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Marc Moreau nommé Danseur Étoile – Retour sur son parcours

Marc Moreau a été nommé Danseur Étoile du Ballet de l’Opéra de Paris le 2 mars, à l’issue d’une représentation de Ballet Impérial de George Balanchine, aux côtés de Hannah O’Neill. Formé à l’École de Danse de l’Opéra de Paris, vite remarqué par des chorégraphes, le danseur a gravi lentement mais sûrement les échelons. Mis en avant sous Benjamin Millepied, plus en retrait ou se concentrant sur les créations contemporaines avec Aurélie Dupont, Marc Moreau est revenu aux grands rôles classiques avec José Martinez. Retour sur son parcours jusqu’à sa nomination d’Étoile, en fouillant dans les archives de DALP.

Marc Moreau lors de sa nomination d’Étoile

Né en 1986 en Charente-Maritime, Marc Moreau a un début de parcours plutôt classique. En 1998, il rentre à 12 ans à l’École de Danse de l’Opéra de Paris, alors dirigée par Claude Bessy, en tant que stagiaire. Puis il rejoint la cinquième division l’année suivante. Il grimpe ensuite d’une division chaque année, sans encombre. Il fait partie de la dernière génération de danseurs et danseuses entièrement formés sous Claude Bessy, puisqu’il entre dans le corps de ballet en juillet 2004, et qu’Élisabeth Platel prend la direction de l’École à la rentrée suivante. Marc Moreau est engagé dans la compagnie en même temps que Mathias Heymann, Cyril Chokroun et Aubane Philbert. Dans sa division se trouvaient également Éléonore Guérineau, Fanny Gorse ou Daniel Stokes.

Marc Moreau a alors 17 ans et doit patienter, comme la plupart de ses collègues, pour se faire petit à petit une place. La compagnie est alors dirigée par Brigitte Lefèvre. En 2006, il danse Bergamasques de Jean-Guillaume Bart avec Éléonore Guérineau, lors d’un programme Jeunes Danseurs et Danseuses. Mais c’est lors de la saison 2008-2009 que les choses commencent à bouger pour le danseur. Benjamin Millepied, alors jeune chorégraphe en vue, le choisit pour sa création Triade, alors que Marc Moreau n’est que Quadrille. Quelques mois plus tard, il monte dans la hiérarchie et passe Coryphée, en même temps que Florimond Lorieux, Yannick Bittencourt et Yvon Demol, avec la variation du pas de deux des paysans de Giselle. S’ensuivent de belles opportunités, entre ballets du répertoire et créations, le danseur se faisant de plus en plus repérer par les chorégraphes invités : la reprise de Amoveo de Benjamin Millepied, White Darkness de Nacho Duato, le pas de deux des vendangeurs de Giselle, Tchaikovski pas de deux lors d’une autre soirée Jeunes danseurs et danseuses, et surtout le Spectre dans le mythique Spectre de la Rose de Michel Fokine. De belles opportunités qui lui valent, en 2010, le Prix de L’AROP, confirmé par sa promotion de Sujet en 2010 avec la variation de Désiré, en même temps que Daniel Stockes, Yannick Bittencourt, Cyril Mitilian et Allister Madin. Le tout ponctué de beaux rôles : L’Idole Dorée dans La Bayadère, les pas de trois du Lac des Cygnes de Rudolf Noureev ou de Paquita de Pierre Lacotte, une place dans l’entrée au répertoire de Rain d’Anne Teresa de Keersmaeker ou de la création Siddharta d’Angelin Preljocaj. C’est à ce moment-là que Marc Moreau commence à apparaître sur DALP.

