[Suresnes Cités danse 2019 ] Muses d’Anthony Égéa
Anthony Égéa est un habitué du festival Suresnes Cités danse qui s’achève le 3 février. À l’occasion de cette 27e édition, le chorégraphe a présenté Muses, un étonnant « concert chorégraphique » pour deux danseuses et deux pianistes. Un quatuor féminin troublant dans la continuité de Soli 2 créé en 2005 et repris aussi à Suresnes lors de ce festival. Une pièce où Anthony Égéa continue de questionner la figure féminine dans la danse hip-hop. Pour ceux-celles qui le suivent depuis des années, il est frappant de constater combien ce chorégraphe sait provoquer la mise en danger de ses interprètes pour mieux les révéler dans toute leur pugnacité et leur sensibilité.
Sur le plateau, on ne voit d’abord qu’eux. Leur noir laqué scintillant dans une lumière quasi crépusculaire. Installés de part et d’autre de la scène, deux imposants pianos à queue attendent qu’on les réveille, qu’on les fasse résonner. Apparaissent deux danseuses, démarche altière, tunique crème, shorty et genouillères noires. Elles se lancent dans une danse féline alors que les notes du Prélude à l’Après-midi d’un faune de Debussy s’élèvent, chargées de tant d’images. Les figures hip hop toujours très spectaculaires se mêlent à une chorégraphie plus contemporaine faite d’entrelacements et d’effleurements. Petit à petit, le duo se déploie, s’épanouit, se défie entre complicité et dualité, apprivoisement et prise de pouvoir l’une sur l’autre. Qu’elles soient pieds nus ou chaussées de talons qui claquent, elles composent une galerie de personnages féminins hauts en couleur et en sensibilité.
Happé.e par la gestuelle des deux interprètes, on en oublierait presque les deux pianistes qui détournent allègrement des chefs-d’œuvre du répertoire musical, de Carmen de Bizet à la Danse macabre de Camille Saint-Saëns. C’est sans compter la personnalité explosive du duo Jatekok qui s’empare de ces pièces d’anthologie avec une implication physique étonnante. Les deux pianistes Adélaïde Panaget et Naïri Badal font corps avec leurs deux mastodontes à touches noires et blanches tandis que leurs notes classiques se mêlent au rythme électro du compositeur Frank2Louise.
De Amazones à Muses, depuis plus de quinze ans, Anthony Égéa dessine sa propre mythologie contemporaine de la femme puissante. Emilie Sudre et Emilie Schram affichent une belle complicité artistique entre elles, et avec les deux musiciennes. Leurs interprétations énergiques se complètent, plus sensuelle et sauvage pour la première, plus élégante et délicate pour la seconde. « Je veux donner à voir une femme indépendante, de caractère, libre, puissante dans sa fragilité, sa douceur, sa pudeur, une femme virtuose, efficace, redoutable et qui sait aussi donner libre cours à sa folie« , explique le chorégraphe. Ses quatre interprètes se sont coulées parfaitement dans cette intention de départ.
Quand toutes les quatre se retrouvent chacune posée sur son tabouret en velours rouge, elles se lancent dans une interprétation du Boléro de Ravel qui va dériver progressivement vers un délire totalement jubilatoire. Doux au départ, leurs mouvements s’emballent au fur et à mesure que le tempo s’accélère. Les jambes battent l’air, les bras bougent dans tous les sens. Elles tombent des tabourets, remontent, se laissent entraînées dans cette frénésie musicale. Souffle alors un vent de sororité – tellement en accord avec ce que les femmes vivent actuellement – qui emporte tout sur son passage et qui fait un bien fou.
Muses d’Anthony Égéa au Théâtre de Suresnes Jean Vilar dans le cadre de Suresnes Cités Danse. Pièce pour deux danseuses et deux pianistes. Avec Émilie Schram et Émilie Sudre. Direction musicale : le Duo Jatekok (Adélaïde Panaget et Naïri Badal). Musiques électroniques : Frank 2 Louise. Mardi 22 janvier 2019. À voir en tournée.