[PHOTOS] Retour sur Giselle par le Ballet de l’Opéra de Paris – 28 mai/14 juin 2016
Le Ballet de l’Opéra de Paris a donné le ballet Giselle de Jean Coralli et Jules Perrot au Palais Garnier au printemps 2916. Retour sur les différentes distributions, les Étoiles qui ont brillé (particulièrement dans le rôle-titre) et les révélations de cette série.
Retour en images sur les différentes distributions de ce programme (cliquer sur la première image et faire défiler) :
Cette série de Giselle a forcément démarré… avec des blessures. D’abord celle de Laëtitia Pujol. L’Étoile, qui a été l’une des grandes interprètes du rôle il y a 10 ans, devait faire son retour sur scène après plusieurs mois de blessure. Quelques jours avant la première, la ballerine a dû renoncer, pour être remplacée par Myriam Ould-Braham. Qui devait donc être associée avec Mathieu Ganio pour la première, un partenariat inédit. Mais le couple ne dansa ensemble que pour la générale, Myriam-Ould-Braham se blessant à son tour. C’est finalement Amandine Albisson et Stéphane Bullion qui ont assuré la première. Une première qui a laissé le public (comme les critiques mitigées). Mais le reste de la série a été de haute tenue. Mathieu Ganio s’est associé finalement à Dorothée Gilbert, qui dansa également avec Vadim Muntagirov, Principal du Royal Ballet, remplaçant Josua Hoffalt. Le reste de la série fut plus calme question blessured, avec une matinée de jeunes talents et Myriam Ould-Braham qui pu danser ses dates. La série n’a également eu aucune annulation pour cause de grève, ce qui n’a pas été le cas des opéras.
Giselle vu par Jade Larine
Si une Giselle a marqué les esprits cette année, c’est bien celle de Dorothée Gilbert, dont le ton et l’allure ont rappelé par bribes le génie de Monique Loudières. Par son naturel bon vivant et sa virtuosité, elle était attendue dans l’acte terrestre. C’est pourtant dans l’acte fantomatique que sa Giselle défunte a fait date par la justesse de ses postures et l’intelligence de sa technique, mise au service d’une danse nuancée. Mathieu Ganio, tout en jambes, a campé un Albrecht noble, beau parleur et joli cœur, agaçant de dualité à l’acte I et touchant de rédemption à l’acte II.
La Giselle latine de Ludmila Pagliero brûlait d’un désir ardent de vivre au gré de ses envies, elle en avait « le diable au corps ». Elle s’est révélée par ailleurs actrice cocasse, conférant à l’acte I des airs de comédie. La complicité avec Karl Paquette, un Albrecht tempéré, a rendu la pantomime d’autant plus lisible. L’acte II, moins lyrique qu’à l’accoutumée, a été illuminé par la prise de rôle – enfin ! – de Fanny Gorse en Myrtha distinguée. Sa silhouette élancée et sa danse à grande allure nourrissent l’espoir de la voir briller dans d’autres rôles majeurs.
Après la révélation de Dorothée Gilbert en grande danseuse classique de notre temps, était-il possible d’atteindre un nouveau sommet de beauté ? C’est bien la distribution réunissant Myriam Ould-Braham et Mathias Heymann qui m’a procuré le plus d’émotions. Comment ne pas faillir devant la grâce emplie de fragilité de cette Giselle séraphique qui a peut-être ressuscité l’âme de Carlotta Grisi, la blonde muse de Théophile Gautier ? Poète mélancolique perdu dans une rêverie romantique, Mathias Heymann a convoqué l’esprit des écrivains torturés contemporains de la première de Giselle en 1841.
Entre Hannah O’Neill, Fanny Gorse, Valentine Colasante et Héloise Bourdon, la reine des Wilis a pris différentes couleurs au cours de la série. Hannah O’Neill, danseuse à tempérament de la nouvelle génération dite « Millepied », nous a offert une Myrtha de porcelaine à la présence sûre et à la danse aisée. Fanny Gorse, prédisposée par un physique délié, remporte le prix de l’élégance pour sa Myrtha aux longs bras diaphanes. Valentine Colasante a pris le parti d’une danse plus terre-à-terre, au sens strict comme figuré, pour asseoir son autorité. Dans ce tourbillon de tulle, c’est Héloïse Bourdon qui a embrassé, à mon goût, toutes les nuances du rôle. La douceur qui émane d’elle s’est évanouie au profit d’une souveraineté expressive, matérialisée par des positions glaçantes, sans toutefois occulter la dimension ailée et céleste des Wilis. Elle a fait renaître, un instant, les grandes heures du romantisme lunaire.
