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Une année au LAAC – Moment de création

Mercredi 14 décembre. Le LAAC est parti du côté du Ballet de l’Opéra de Bordeaux : quelques élèves y sont surnuméraires pour Coppélia, d’autres en stage, Clairemarie Osta y donne les cours. Le Studio Coupole du Théâtre des Champs-Élysées n’en est pas pour autant désert. La Fabrique de la danse a pris possession des lieux pour la semaine avec son stage « Recherche et création chorégraphique » donné par la chorégraphe Christine Bastin. Anna et Emma, deux élèves du LAAC, y participent. Depuis leurs débuts à l’atelier, elles se confrontent à l’acte de création avec des projets personnels, et ont envie avec ce stage d’approfondir ce travail.

Une année au LAAC – Anna lors de l’atelier « Recherche et création chorégraphique »

Âgée de 21 ans, Anna s’est formée chez Rosella Hightower, Alvin Ailey ou Alonzo King, chez qui elle a eu un gros déclic. Elle est arrivée au LAAC il y a an pour renforcer sa technique classique, ce qui n’avait rien d’évident pour elle. « On m’avait mis dans une case qui me disait que je ne pouvais pas danser du classique. Et je me suis mis des barrières toute seule. Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche sont allés dans un autre sens, me disant que je devais créer ma propre façon de danser du classique« . Si Anna souhaite avant tout danser, elle aime ce travail de recherche chorégraphie et a créé sa première pièce en juin dernier, pour le spectacle du LAAC. Avec ce stage « Recherche et création chorégraphique », elle a envie de savoir si elle est « dans la bonne direction« . « Ce stage, c’est à la fois un accompagnement et un retour sur notre travail. La remise en question personnelle est très importante, en tant que chorégraphe ou interprète« . 

Après un échauffement, les six élèves du stage (cinq femmes et un homme) démarrent une courte improvisation. « Sentez-vous très intuitif, à l’écoute de votre corps« , les guide Christine Bastin. Chorégraphe au regard profondément bienveillant, elle aime guider ces jeunes créateur.rice.s. « L’idée du stage est d’accompagner le.la chorégraphe, de l’aider à discerner quelle est leur nature profonde de chorégraphe, quel type de corps il.elle a envie d’utiliser« . Place à une deuxième improvisation d’une quinzaine de minutes, au sol. La chorégraphe navigue entre les étudiant.e.s, parle beaucoup pour les guider dans leur travail et leur recherche. « Voyagez constamment, ne faites pas d’aller-retour« , conseille-t-elle. « Laissez-vous surprendre et lâchez prise dans la vitesse. Allez à votre vitesse maximum, c’est vous qui savez« . Anna aime ces improvisations libres. « J’essaye de chercher de nouveaux chemins« , explique-t-elle. « Très souvent, je me retrouve donc dans des positions complètement bizarres. Le but est d’en sortir sans mettre d’à-coup ou de relâchement« . 

Christine Bastin propose ensuite un autre exercice, qui occupe la majeure partie de la séance : une séance d’improvisation appelée « Solistes et paysage ». L’un deux est le soliste, il danse, il crée comme il veut. Les autres improvisent par rapport à lui. Ils ne doivent pas copier mais s’inspirer du mouvement pour aller dans la même énergie, ou pour au contraire s’y opposer. Au bout d’un temps, le rôle de soliste change de personne, pour que chacun à son tour guide le groupe. « Le soliste décide du temps, de l’énergie. Il vit sa vie. Cela nécessite au groupe de se déconcentrer de ce qu’il fait pour ne pas couper le fil avec le soliste. Les autres bougent par rapport au soliste mais ils ne sont pas des suiveurs« , explique Christine Bastin, ce qui demande aussi au soliste d’être très clair dans ce qu’il.elle propose. Elle insiste pour que les étudiant.e.s se servent de ce moment de soliste pour tester des choses, trouver de nouvelles pistes. « N’ayez pas peur de creuser« , appuie-t-elle. Avant de se lancer, la chorégraphe livre quelques citations inspirées des élèves lors des premiers jours du stage. « Je ne peux pas être neutre, sinon ça voudrait dire qu’il existe une façon objective de travailler« , explique Christine Bastin. « J’ai besoin de les percevoir, de les capter, de les ressentir« . Certaines élèves sont troublées par ses trouvailles, elle a visiblement touché juste sur le cheminement des élèves. À eux.elles de décider s’ils veulent s’en servir ou non pour cette improvisation. « Je leur dis souvent : ‘Triez dans ce que vous entendez' », continue la chorégraphe. « L’idée n’est pas de tout prendre, mais de retenir ce qui fait écho en eux.elles« . 

