Chicago – Théâtre Mogador
En choisissant de monter une nouvelle production française de Chicago, comédie musicale cultissime, multirécompensée Outre-Atlantique, à l’affiche depuis vingt-deux ans, Stage Entertainment France continue sur sa lancée audacieuse et exigeante. Et confirme l’excellente impression laissée par Grease la saison dernière : il semblerait que nous n’ayons plus à rougir de nous attaquer à de grands classiques de Broadway. Cette nouvelle production dont la chorégraphie a été supervisée par Ann Reinking herself, danseuse fétiche de Bob Fosse, est une belle réussite au classicisme chic et sophistiqué. Pas forcément révolutionnaire dans la forme, sans petit grain de folie ou d’effet waouh !, mais superbement interprété et mis en scène.
« Mesdames, messieurs, bienvenue, vous allez assister à une histoire de meurtre, de cupidité, de corruption, de violence, de manipulation, d’adultère et de trahison, toutes ces choses qui sont si chères à notre cœur… » Il y a des entrées en matière qui sont imprimées dans une mémoire de spectatrice. Entendre ces mots, même en français, produit toujours un petit pic d’excitation. Ils nous rappellent que le musical des années 1970 s’appuie sur une pièce de théâtre de 1926. Elle-même s’inspirant de faits divers de cette époque et qui, 90 ans plus tard, résonne d’une étonnante actualité : compromissions de la justice, manipulation des médias, lutte des femmes pour s’imposer dans un monde dominé par les hommes, obsessions de l’argent, de la gloire, du pouvoir… N’en jetez plus : il y a du Kim Kardashian chez Velma et Roxie dans leur soif de reconnaissance et célébrité !
La colonne vertébrale de Chicago, c’est ce duo de sulfureuses, la brune Velma Kelly et la blonde Roxie Hart. Même si les personnages comportent des nuances que les deux artistes choisies doivent révéler dans leur interprétation, ils se rejoignent sur un point : il faut une réelle personnalité et une superbe assurance dans la gestuelle et le chant pour porter cette histoire. Car, sans minimiser le reste des rôles, notamment celui de Billy Flynn, l’avocat véreux et cynique (Jean-Luc Guizonne impeccable) et exception faite bien sûr de l’orchestre, Chicago ne passe la rampe que si son binôme féminin casse la baraque. Et là on est servi ! Pour avoir déjà participé à la version allemande de Chicago, la Néerlandaise Carien Keizer (Roxie Hart) semble comme un poisson dans l’eau. Même son accent apporte un charme fou et elle sait en jouer, mimiques en sus. Son expérience de meneuse de revue au Lido lui confère un abattage qui sied totalement au rôle. Sofia Essaidi (Velma Kelly) est elle aussi très crédible et précise dans la chorégraphie jusqu’au bout de ses Salomé vernies. Limite un peu trop soucieuse de bien faire, mais que de chemin parcouru en une quinzaine d’années ! On sent le travail, l’éclosion d’une artiste. Espérons que d’autres productions sauront capitaliser sur son talent.
Le parti-pris de la mise en scène surprend au début, mais révèle très vite toute sa signification. Il est fidèle à la scénographie de la production américaine. Autrement dit, un orchestre de 14 musiciens occupant le fond de scène, laissant évoluer les danseurs au premier plan. On a parfois le sentiment, sur certains morceaux que la troupe est un peu limitée dans ses déplacements, mais cela ne nuit pas pour autant à la chorégraphie. On retrouve toutes les influences dont s’est nourri Bob Fosse, des claquettes au néoclassique très balanchinien. Bras très étirés aux poignets cassés, travail de bas de jambe très précis, roulements d’épaules, déhanchements suggestifs pas de charleston, Ann Reinking rend un très bel hommage au foisonnant Fosse Style. Très attendus, les fameux Cell Block Tango et I move on démontrent le niveau de cette production et emportent la mise. De l’avis de la chorégraphe, « Chicago va comme un gant à Paris« . Entièrement d‘accord avec elle !
Chicago de John Kander et Fred Ebb, Walter Bobbie et Tania Nardini (mise en scène) et Ann Reinking (chorégraphie d’après Bob Fosse) au Théâtre Mogador. Avec Carien Keizer (Roxie Hart), Sofia Essaïdi (Velma Kelly), Jean-Luc Guizonne (Billy Flynn) et toute lVendredi 5 octobre 2018. A voir durant toute la saison 2018-2019.