Alice Renavand – Adieux à la scène le 13 juillet
L’Étoile Alice Renavand fait ses adieux à la scène du Ballet de l’Opéra de Paris le 13 juillet. Dans le rôle iconique de Giselle, dont elle a fait la prise de rôle quelques jours auparavant. Un choix à l’image de cette danseuse, toujours un peu hors-cadre, toujours un peu différente. Nommée relativement tardivement et alors qu’elle était principalement distribuée dans le répertoire contemporain, elle a découvert ensuite les grands rôles classiques, qu’elle a marqués par sa finesse d’interprétation. De Kitri à Pina Bausch, l’empreinte d’Alice Renavand a toujours été particulière. Retour sur sa carrière à l’Opéra de Paris en fouillant dans les archives de DALP.
Née à l’été 1980 en région parisienne, Alice Renavand démarre la danse classique au conservatoire de sa ville, avant de se faire remarquer par Attilio Labis lors d’un stage d’été. Elle rentre à 9 ans à l’École de Danse de l’Opéra de Paris, alors sous la direction de Claude Bessy, en tant que petite stagiaire en janvier 1990. Elle y fait toutes ses classes, sans encombre, si ce n’est de refaire une sixième division au vu de son jeune âge. En juin 1997, elle est en première division, en même temps que Stéphane Bullion, Aurélia Bellet, Séverine Westermann ou Julien Meyzindi, ainsi que du danseur Marcelo Gomes, devenu plus tard Étoile de l’ABT.
Alice Renavand est engagée dans le corps de ballet cette année-là. Un bel avenir s’ouvre devant elle : elle a 17 ans, est l’une des danseuses les plus talentueuses de sa classe, la compagnie l’attend au tournant. Mais rien ne se passe comme prévu. Trop de pression, des soucis dans sa vie personnelle : la jeune ballerine prend 20 kilos et sort des normes attendues du Ballet de l’Opéra de Paris. Brigitte Lefèvre, alors Directrice de la Danse, la soutient cependant. Et en 2002, Alice Renavand fait une rencontre qui change sa vie : Pina Bausch. La chorégraphe lui confie l’un des rôles du Sacre du Printemps, qui est repris à l’Opéra de Paris. La danseuse retrouve confiance en elle et reprend sa carrière en main. En 2004, sept ans après être entrée dans la compagnie, elle monte enfin Coryphée, en même temps que Laura Hecquet, Sarah Kora Dayanova et Charline. Elle retrouve aussi Pina Bausch pour danser son premier rôle de soliste : Eurydice, dans Orphée et Eurydice. Un rôle qu’elle dansera tout au long de sa carrière, tout comme celui de l’Élue dans Le Sacre du Printemps de la chorégraphe allemande.
Les choses ensuite s’enchaînent plus vite pour Alice Renavand. En 2005, elle est promue Sujet, en même temps que Laura Hecquet, Mathilde Froustey et Eve Grinsztajn. Et enchaîne les rôles, le plus souvent dans le répertoire contemporain. La danseuse est ainsi Créüse dans Le Songe de Médée d’Angelin Preljocaj ou la Servante dans La Maison de Bernarda de Mats Ek, danse Bella Figura de Jiří Kylián, Nosferatu de Jean-Claude Gallotta, Variations pour une porte et un soupir de Maurice Béjart, White Darkness de Nacho Duato. Les ballets classiques ou plus néo ne lui sont pas non plus inconnus : elle s’illustre notamment dans William Forsythe ou la Danseuse de rue dans Don Quichotte. Mais c’est bien dans ce répertoire contemporain qu’elle se démarque, souvent associée ou remplaçante de Marie-Agnès Gillot ou Eleonora Abbagnato, dont elle partage le répertoire.
En 2008, Alice Renavand décroche le Prix AROP de la Danse et continue de briller. On la remarque notamment dans l’envoûtant Kaguyahime Jiří Kylián où elle tient le rôle principal, Genius de Wayne McGregor et commence à s’approprier le répertoire de Roland Petit, comme Le Rendez-vous ou Le Jeune homme et la Mort, où elle y influe ses talents d’actrice. Elle est de plus en plus distribuée dans des rôles de soliste, à tel point que, malgré sa relative absence du répertoire classique, elle fait partie des favorites pour le poste de Première danseuse. Une promotion qu’elle décroche en 2011, en prenant en variation libre celle des Castagnettes de Kitri. Une variation courte mais explosive, pour une danseuse qui veut aussi montrer qu’elle sait se défendre sur pointes.