Les récentes séries du Lac des cygnes et de La Bayadère avaient montré une compagnie en instance de divorce avec un certain répertoire classique. Giselle a marqué les retrouvailles chaleureuses du Ballet de l’Opéra de Paris avec ce vocabulaire voire, au-delà, avec son histoire. Merci aux wilis, écrin immaculé aux intonations romantiques, pour la séance d’hypnose !
Giselle vu par Amélie Bertrand
Pas de première, ni même de deuxième, j’ai attendu presque une semaine avant de revoir Giselle. Et quelle représentation avec Dorothée Gilbert et Vadim Muntagirov ! Dorothée Gilbert est définitivement la danseuse de la saison, au sommet de son art. Au premier acte, elle est une Giselle explosive, débordante de joie de vivre. Sa danse est moelleuse, subtile, sa variation un vrai régal. Au deuxième acte, Dorothée Gilbert est devenue un spectre accordant son pardon. Elle est Giselle dans le jeu, dans la sincérité. Elle est aussi Giselle dans sa technique aérienne et ses équilibres vertigineux. Elle est enfin Giselle dans sa posture, rappelant les gravures du romantisme, avec un magnifique travail de bras. Vadim Muntagirov est pour sa part un Albrecht charismatique, lyrique et princier. Bellâtre énervant au tout début, il se laisse finalement enivrer par l’énergie de Giselle, avant d’en tomber amoureux. Au deuxième acte, il est l’idéal d’Albrecht, même si lui manque encore de la maturité théâtrale.
Place ensuite à une matinée Jeunes talent, avec Éléonore Guérineau (Giselle), Pierre-Arthur Raveau (Albrecht) et Héloïse Bourdon (Myrtha). La première est depuis plus de 10 ans dans le corps de ballet, elle a pourtant l’âme véritable d’une soliste. Éléonore Guérineau est très peu habituée aux premier rôles. Dès qu’elle entre en scène, pourtant, il y a chez elle l’assurance et le charisme d’une Étoile, comme si elle avait fait ça toute sa vie. Ses si belles qualités de saut (rare à l’Opéra de Paris) enchantent le premier acte. Sa danse est d’une rare intelligence, ciselant chaque pas, donnant de l’esprit à chaque geste. Son personnage, déjà, semble être creusé comme si elle travaillait dessus depuis des années. Éléonore Guérineau brille si bien qu’elle en éclipse son partenaire. Pierre-Arthur Raveau a d’immenses qualités, et il est fait pour danser Albrecht. Mais il semblait encore dans la retenue, un peu timide. Héloïse Bourdon en Myrtha affichait d’ailleurs toute sa maturité et son expérience des premiers rôles.
Enfin, Myriam Ould-Braham et Mathias Heymann, pour un deuxième acte qui m’a profondément bouleversée. Myriam Ould-Braham est la pureté incarnée dans le premier acte. Le mensonge l’a salie, seule la mort peu lui redonner sa pureté. Au deuxième acte, elle n’est pas un spectre, elle est un ange, auréolée d’une intense luminosité malgré la pénombre des éclairages. Mathias Heymann n’est pas un Albrecht habituel. Rêveur solitaire, il est dès le début profondément amoureux de Giselle. Et c’est ce qui rend le deuxième acte si beau : c’est véritablement un couple d’amoureux qui se retrouve pour la dernière fois, lui effondré de fatigue, elle insaisissable. Il y a entre eux une immense tendresse qui serre le coeur à chaque pas de deux. Hannah O’Neill est à leurs côtés une Myrtha impressionnante. Semblant véritablement flotter dans les airs à son arrivée, elle mène d’autorité sa troupe de Willis, sans jamais tomber dans la dureté ou la caricature. La technique, l’intelligence du rôle et la présence d’une Étoile, voilà la Myrtha la plus aboutie de la série. François Alu offre pour sa part le parfait contre-point en Hilarion, rustre et paysan, là encore le plus convaincant dans ce rôle pour cette série. Comme à son habitude, le danseur est très investi théâtralement, même s’il donne parfois l’impression ne pas trop savoir comment se servir de son corps en ne faisant que jouer, sans danser. Il y avait ce soir-là la distribution la plus équilibrée de la série.
François Alu a également dansé presque tous les pas de deux des paysans. Le danseur s’est taillé de beaux applaudissements, même si ce passage très élégant et tout en finesse n’est pas forcément ce qui le met le mieux en valeur. Sa deuxième variation, notamment sa superbe diagonale du début, a néanmoins à chaque fois fait son petit effet. Quelques jeunes talents ont eux aussi leur chance. Malgré toutes leurs qualités, le gouffre semblait encore grand face au Premier danseur. Charline Giezendanner ou Lydie Vareilhes ont assuré avec charme la partie féminine. Mais personne ne pouvait rivaliser avec Éléonore Guérineau, qui a véritablement transformé cette variation en petit bijou.