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La Fille mal gardée de Frederick Ashton par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux – Diane Le Floc’h et Neven Ritmanic

1er juillet 1789. Quelques jours avant le début de la Révolution, La Fille mal gardée voit le jour sur la scène du Grand-Théâtre de Bordeaux. Le ballet de Jean Dauberval marque l’histoire de la danse : exit les personnages de la mythologie, place à l’histoire simple d’un couple de paysans. Plus de 300 ans plus tard, ce ballet fait son retour sur la scène qui l’a vu naître, dans la version bien connue de Frederick Ashton, suite au récent partenariat entre la troupe bordelaise et l’Opéra de Paris. Un joli clin d’œil à l’histoire et un juste retour des choses. Il est cependant dommage que le Ballet de l’Opéra de Bordeaux n’est pas eu l’ambition artistique de monter « sa » version de La Fille mal gardée, préférant reprendre une version certes délicieuse mais vue chaque année aux quatre coins du globe. Reste que la troupe bordelaise, pleine de talent, s’empare avec bonheur et enthousiasme de ce ballet à l’humour si anglais, Diane Le Floc’h et Neven Ritmanic dans les rôles principaux en tête.

La Fille mal gardée de Frederick Ashton – Diane Le Floc’h et Neven Ritmanic, et le Ballet de l’Opéra de Bordeaux

Malgré son soleil, son pique-nique et ses épis de blé, La Fille mal gardée de Frederick Ashton est un ballet idéal pour Noël. On peut y aller en famille, chacun y trouvera son compte par les différents niveaux de lecture de l’oeuvre. On y rit, on s’attendrit sur cet amour si plein de fraîcheur entre Lise et Colas, on en ressort le sourire aux lèvres et l’envie de danser dans le froid piquant du mois de décembre. Cette version si anglaise, qui n’a plus grand-chose à voir avec celle originale donnée à Bordeaux au XVIIIe siècle dont il ne presque rien, a cette richesse, cette inventivité qui séduit à chaque fois qu’on la retrouve. Les poulettes, la danse des sabots, le poney, le happy end attendu, les rubans, la tempête du pique-nique : tout séduit comme à la première fois. D’autant plus que le Ballet de Bordeaux s’en empare avec autant d’enthousiasme que de sérieux, avec un travail de transmission à saluer indéniablement. Le corps de ballet est en place et l’on ne dirait pas qu’il s’agit seulement de sa troisième représentation. Il s’amuse et apparaît soudé, alors qu’il est composé en bonnes parties de surnuméraires qui n’ont donc pas l’habitude de danser ensemble. Une réussite à saluer, d’autant plus que les ensembles, s’ils ne sont pas en soi compliqués techniquement, demandent la manipulation de pas mal d’accessoires (ahh, la danse des rubans) tout comme de savoir rester vivant et drôle, la magie du ballet passant aussi par le groupe. 

Dans les deux rôles principaux de Lise et Colas, Diane Le Floc’h (Première danseuse) et Neven Ritmanic (Soliste) sont absolument charmants et attendrissant en deux tourtereaux, attirant immédiatement la sympathie du public qui a dès le début envie d’applaudir leur mariage. Elle joue plus la carte de la jeune fille en fleur très amoureuse, plus que de la chipie qui renverse tout sur son passage. Sa jolie technique et son jeu naturel créent un personnage très attachant. Neven Ritmanic est pour sa part un danseur étonnant. Charismatique en scène, très bon acteur, il se remarque dès qu’il met un pied en plateau. Bondissant dans les grands sauts, il se montre cependant un peu crispé dans le travail du bas de jambe et sa première variation laisse tout de même dubitatif. Mais il se rattrape par une façon naturelle de s’emparer de son personnage, véritable paysan et non pas prince jouant à la partie de campagne, avec cette allure bonhomme un peu canaille qui fait tout le charme de Colas. Neven Ritmanic est de plus un très bon partenaire (certains pourraient prendre des cours de portés à une main avec lui) et forme avec Diane Le Floc’h un partenariat plein de justesse, qui donne beaucoup de charme aux personnages. Le couple – qui ne s’en cache pas sur les réseaux sociaux l’est aussi à la ville – propose une spontanéité et une complicité qui font fondre n’importe quel cœur un tant soit peu récalcitrant, parfaitement en accord avec l’esprit de Frederick Ashton. 

La Fille mal gardée de Frederick Ashton – Diane Le Floc’h et Neven Ritmanic, et le Ballet de l’Opéra de Bordeaux

Les rôles de caractère dans cette Fille mal gardée sont délicats, jouant sur l’humour, le sens de la dérision et le côté cartoon sans toutefois en faire trop. Pour une prise de rôle, Roman Mikhalev s’en sort avec les honneurs en Mère Simone. Parfois un peu trop sec dans son jeu, il a toutefois compris les subtilités de ce personnage de maman bougonne, mais finalement au cœur tendre, et sait faire rire la salle. Alexandre Gontcharouk s’empare avec cœur du rôle d’Alain. Si le jeu est là, la danse est encore trop appliquée. Celle d’Alain est un jeu subtil de déséquilibres et les choses sont encore trop belles chez le danseur. Il sera cependant intéressant de voir comment ces deux artistes font évoluer leur rôle si particulier au fil de la série. Le corps de ballet assure donc le liant avec joie et trouve dans cette Fille mal gardée une partition qui le met en valeur. Mention spéciale enfin aux quatre élèves du Pesmd qui tiennent avec panache le rôle des quatre poulettes (qui, ne nous y trompons pas, sont avec le coq les vraies stars de ce ballet).

Cette belle soirée de danse ne peut cependant empêcher de se poser des questions sur les choix artistiques du Ballet de l’Opéra de Bordeaux, qui a donc décidé de s’associer avec l’Opéra de Paris. Oui, cette Fille mal gardée de Frederick Ashton est un bijou et en soi un beau cadeau fait aux interprètes, tout autant qu’un challenge artistique et technique. Mais devenir une succursale provinciale de l’Opéra de Paris est-il un projet artistique ? C’est évidemment une bonne chose que le public de Bordeaux puisse découvrir cette version, mais ce serait surtout à la compagnie parisienne de tourner un peu plus en province. Après une saison chaotique,  la troupe bordelaise a retrouvé des couleurs et a montré avec cette série de Noël qu’elle n’est pas en manque de talents. Et qu’elle mériterait des ballets bien à elle, un répertoire bien à soi, à l’image de ce qui se faisait sous la direction de Charles Jude, ou de ce qui se fait avec bonheur au Ballet du Capitole ou au Ballet du Rhin. La danse classique est suffisamment en manque de moyens en France pour que les quelques compagnies qui persistent ne se copient pas entre elles. Et, eh oui, le ballet en France ne se résume pas – et ne doit pas se résumer – à l’Opéra de Paris. 

La Fille mal gardée de Frederick Ashton – Diane Le Floc’h et Neven Ritmanic, et le Ballet de l’Opéra de Bordeaux

 

La Fille mal gardée de Frederick Ashton par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux au Grand-Théâtre. Avec Diane Le Floc’h (Lise), Neven Ritmanic (Colas), Roman Mikhalev (Mère Simone), Alexandre Gontcharouk (Alain), Felice Barra (le Père d’Alain) et Ryota Hasegawa (le Joueur de flûte). Jeudi 13 décembre 2018. À voir jusqu’au 31 décembre

 

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