Gros plan sur La Belle au bois dormant d’Alexeï Ratmansky par l’American Ballet Theatre
Le Ballet de l’Opéra de Paris démarre sa saison 2016-2017 avec une compagnie invitée : l’American Ballet Theatre, du 2 au 10 septembre à l’Opéra Bastille. La troupe américaine, basée à New York, vient avec La Belle au bois dormant, dans une nouvelle version signée Alexeï Ratmansky. Cette nouvelle production n’est pas une énième du genre, mais répond à la volonté du chorégraphe d’aller puiser au plus près de ce qu’a pu être la version originale de Marius Petipa. Gros plan sur cette ancienne-nouvelle Belle au bois dormant.
Qui est Alexeï Ratmansky
Alexeï Ratmansky est né en Russie, en 1968. Diplômé de l’école du Bolchoï à 18 ans, il mène une carrière de danseur soliste en Ukraine, au Canada ou au Danemark. Il commence à chorégraphier en 1994, alors qu’il est encore danseur. Dès le début, il se passionne pour les reconstructions de ballets un peu oubliés. Il remonte ainsi Le Clair ruisseau pour le Ballet du Bolchoï en 2003, avant de prendre la direction de la prestigieuse troupe jusqu’en 2009. S’il reste finalement peu de temps à la direction, il donne une toute nouvelle impulsion à la compagnie, remontant là encore plusieurs ballets de l’ère soviétique un peu oubliés.
Alexeï Ratmansky chorégraphie beaucoup pour les compagnies américaines, dans une veine très différente de ce qu’il fait en Russie, plus inspiré par une danse abstraite et portée par la musique à la manière de George Balanchine. Il n’en oublie pas néanmoins les ballets du répertoire et continue son travail de reconstruction. En 2014, Alexeï Ratmansky se penche spécifiquement sur le travail de Marius Petipa en étudiant et apprenant la notation Stépanov, dans laquelle 24 ballets ont été notés. Il remonte ainsi Paquita en 2014, La Belle au bois dormant en 2015 et plus récemment Le Lac des Cygnes.
Alexeï Ratmansky connaît bien l’American Ballet Theatre, où il est chorégraphe résident depuis 2009.
La Belle au bois dormant d’Alexeï Ratmansky
En étudiant la notation Stépanov, l’idée d’Alexeï Ratmansky est de revenir au plus près des ballets, en enlevant les différentes couches et ajouts qui se sont superposés au fil du temps. Le manuscrit de la version originale de La Belle au bois dormant, qui a été créé en 1890, comprend ainsi 220 pages. Tout y est noté, les pas, les déplacements… Excepté quelques danses et la coordination des bras, comme le chorégraphe l’explique dans La Terrasse. « Il faut compléter les lacunes en regardant les versions historiques, à Londres ou en Russie, mais également d’autres sources, comme les images, les articles, les programmes d’époque…« .
Pour le rapport avec la musique, Alexeï Ratmansky s’est penché sur la correspondance entre Marius Petipa et Tchaïkovski, une façon de se rendre compte que la partition est aujourd’hui jouée bien plus lentement qu’à l’origine.
Une autre technique
Revenir aux sources de Marius Petipa, c’est aussi danser avec une technique différente. « À l’origine, le ballet misait davantage sur la vitesse d’exécution ; chez Petipa, la danse est speed et gracieuse », explique Alexeï Ratmansky dans Paris Match. Le travail est basé sur la rapidité du bas de jambe et les épaulements, sans les grands levés de jambes d’aujourd’hui. « Les levés de jambes oscillent entre 45 et 90 degrés, les déboulés effectués sur demi-pointes et les genoux souvent pliés interpellent« , écrit ainsi notre rédactrice Jade Larine qui a vu cette Belle au bois dormant à Milan. « Tout est dans la mesure et la maîtrise de soi, comme une traduction physique des manières de la noblesse de cour. La technique est moins démonstrative qu’à l’accoutumée – les sauts décollent à peine du sol – mais le travail du bas de jambe est joliment frénétique dans sa petite batterie. Et c’est peut-être une danse moins sportive qu’incarnée qui est proposée dans cette Belle au bois dormant« .
Pour les danseurs et danseuses, c’est ainsi une autre façon d’aborder la danse. « Il faut oser ne plus tendre complètement le genou en arabesque ou bien simplement poser le pied en attitude à terre sans le tendre ; il faut oser ne plus transformer les mouvements en grand écart, ou bien faire ses pirouettes avec un retiré beaucoup plus bas« , raconte ainsi Alexeï Ratmansky sur DanceTabs (traduction en français à lire sur le site de la société Auguste Vestris). « Il s’agit d’une danse élégante, sophistiquée, et qui met très en valeur les ballerines : la chorégraphie de Petipa pour la ballerine est très féminine, c’est la grâce même« .
Une nouvelle production
Alexeï Ratmansky ne s’est pas seulement penché sur les pas, mais aussi sur les costumes et décors. Là encore, les références esthétiques ne sont plus les mêmes. « La surprise de cette Belle au bois dormant est aussi (et d’abord ?) esthétique« , raconte ainsi Jade Larine. « L’œil, qui s’est accommodé de l’épuration des costumes de notre temps, n’est plus habitué à l’opulence ostentatoire de la – supposée – cour de Louis XIV. Les costumes étant plus longs et plus bouffants, ils modifient par ailleurs les lignes de ceux et celles qui les portent, ce qui n’est pas toujours du meilleur effet chez les hommes. Dans cette débauche d’étoffes brodées, lamées, irisées – parfois à l’excès -, le tutu de l’adage à la rose d’Aurore affiche toutefois un ravissant dégradé de roses, dans une forme de corolle bourgeonnante« .
Un ballet grandiose et humain
La Belle au bois dormant était la vision de Marius Petipa de la cour de Louis XIV. Forcément, tout est grandiose, symbole de la danse académique. Mais Jade Larine a aussi été frappée par le sens du théâtre qui a une place importante dans cette version, « jusqu’à friser le burlesque« . « Chaque fée dans le prologue déclame une forte personnalité dans la mimique et la gestuelle, que les costumes froufroutants rendent plus comiques encore. Les divertissements populaires de l’acte final exploitent la même veine théâtrale, en réincorporant en guise de clins d’œil à Perrault Cendrillon, le Petit Poucet et le Petit chaperon rouge« .
Pour Alexeï Ratmansky, « L’approche est la plus simple que l’on puisse imaginer, toute en naïveté et tendresse quasi-enfantine, enveloppée néanmoins dans une maîtrise formelle très poussée, quasiment irréalisable » (DanceTabs). « À mon sens, c’est ce binôme qui est au coeur du ballet comme art de théâtre. Le ballet est à la fois simple et savant« .