérimental, démarcher des artistes non-blancs de haut niveau en France comme à l’étranger, pour les intégrer dans le Corps de Ballet. Un apport de quelques personnes par an pendant cinq ans permettrait ainsi d’envoyer un signe fort de diversification et de créer des ‘rôles modèles’ si essentiels pour susciter des vocations ».

Voilà qui nous semble plus injustifiable, on est ici à la limite de la discrimination positive, qui ne nous semble pas pertinente.

 

Chapitre 3 – Une politique de ressources humaines au service de l’ouverture et de la diversité

« Il ne saurait y avoir de diversité sur scène s’il n’y en a pas dans l’administration et vice versa. […] Proposition : la création à l’Opéra national de Paris d’un poste de responsable diversité et inclusion pourrait se justifier en raison de l’importance de ses effectifs, mais aussi de la diversité des métiers, des enjeux et de la nécessité de coordination avec les acteurs situés en amont de l’institution […] Proposition : proposer aux instances paritaires l’adoption d’un plan de lutte contre le racisme et les discriminations incluant la création d’un dispositif interne de signalement et la désignation de référents pour chaque corps de métier, charge à eux de présenter ensuite leur rôle, et de répondre aux victimes ».

La création d’un nouveau poste par temps de disette peut faire sourire. Mais il s’agit pourtant d’une bonne pratique mise en place, déjà, par plusieurs grandes entreprises. Cela permet de gagner en efficacité et d’avoir une personne référente au sein de l’institution pour évoquer des problèmes extrêmement divers. Ce poste pourrait aussi travailler sur la question de l’égalité femmes/hommes.

 

« Enfin, à plusieurs reprises, nous a été rapporté un racisme s’exerçant spécifiquement à l’encontre des artistes asiatiques : imitations, brimades, stéréotypes, accentués parfois par la crainte que l’augmentation du nombre d’artistes d’origine coréenne ne se fasse ‘au détriment’ des artistes français ».

Là encore, même s’il s’agit de pratiques minoritaires, cela fait du bien de rappeler qu’elles peuvent encore exister à l’Opéra de Paris (comme partout ailleurs)… Et que ce genre de réflexions sont non seulement blessantes, mais aussi interdites par la loi.

 

Conclusion

« La mission qui nous a été confiée ne s’arrête donc pas à quelques propositions ; elle n’aura de sens qui si s’instaure à sa suite, au sein de l’Opéra national de Paris, un espace de dialogue, où parler sans se déchirer […] Nous espérons qu’à l’avenir nous pourrons voir sur les scènes de l’opéra un Lac des cygnes côtoyer un ballet sur pointe contemporain, un Casse-Noisette dans une mise en scène attentive à dépasser les clichés qui n’apportent guère à l’œuvre »,

Voilà, pour conclure, un point sur lequel le rapport et le public de la danse ne peuvent qu’être entièrement d’accord !

 



Commentaires (6)

  • Aleph

    Ce faux-débat est mal posé d’emblée car il traite d’une façon réglementaire des débats esthétiques et des questions d’opinion.

    Alors que depuis 40 ans quasi toutes les mises en scènes ne savent plus quoi inventer (destruction de l’oeuvre, détournements politiques, attentats à la pudeur, etc.) pour choquer absolument le public et faire parler de soi par le scandale, sans jamais s’inquiéter par exemple de la protection de la jeunesse, voici que l’Opéra déclare interdire le maquillage, etc. C’est encore une façon de faire parler de soi : il était possible d’abandonner la pratique comme désuète sans rien dire. Aussi la démarche n’est-elle qu’une provocation de plus, mêlant accusations de racisme, débats esthétiques abordés de façon autoritaire et réglementaire, ou considérations délirantes sur le contenu des oeuvres (cf. le passage sur la noix de coco) qui manifestent l’envahissement de la sphère artistique par des bureaucrates.

    La confusion est complète et forme une diversion bien utile quand la cour des comptes a écrit que le simple contrôle de la paie était impossible dans cet établissement.

    Le nouveau directeur a trouvé là un moyen de faire parler de lui et de laisser sa marque, il va faire à l’Opéra ce que Descoings a fait à Science-Po : tordre les valeurs, encombrer de calamités, avant de quitter un champ de ruines où, sous un sourire de mauvais aloi, la haine du mérite a remplacé la recherche patiente de l’excellence.

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  • Public

    Bof. Article très moyen sans grand interet et peu renseigné (casse noisette à été repris et à une chorégraphie contemporaine). Il faut travailler à être objectif. Pas à nous donner une opinion mediocre

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  • Plusieurs réflexions à la lecture de votre compte-rendu :

    « Des temps d’échanges gagneraient ainsi à être proposés aux interprètes avant toute répétition afin de leur présenter le contexte, l’histoire, les enjeux des pièces et les choix de mise en scène permettant de surmonter les difficultés identifiées ».

    « Un point là encore intéressant, tant il nous a semblé parfois que les interprètes du Ballet pouvaient être démunis et manquant de clés face au répertoire qu’ils dansaient. »

    – Je trouve étonnant que les danseurs sortant de l’Ecole de Danse de l’Opéra manquent de repères étant donné qu’ils y ont suivi des cours d’histoire de la danse.
    – Le manque de diversité est du en partie aux inégalités sociales mais peut-être aussi aux cultures d’origine qui n’ont pas d’attrait pour la culture occidentale (musique classique, lyrique, danse classique…).
    -Quels sont les domaines où la société française est représentée dans toute sa diversité aujourd’hui ? n’est-ce pas pareil ailleurs ?
    – Il existe une programme « 10 mois d’école et d’opéra » pour amener les enfants des quartiers défavorisés à l’Opéra, ils y suivent des ateliers de musique, chant, danse et rencontrent les professionnels des différents corps de métiers… mais personne n’en parle !
    – Quelles sont les écoles de danse qui recrutent en réalisant des auditions décentralisées ?
    – Les compagnies étrangères ont-elles davantage de danseurs de couleur ? J’ai regardé le Royal Ballet et c’est similaire à l’Opéra.
    Voilà quelques unes des questions que je me pose…

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    • Danseur

      Merci de parler du Programme « 10 mois d’école et d’Opéra ». Le rapport aurait pu se renseigner d’ailleurs sur les retombées du-dit programme. Combien d’enfants et d’adolescents, qui ont suivi ce programme, ont décidé d’embrasser une carrière artistique? Et ceux qui en ont parlé en famille, comment cela a-t-il été perçu par l’entourage? Je pense que la fracture est surtout culturelle: la danse classique, le lyrique ainsi que la musique classique sont considérés comme ringards et démodés… L’Opéra (en tant qu’institution) comme un lieu de privilégiés et un écrin d’arts (ballet et lyrique) difficiles d’accès! Alors qu’il suffit juste de laisser les émotions venir…

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  • Anne

    Madame Platel avait évoqué ce rapport lors d’une conférence de l’Arop. Ses remarques étaient bien plus pertinentes que les conclusions des personnes qui ont écrit ce rapport.

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  • Peut-on trouver cette conférence en ligne ? Merci

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