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Nouvelle crise à la direction du Ballet de l’Opéra de Paris

Le Ballet de l’Opéra de Paris a décidément du mal à vivre sans crise interne. Après l’arrivée comme le départ fracassant de Benjamin Millepied il y a deux ans, Aurélie Dupont est devenue Directrice de la Danse. Sa prise de poste devait apaiser les tensions, étant une danseuse de « la maison ». Mais crise de confiance, incompréhension de sa ligne artistique ou manque de communication, les tensions ont commencé à se faire sentir au sein du Ballet. Un malaise qui se percevait aussi sur scène. Un sondage réalisé en interne a donné des résultats peu flatteurs pour la direction. Mais ce sondage, un document de travail interne, a été divulgué à la presse. Sans le consentement des danseurs et danseuses, dont beaucoup ont signé un communiqué s’indignant de cette publication. Ce qui ne fait pas oublier les résultats de ce sondage, montrant un problème sérieux de leadership dans la compagnie. 

Défilé du Ballet de l’Opéra de Paris

Après le départ précipité de Benjamin Millepied, la nomination d’Aurélie Dupont à la Direction de la Danse annonçait une période un peu plus calme pour le Ballet de l’Opéra de Paris. Mais la Danseuse Étoile n’a pas eu quelques mois de répit. Très vite, une certaine déception est arrivée, d’abord vis-à-vis de sa programmation. Aurélie Dupont annonçait le grand retour du classique, ce ne fut pas vraiment le cas lors de sa première saison, encore moins dans sa seconde, actuellement en cours. Pas formée au management, sans expérience de direction de troupe et n’ayant pas eu le temps de réfléchir à un véritable projet, la direction d’Aurélie Dupont a provoqué des tensions dans la compagnie. 

 

Un sondage interne divulgué à la presse

Pour remédier à ce problème, la CEA – la commission d’expression artistique composée de six danseurs et danseuses de la troupe – a réalisé un sondage en interne pour mettre des mots sur un malaise que beaucoup ressentaient. Cette pratique est plutôt courante dans le monde de l’entreprise, et permet de poser les bases d’une discussion. Il s’agit d’une enquête interne et anonyme qui n’a pas à se retrouver en public. Le CEA a présenté les résultats de ce sondage à la DRH de l’Opéra de Paris, qui leur aurait opposé une fin de non-recevoir.  

Ce sondage a ensuite été transmis à quelques journalistes la semaine dernière. Quelques jours plus tard, avant même sa publication, un communiqué parvenait à ces mêmes journalistes signés par 98 des artistes de la compagnie, s’insurgeant contre la divulgation de ce sondage. « La divulgation de ce questionnaire s’est faite sans le consentement des danseurs et à aucun moment les artistes interrogés n’ont pu concevoir que ce document serait utilisé à des fins contraires à leurs intérêts« , indique le communiqué. « N’ayant fait l’objet d’aucune synthèse, livrant des informations brutes, il a été sciemment utilisé pour nuire à l’institution, tout en affaiblissant les Artistes Chorégraphiques« . Le tout – sondage interne et communiqué de presse – a été rendu public par Le Figaro, lors d’un article paru le dimanche 15 avril au soir. 

Le communiqué de presse qui a suivi, signé par les artistes, est à retrouver sur ScèneWeb. L’on peut comprendre que les danseurs et danseuses n’aient pas apprécié la divulgation de ce document – et cela se comprend. Mais les termes employés, soutenant fermement la direction alors que le sondage interne montre une grande défiance à son égard, pose question. « Ne pas signer aurait été un suicide artistique et économique : plus de rôle, plus de feu, plus de permission d’aller danser ailleurs« , raconte un des artistes de la troupe au Figaro. Il est d’ailleurs difficile de décrypter la raison des absents de ces signatures : une partie de la compagnie était en repos, certains dansaient à l’étranger, il est possible que tous et toutes n’aient pas eu le message à temps vendredi dernier. 

 

Méfiance envers les choix d’Aurélie Dupont

Mais derrière ces manoeuvres de palais, difficile de cacher les résultats accablant pour la direction (et pas seulement d’Aurélie Dupont) dans ce document de 179 pages. 108 danseurs et danseuses sur 154 y ont répondu. À la question « Le projet artistique vous a‐t‐il été clairement exposé par la direction actuelle ? », 79 % répondent non. « Actuellement, sur l’ensemble d’une saison, les distributions (de toute la compagnie) répondent à une logique compréhensible et cohérente pour vous?« , non à 76 %. »Dans l’ensemble, vous estimez faire l’objet d’un management de haute qualité ?« , près de 90 % répondent non également, toujours à lire sur ScèneWeb. Des points que le public ou la presse pouvaient aussi ressentir, tant Aurélie Dupont avait du mal à expliquer clairement son projet artistique en conférence de presse. 