La Fille mal gardée de Frederick Ashton – Marc Moreau

La carrière de Marc Moreau semble s’installer ainsi. Bien à sa place dans la classe des Sujets, il fait partie de cette belle génération – Axel Ibot, Allister Madin, etc. – qui donnent beaucoup de cœur dans les seconds rôles, y apportant toute leur singularité. C’est ce qui fait le sel et le poivre des grands ballets classiques : outre le couple principal, il y a toutes ces personnalités qui occupent les seconds rôles et les rendent riches, tout en assurant la cohésion d’un corps de ballet dont ils sont les leaders. Marc Moreau s’épanouit dans les créations et le répertoire contemporain, ne s’écarte pas non plus du répertoire classique. Les opportunités sont régulièrement là, sans que l’on devine forcément une forte envie de le mettre en avant de la part de la direction, et donc de le propulser en tant qu’Étoile. Il danse Mercutio dans Roméo et Juliette, Le Jeune Homme dans Le Loup de Roland Petit, l’Oiseau bleu dans La Belle au bois dormant, le Gitan dans Don Quichotte ou Lenski dans Onéguine de John Cranko. Il participe à la création du Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, Psyché d’Alexeï Ratmansky, Daphnis dans la création Daphnis et Chloé de Benjamin Millepied, qui décidément apprécie cet artiste, ou Kaguyahime de Jiří Kylián : « Marc Moreau restait particulièrement fascinant, jouant et se tordant sur la musique avec une étonnante facilité« .

Marc Moreau n’est donc pas spécialement oublié des distributions, avec de belles opportunités lui permettant de développer sa personnalité artistique. Mais d’autres lui passent devant, comme Mathias Heymann. Et entre deux beaux rôles, il assure aussi le corps de ballet, comme tout Sujet. L’arrivée à la Direction de la Danse de Benjamin Millepied à l’automne 2014 lui donne cependant une nouvelle dynamique, notamment dans les propres créations du directeur : le duo Together Alone, La Nuit s’achève ou Clear, Loud, Bright, Forward, sorte de manifeste pour la nouvelle génération d’artistes que le Directeur veut mettre en avant. Il est soliste dans la création Le Chant de la Terre de John Neumeier ou Alea Sands de Wayne McGregor, est Colas dans La Fille mal gardée de Frederick Ashton, le virtuose Zaël dans La Source de Jean-Guillaume Bart (« Marc Moreau – monté sur ressorts – pétille et scintille à souhait« ), Iñigo dans Paquita (« Cet exotisme de pacotille, Marc Moreau l’accentue en conférant à son gitan Iñigo des airs d’impétueux toréador« ), participe à l’entrée au répertoire de Polyphonia de Christopher Wheeldon, In Creases de Justin Peck ou sa création Entre Chien et Loup.

Brahms-Schönberg Quartet de George Balanchine – Sae-Eun Park et Marc Moreau en répétition

Mais pour évoluer, Marc Moreau a besoin de monter le dernier échelon dans la hiérarchie. Et pendant huit ans, le Concours de promotion ne lui réussit pas. Le danseur fait face à une nombreuse génération de jeunes talents : Hugo Marchand, Germain Louvet, François Alu, Paul Marque… Le poste vacant n’est aussi parfois pas distribué. À chaque fois, Marc Moreau se fait remarquer, émarge dans le classement, mais cela ne suffit pas. Puis en 2016, le remplacement de Benjamin Millepied par Aurélie Dupont à la Direction de la Danse marque aussi un frein. La nouvelle directrice veut mener sa génération de jeunes talents. Et les plus ou moins trentenaires n’en ont pas forcément la place. Marc Moreau n’est pas oublié des distributions, mais il se dirige vers un répertoire plus contemporain. On le voit moins dans les ballets classiques. Par contre, les chorégraphes invités l’affectionnent. Il danse ainsi Drumming Live d’Anne Teresa de Keersmaeker, Symphonie des Psaumes de Jirí Kylián, Play d’Alexander Ekman, The Seasons’ Canon de Crystal Pite, Decadance de Ohad Naharin, Faun de Sidi Larbi Cherkaoui – « Son interprétation est exceptionnelle, nuancée et musicale« … La liste est prestigieuse. Mais enferme un peu le danseur dans la catégorie « Trop vieux pour être nommé Étoile et danser du classique, profite des créations contemporaines plutôt ».

