Stéphane Bullion – Adieux à la scène le 4 juin
Stéphane Bullion, Danseur Étoile du Ballet de l’Opéra de Paris, fait ses adieux à la scène de l’institution le 4 juin. Il y dansera le duo Another Place de Mats Ek, avec Ludmila Pagliero. L’occasion de revenir sur sa carrière, démarrée en 1997, et marquée par les grands rôles dramatiques du répertoire néo-classique et contemporain, tout comme les personnages de caractère des grands ballets du répertoire.
Né en 1980 dans la région de Lyon, Stéphane Bullion démarre la danse classique dans une petite école de quartier, avant de prendre des cours avec René Bon. C’est ce dernier qui amène le danseur à l’École de Danse de l’Opéra de Paris en 1994, école alors dirigée par Claude Bessy. Il a alors 14 ans et rentre à Nanterre en quatrième division, avant de passer en troisième division quelques semaines plus tard. Sa scolarité y fut donc courte mais sans entrave : trois ans plus tard, en première division, Stéphane Bullion est engagé à l’Opéra de Paris, en même temps qu’Alice Renavand (qui fera ses adieux à la scène le 13 juillet), Julien Meyzindi, Aurélia Bellet et Séverine Westerman. Dans cette division comptait également un futur grand : Marcelo Gomez, qui deviendra Principal de l’ABT.
Après trois ans dans le corps de ballet, la carrière de Stéphane Bullion commence tout doucement à décoller en 2001 : il passe Coryphée, interprète Le Faune de L’Après-midi d’un Faune de Vaslav Nijinski ou Pâris dans Roméo et Juliette de Rudolf Noureev. Deux ans plus tard, il devient Sujet, reçoit le Prix de l’AROP et continue de multiplier les rôles, comme dans Émeraudes de George Balanchine ou L’Oiseau de feu de Maurice Béjart. Et 2004 marque un tournant. Le danseur a à la fois une formidable opportunité, celle de danser le rôle principal de Ivan le Terrible de Iouri Grigorovitch, à Paris et à Saint-Pétersbourg. Mais il apprend aussi qu’il est atteint d’un cancer, demandant de lourds traitements. Le danseur continue néanmoins de s’entraîner, de passer le Concours de promotion, même s’il ne danse plus en scène. De cette maladie, le danseur a toujours peu parlé, si ce n’est en 2010 dans quelques interviews, une fois sa nomination d’Étoile arrivée.
Démarrée plutôt rapidement, la carrière de Stéphane Bullion subit forcément un contre-temps. Les rôles continuent cependant, moins souvent, mais ils sont là. En 2005, le danseur découvre ainsi Tybalt dans Roméo et Juliette et Rothbart dans Le Lac des cygnes, dans les versions de Rudolf Noureev. Deux rôles qu’il danse et peaufine tout au long de sa carrière, et dont il est aujourd’hui l’une des références. Il danse aussi Morel dans Proust ou les Intermittences du cœur de Roland Petit, un chorégraphe qu’il danse là encore tout au long de sa carrière et dont les ballets ont jalonné son parcours.
2008 est un nouvel élan. Stéphane Bullion passe d’abord Premier danseur, en même temps que Mathias Heymann. Puis à la fin de la saison, il fait sa prise de rôle de Armand Duval dans La Dame aux camélias de John Neumeier. Il danse en scène suite à un remplacement de dernière minute, et aux côtés d‘Agnès Letestu, alors Étoile star de la compagnie et reine de ce rôle emblématique. Un premier « premier rôle » conséquent, où le danseur impose sa stature dramatique et son talent du jeu, comme du souci du partenariat. Ce spectacle marque ainsi le début d’une belle entente entre celui qui est encore jeune Premier danseur et une Étoile au sommet de sa carrière. Stéphane Bullion et Agnès Letestu danseront souvent par la suite, ce ballet et d’autres comme In the Night de Jerome Robbins. C’est lui aussi qui accompagne l’Étoile lors de ses adieux à la scène en 2013, évidemment avec cette Dame aux camélias.