Défilé du Ballet de l’Opéra de Paris

Lors de sa prise de fonction, Aurélie Dupont avait ainsi annoncé le grand retour du classique. Il n’a pas spécialement eu lieu la saison dernière, a même été en recul cette saison. Moins de ballets classiques, c’est moins de choses à danser, moins de chances d’avoir un petit rôle. Certaines danseuses n’ont pas mis les pointes pendant huit mois, ce qui pose de sérieuses questions quant au niveau véritable de la troupe pour danser au mieux ces ballets difficiles du répertoire. Les commentaires des danseurs et danseuses donnés dans ce sondage, à lire dans Le Monde, visent souvent directement Aurélie Dupont. Même si, in fine, ce n’est pas forcément elle qui décide pleinement de sa programmation, qui doit être approuvée par l’administration et Stéphane Lissner. L’Étoile peut aussi ne pas avoir assez de contrat de surnuméraire pour assurer plusieurs grands classiques, même si les budgets sont là lorsqu’il s’agit de créations contemporaines. L’entourage de la troupe, le bon fonctionnement au quotidien, dépendent aussi des maîtres et maîtresses de ballet, de la DRH comme de Stéphane Lissner. L’article du Figaro reste cependant très à charge contre Aurélie Dupont, et Aurélie Dupont seulement, ce qui peut étonner. 

 

Le répertoire à l’Opéra de Paris 

Le Figaro a publié le même jour un article un peu moins pris à partie sur la situation du répertoire. Et pose un problème intelligent : l’École de Danse forme des danseurs et danseuses classiques, la compagnie danse actuellement plus de néo-classiques et contemporains. Ce qui doit, forcément, engendrer des frustrations. Les danseurs et danseuses sont d’ailleurs plutôt à regretter ce manque de ballet classique. Preuve en est : le choix des variations libres du dernier Concours de promotion, faisant toutes la part belle au grand répertoire classique. Une réflexion à ne pas prendre, bien sûr, à charge contre la danse contemporaine, qui a aussi sa place à l’Opéra de Paris. Mais tout est une question de dosage, et le dosage manque visiblement. Une intéressante interview de Sylvie Jacq-Mioche, historienne de la danse et professeure à l’École de Danse de l’Opéra de Paris, est à lire à ce sujet dans La Croix, parue le 17 avril.

 

Problème de harcèlement

La question inquiétante du harcèlement est également évoquée dans ce sondage interne. 76.85% des artistes affirment ainsi avoir été victime ou témoin de harcèlement moral par un employé de l’Opéra de Paris. Dans Le Figaro, Aurélie Dupont se défend : « Je dialogue beaucoup avec les danseurs, mais comme je veux les faire progresser, ce que j’ai à leur dire n’est pas toujours facile à entendre« . À l’Opéra de Paris, avoir un discours franc et humilier une personne sont parfois deux choses qui se confondent, que ce soit par la direction ou les maîtres et maîtresses de ballet. Un point qui avait d’ailleurs interpellé Benjamin Millepied, qu’il évoquait dans le documentaire Relève, mais où il n’a visiblement pas réussi à faire évoluer les mentalités. Idem pour la délicate question du harcèlement sexuel : un quart de la troupe se déclare avoir été victime ou avoir été témoin de harcèlement sexuel par un employé de l’Opéra de Paris.

Stéphane Lissner a répondu à ce sujet lors d’une interview accordée à l’AFP. Une réponse plutôt inquiétante quant à sa réflexion sur le sujet. S’il assure que « c’est tolérance zéro » pour le harcèlement sexuel à l’Opéra, cela ne peut se régler pour lui que « si la personne qui a subi parle« . S’il suffisait de parler pour régler le problème du harcèlement sexuel, cela se saurait. Il faut également que l’institution soit prête à entendre la parole des victimes. Or, le sondage dévoile que, dans ces cas de harcèlement, 87 % des artistes du ballet considèrent ainsi que les mécanismes de recours ne sont pas suffisamment clairs ou en confiance. Le directeur de l’Opéra soutient sinon Aurélie Dupont, un peu en service minimum, à coup de « elle est une excellente directrice de la danse« . Sa seule solution à ces problèmes ? Davantage d’entretiens entre artistes et direction. Ce qui sonne presque comme une fin de non-recevoir. Stéphane Lissner ne peut de toute façon donner une autre réponse : son mandat prend fin en 2021 et il souhaite le renouveler pour cinq ans, même s’il a atteint la limite d’âge. Après l’échec du recrutement de Benjamin Millepied, une autre vague venant du ballet ne serait pas bon pour sa candidature. 