Dernière recommandation : Christine Bastin demande à une jeune fille d’enlever un bijou, car « Il faut se préparer à tout avec un groupe« , ajoute-t-elle malicieusement. Emma décide de commencer à prendre le rôle de la soliste. Elle danse, mais ne semble pas forcément clair dans ce qu’elle a envie de proposer. Le groupe autour n’arrive donc pas bien à savoir sur quel pied danser. Le seul garçon du groupe – Hervé – prend finalement le relai du soliste. Puis c’est un moment de flottement entre Emma et une autre élève, les deux hésitent à prendre leur place. C’est finalement une troisième fille qui se lance, ce qui redynamise complètement la danse du groupe. L’exercice dure une quinzaine de minutes, permettant à chacun d’avoir le temps d’instaurer une énergie. Mais l’expérience n’a pas été des plus simples pour Anna. « Ça a été pour moi très dur« , explique-t-elle après coup. « Il y avait des petits moments de flottement où on se cherchait. J’ai hésité à prendre le pouvoir, je sentais que ça flottait, que personne n’avait la main. Du coup, j’ai osé me lancer« .

Tout le monde s’assoie ensuite en cercle pour un débrief. Christine Bastin revient sur les passages de chacun avec bienveillance, et prend soin de souligner ce qui a été réussi chez tout le monde. « C’est la première fois qu’ils font cet exercice et je pense qu’il y a de la pudeur, du politiquement correct« , raconte-elle. « Ce n’est pas rien de se dire : ‘C’est à moi maintenant' ». Mais qui je suis en tant qu’artiste, chorégraphe ?« .  À chacun ensuite de parler de ce qu’il a ressenti et de porter un regard critique sur son travail et celui des autres. « Mais je les invite aussi à ne pas se laisser dérouter« , précise la chorégraphe. « Ils ne sont pas là pour fair plaisir aux autres ou pour changer de route« .

« Je ne me lasse jamais de voir quelqu’un au travail et de voir éclore un mouvement. C’est toujours un plaisir infini.

Vient ensuite un temps de transmission. Chacun.e travaille en ce moment sur sa pièce. Pendant ce stage, ils transmettent tous une minute de leur travail aux autres. C’est au tour d’Anna cette fois-ci. Pour sa pièce l’année dernière, elle avait fonctionné sur un fil narratif. Mais elle veut travailler complètement différemment pour ce deuxième travail de création. « Cette année, c’est la musique qui m’a parlé« , explique-t-elle. « J’ai eu envie de créer le contraste, avec comme thème les choix que l’on doit faire« . La séance se termine sur un temps de recherche personnelle. Écouteurs sur les oreilles, ils sont tous.tes dans leur bulle, cherchant le mouvement. Christine Bastin passe une dernière fois auprès d’eux.elles pour discuter et les aiguiller. « J’aime la danse, et c’est quelque chose qui ne passe pas depuis 40 ans« , explique-t-elle avec le sourire, quand je lui demande ce que ce stage lui apporte. « Je ne me lasse jamais de voir quelqu’un au travail et de voir éclore un mouvement. C’est toujours un plaisir infini. L’acte de création est l’un des plus beaux qui soient« . 

Concernant Anna, elle se prépare aux auditions pour 2017. Elle rêve d’une compagnie contemporaine néo-classique comme le NDT. Elle avait d’ailleurs passé l’audition publique il y a deux ans, une expérience pas forcément positive au milieu de 600 autres postulant.e.s., alors qu’elle était encore jeune. Mais elle compte bien y revenir, notamment par les stages d’été, la maturité en plus. Anna ne se voit pas en tout cas « quitter définitivement » Nicolas Le Riche et Clairemarie Osta. « J’aime leur façon de travailler. C’est très riche, humainement et pour la danse. Ils ne laissent personne à part et voient le fond de notre potentiel, jusqu’où nous pouvons aller. C’est parfois très dur, mais aussi très motivant« . Au LAAC, Anna a trouvé une liberté et de nouveaux outils pour sa danse. « Je me sens prête à partir tout en gardant ces outils et en sachant m’en servir« . 

 

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