Stéphane Bullion multiplie ensuite les rôles, essentiellement classiques et néo-classiques : Albrecht dans Giselle, Le Maure dans Pétrouchka (Michel Fokine), Lucien dans Paquita, Suite en blanc de Serge Lifar, Frédéri dans L’Arlésienne de Roland Petit, Jean de Brienne et Abderam dans Raymonda… Il se fait aussi remarquer dans le rôle-titre de Siddharta, une création d’Angelin Preljocaj, avant de faire sa prise de rôle de Solor dans La Bayadère en juin 2010. Et c’est dans ce ballet, le 2 juin 2010 au Palais Garnier, que Stéphane Bullion est nommé Danseur Étoile.
Si la génération plus ancienne le connaissait bien – sa trajectoire semblait toute tracée dans ses premières années de carrière – le public arrivé à l’Opéra au début des années 2010 ne situait pas forcément bien ce danseur au moment de sa nomination, parfois trop à l’ombre du géant Nicolas Le Riche, dont ils partagent souvent les rôles. Discret, taiseux, Stéphane Bullion n’était pas non plus le danseur à courir les médias. Mais petit à petit, son talent pour les rôles un peu différents – plutôt demi-caractère que véritable prince – ses interprétations habitées et en subtilité, lui ont assuré une place spéciale dans le cœur du public. Depuis sa nomination, il a ainsi continué une carrière singulière. Il est resté attaché à certains rôles classiques comme Albrecht, a continué à mener d’une main de maître des seconds rôles forts comme Tybalt, Rothbart ou Lescaut. Même s’il n’était pas le plus virtuose, il a continué à servir avec passion, jusqu’au bout de sa carrière, les grands ballets du répertoire – l’on se souvient ainsi de son si mystérieux Abderam lors de l’unique représentation de Raymonda en 2019, tout comme son implication totale dans le naufrage Le Rouge et le Noir de Pierre Lacotte cette saison.
Tout au long de sa carrière, Stéphane Bullion s’est fait une place dans les ballets néo-classiques, notamment La Dame aux camélias où il fut l’un des grands interprètes d’Armand de l’Opéra de Paris. Il continua également à danser avec passion le répertoire de Roland Petit : Le Loup, Le Jeune homme et la Mort, Don José dans Carmen, Quasimodo dans Notre-Dame de Paris. Sous la courte direction de Benjamin Millepied, il ne fut pas l’une des Étoiles les plus mises en valeur, mais l’on a pu le découvrir dans le répertoire balanchinien qu’il porta avec justesse : La Valse, Brahms-Schönberg Quartet ou Violin Concerto. Ses collègues danseurs et chorégraphe ont aussi apprécié le faire danser : Stéphane Bullion fut ainsi le Caligula de Nicolas le Riche, ou le si touchant Baptiste des Enfants du Paradis de José Martinez. Le danseur rencontra enfin souvent sur son chemin les grands chorégraphes de la fin du XXe siècle : Pina Bausch pour le rôle d’Orphée, Jiří Kylián avec Doux mensonges ou Symphonie de psaumes, Birgit Cullberg et son formidable Mademoiselle Julie, Anne Teresa de Keersmaeker et Verklärte Nacht, Mats Ek avec La Maison de Bernarda, Appartement et ce duo Another Place, dans lequel il a choisi de faire ses adieux. Un duo qui finit un peu en queue de poisson, sans véritable salut, comme si le danseur souhaitait partir dans se faire remarquer.
Tout au long de sa carrière, Stéphane Bullion a aussi noué de beaux partenariats en scène. L’on peut ainsi citer celui avec Agnès Letestu au début de sa carrière, ils formèrent ensemble l’un des plus beaux duos néo-classiques de l’institution. Le danseur a ensuite été le partenaire privilégié d’Alice Renavand ou d’Eleonora Abbagnato – l’Étoile italienne dansa d’ailleurs avec lui lors de ses adieux. Tout comme avec Ludmila Pagliero, avec qui il fera ses adieux.
Pour la suite de sa vie professionnelle, Stéphane Bullion n’a pas encore annoncé de grands changements de vie. On le sait passionné par la photographie. La scène ne sera en tout cas pas entièrement derrière lui lors des prochains mois : il devrait revenir à l’automne prochain danser le rôle principal du ballet Mayerling de Kenneth MacMillan.