 

Quelles solutions ? 

Car derrière ce drama médiatique ce cache une réalité visiblement compliquée pour les danseurs et danseuses. En mettant en place ce sondage interne, la CEA a voulu prendre le problème à-bras-le-corps, et engager une véritable réflexion de fond. « Un ballet, c’est toujours des problèmes« , explique un artiste à Libération. « […] Il y en a avec Aurélie Dupont, qui n’a pas beaucoup d’expérience. Mais il n’y en a pas plus aujourd’hui qu’il y a vingt ans et nous savons comment les résoudre« . Les témoignages recueillis dans Le Monde sont plus nuancés, faisant état à la fois d’une déception d’avoir vu ce sondage dans la presse, mais aussi l’existence véritable problème de management et de harcèlement

Pour Aurélie Dupont, toujours dans Le Figaro : « On parle de ce qui ne va pas et pas de ce qui va : la compagnie rayonne et nos danseurs ont un statut que le monde entier leur envie« . C’est un peu là où elle se trompe. Si l’Opéra de Paris a toujours le prestige de l’histoire, elle ne fait plus vraiment parler d’elle à l’international. Les compagnies qui sont sur le devant de la scène aujourd’hui sont plutôt le Bolchoï, l’English National Ballet, le Het Nationale Ballet ou le Royal Ballet, très prisées par les jeunes danseurs et danseuses. L’Opéra de Paris a d’ailleurs dû renoncer à une belle tournée américaine, qui devait avoir lieu en juin, faute de mécène. Un coup dur pour une compagnie censée « rayonner« . 
 

Commentaires (3)

  • Isabelle

    Je ne suis pas du tout certaine qu’Aurélie Dupont ait les coudées franches pour ce qui est de la programmation.
    Ayant assisté à la présentation de la saison 2017/2018 pour l’AROP, j’ai été frappée par l’attitude de Bernard Stirn, Président du conseil d’administration de l’Opéra, placé au centre de la scène.
    Somnolent pour certaines présentations, il sortait de sa torpeur pour appuyer de manière particulièrement ostensible d’autres annonces…
    Il était évident, par exemple, que la Directrice n’avait pas pas eu le choix au moment d’inviter le chorégraphe Shechter. Nous verrons bientôt l’étendue du talent de ce dernier…
    Au final, quelle est la légitimité artistique d’un juriste, membre du Conseil d’Etat comme Bernard Stirn ?

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  • Meliroze

    Bonjour,
    J’aime beaucoup Aurelie Dupont en tant que danseuse mais en tant que directrice, sa programmation trop danse contemporaine me déçoit (c’est un avis très personnel). Peut-être que poursuivre sa carrière de danseuse n’est pas compatible avec la direction de l’opéra qui nécessite sans doute un investissement à temps plein.

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    • tarn

      Il y avait l’automne 2015 une très intéressante exposition à Orsay sur la prostitution au 19ème siècle. C’est là que j’a compris pour la première fois les danseuses de Degas ! L’opéra était alors ni plus ni moins une maison close.
      Il serait intéressant de réfléchir à l’histoire de l’Opéra, des danseurs et des danseuses, au statut des danseuses. J’ai en image un Louix 14 grimé et dansant. Cela ne correspond plus, me semble-t-il à l’image qu’on a aujourd’hui de la danse classique, activité très « genrée ». On comprend pourquoi avec l’exposition d’Orsay.
      Cette culture de maison close a-t-elle quelque chose à voir avec la situation actuelle ? Etant entendu évidemment que les danseuses actuelles n’ont plus les mêmes ambitions que celles du 19ème siècle !

      On peut aussi regarder l’image du Défilé du Ballet de l’Opéra de Paris présente sur cet article. A la fois c’est magnifique. Et à la fois, si on s’y attarde, on peut se demander à quel prix cette image peut se construire ? Ce qu’on voit c’est la troupe mais aussi les enfants, les ados qui formeront la future troupe. N’y a-t-il pas là quelque chose de très inquiétant. Une grande famille, avec ses névroses, ses détraqués, ses monstres … dans un univers clos avec une ambition « too much » et une compétition à outrance. A quel prix ? Festen ?

      La comparaison entre Opéra et CRR-CNSMD serait aussi à faire.

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