Désormais Soliste, âgée de 31 ans, Alice Renavand prend son chemin particulier. Alors que beaucoup de danseuses abordent les grands rôles classiques jeunes pour ensuite se tourner vers le répertoire contemporain, la danseuse fait un peu le chemin inverse. Tout en montrant aussi, à côté des grands rôles dramatiques de pièces contemporaines, qu’elle a aussi le talent de faire rire. Preuve en est quelques semaines après sa promotion, où elle assure le rôle de l’une des deux sœurs dans Cendrillon. Ou dans un autre registre, brille en Maîtresse de Lescaut dans L’Histoire de Manon de Kenneth MacMillan. Son premier rôle classique ? Celui de Kitri, en décembre 2012. L’un des plus techniques du répertoire. Alice Renavand y est en plus associée à François Alu, alors jeune danseur éblouissant et bondissant de 19 ans, et dans des conditions pas évidentes, fait de remplacements et changements de dernière minute. Mais la danseuse y brille, compensant une extrême virtuosité qu’elle n’a pas forcément pas beaucoup de truculence, de piquant, d’intelligence dans sa danse. Doublés d’un vrai sens du partenariat avec François Alu, un duo qui fonctionnera bien dans les années suivantes.
Un an plus tard, Alice Renavand fait sa prise de rôle dans Le Parc d’Angelin Preljocaj, faisant penser que sa carrière ne s’arrêtera pas au poste de Première danseuse. Effectivement, le 20 décembre 2013, Brigitte Lefèvre la nomme Danseuse Étoile. Une promotion qui provoque quelques débats dans le public. Les qualités d’interprète d’Alice Renavand sont unanimes : quand elle est en scène, il se passe quelque chose. Mais son profil résolument plus tourné vers la danse contemporaine interroge sur le répertoire de la compagnie, sur ce vers quoi elle tend, alors que Brigitte Lefèvre termine un peu dans la douleur un long mandat de 20 ans à la Direction de la Danse.
Mais Alice Renavand dément justement cet adage. Et c’est par ce titre d’Étoile qu’elle aborde les grands rôles classiques, souvent plus tard que ces consoeurs, au moment même où certaines les abandonnent car se considérant trop âgées. Et la danseuse de bâtir ainsi, pendant dix ans d’étoilat, un répertoire assez unique. Les quelques mois suivant sa nomination sont d’ailleurs à cette image : elle est époustouflante dans L’Accusée de Fall River Legend d’Agnes de Mille (« Alice Renavand est saisissante« ), reprend Orphée et Eurydice de Pina Bausch, s’empare du si difficile rôle d’Esmeralda dans Notre-Dame de Paris de Roland Petit, danse le brillantissime Palais de cristal de George Balanchine. Toujours, en sachant y insuffler sa personnalité, son sens du jeu et de la dramaturgie. Et c’est ce qui crée, petit à petit, un lien très particulier entre l’Étoile et le public, qui peut-être un peu réservé au début de sa nomination, s’attache à cette personnalité artistique singulière, racontant sans cesse quelque chose en scène.
Les années Benjamin Millepied sont l’occasion de découvertes pour la danseuse. Elle met beaucoup de sensibilité dans sa Nouredda de La Source de Jean-Guillaume Bart. Elle épate dans Brahms-Schönberg Quartet de George Balanchine, formant avec Josua Hoffalt un duo percutant et tout en finesse – et prend définitivement le pas dans le répertoire balanchinien. Elle prend à bras-le-corps la puissante création Iolanta / Casse-Noisette, découvre le répertoire d’Anne Teresa de Keersmaeker. La suite avec Aurélie Dupont est dans la même lignée. On a ainsi beaucoup aimé la danseuse dans Lise de La fille mal gardée de Frederick Ashton, là encore avec François Alu, délicieusement drôle et délurée pour cette prise de rôle à 37 ans (« Elle s’empare de Lise avec beaucoup de coeur, de fraîcheur et d’honnêteté« ). Mais aussi sa puissance dans Body ans Soul de Crystal Pite (« Alice Renavand est saisissante.Mater dolorosa toute en retenue, l’Étoile illumine de sa présence ces quelques minutes et donne corps aux mots de Crystal Pite avec l’intensité qu’on lui connaît« ), son humour dans Fancy Free de Jerome Robbins, sa puissance de Verklärte Nacht d’Anne Teresa de Keersmaeker (« Alice Renavand y est souveraine« ).
Alice Renavand est peut-être la danseuse de l’Opéra de Paris qui a le plus souffert de la pandémie. Entre une grossesse, les grèves, une blessure et le Covid, la danseuse a été absente de scène pendant quasiment trois ans. Qui ne se rattrapent pas dans l’institution parisienne. Et l’on aurait bien aimé une petite exception pour cette ballerine, qui a encore tant de choses à dire, et qui doit partir à peine revenue. Tant pis, ce sera pour une autre scène. Pour sa dernière saison, la ballerine a dansé Le Sacre du printemps dans la version remontée de Dominique Brun, Mats Ek, Crystal Pite… Et Giselle, rôle emblématique du répertoire romantique, dont elle a fait sa prise de rôle à bientôt 42 ans, quelques jours avant ses adieux le 13 juillet. Pour la suite, Alice Renavand sera Odette/Odile dans Mon premier Lac des cygnes de Karl Paquette, réfléchit à fonder une compagnie avec les danseurs et danseuses de plus de 42 ans, pense à la transmission… La scène est loin d’être terminée.
Selyne
Merci pour ce récapitulatif très détaillé !! Effectivement c’est dommage qu’on ne lui permette pas de rattraper ces années dont les circonstances ne lui ont pas été favorables.