Faun de Sidi Larbi Cherkaoui – Marc Moreau

Le danseur, cependant, continue de présenter le Concours de promotion. Et en 2018, il bénéficie d’un petit creux de génération, lui qui avait peut-être vu sa carrière freinée par trop de talents quelques années plus tôt. Cette année, il ne domine pas outrageusement le Concours. Mais les jeunes pousses sont encore jeunes, son principal concurrent au poste de Premier danseur Jérémy-Loup Quer est absent. Marc Moreau gagne par sa maturité, son engagement artistique, sa personnalité affirmée qui donne toujours un goût particulier à ses interprétations. « Sa variation de Manfred, où il est si facile d’en faire des caisses, était vraiment très bien, dansée avec beaucoup d’engagement artistique et de personnalité, un vrai moment de danse« . Sa promotion ne s’accompagne pas cependant de plus de rôles. Et un an plus tard, les grèves et la longue crise du Covid mettent sa carrière à l’arrêt.

Pour la reprise des spectacles, en juin 2021, Marc Moreau retrouve des distributions plus tournées vers le classique, sans non plus être outrageusement mis en avant. Il danse ainsi Benvolio et Mercutio dans Roméo et Juliette, le redoutable Rhapsody de Frederick Ashton (« Marc Moreau a crânement endossé les chaussons de Baryshnikov« ), reprend l’Idole Dorée dans La Bayadère, danse dans la création Le Rouge et le Noir de Pierre Lacotte, assure plusieurs rôles dans Le Songe d’une nuit d’été de George Balanchine. La nouvelle direction de José Martinez, en décembre 2022, accentue cette impression. Avec une mise en avant un peu plus évidente. Marc Moreau est ainsi titulaire du rôle de Siegfried, son premier grand rôle dans un ballet classique en plusieurs actes« Présent, sensible, généreux dans sa danse, il propose un Siegfried plein de maturité, conscient de ses mensonges face à la société« . Et assure le vertigineux rôle de soliste de la Mazurka dans Études de Harald Lander, lors de l’hommage à Patrick Dupond. À chaque fois, il y montre de la personnalité, un sens du style, une puissance dramatique qu’on ne lui soupçonnait pas forcément. Et après des années de créations plus contemporaines, ce fut aussi un plaisir de le retrouver dans cette technique académique où il a encore beaucoup de choses à dire.

Le Lac des Cygnes de Rudolf Noureev – Myriam Ould-Braham et Marc Moreau

À 36 ans, Marc Moreau est ce qu’on appelle une « Étoile tardive ». Ce n’est en rien péjoratif. Comme il a pu être freiné dans les années passées par trop de danseurs talentueux pour trop peu de postes, le voilà qui bénéficie peut-être d’un petit creux de génération. Avec quatre Étoiles masculines en capacité de danser aujourd’hui, José Martinez avait un besoin urgent de nomination. Il aurait pu choisir des jeunes talents, ils sont nombreux. Il a préféré faire confiance à un artiste accompli, qui a montré sa valeur, son attachement à l’institution, sa versatilité dans de multiples techniques. Un artiste aussi dont la maturité n’a pas fini de s’accomplir, qui a continué à surprendre ces derniers mois dans un répertoire où on ne l’attendait plus forcément. Marc Moreau a devant lui six belles années pour continuer à évoluer. Ce sera un plaisir de le suivre.

 



Commentaires (2)

  • P

    « En 2018, il bénéficie d’un petit creux de génération, lui qui avait peut-être vu sa carrière freinée par trop de talents quelques années plus tôt. Cette année, il ne domine pas outrageusement le Concours. Mais les jeunes pousses sont encore jeunes, son principal concurrent au poste de Premier danseur Jérémy-Loup Quer est absent ». On a compris qu’à la rédaction de DALP Marc Moreau ne faisait pas l’unanimité .

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  • MarieL

    Encore le « petit creux de génération », mais c’est de l’acharnement ! Je pense que l’on peut avoir des réserves sur un artiste (les gouts, tout ça, tout ça) sans dénigrer son mérite et son talent (ce qui d’habitude fait partie de ce que j’apprécie dans vos critiques).

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