Programme Cherkaoui/Goecke/Lidberg – Ballet de l’Opéra de Paris
C’est au Palais Garnier que le Ballet de l’Opéra de Paris faisait sa rentrée 2019 avec un programme réunissant trois chorégraphes masculins contemporains : le belge Sidi Larbi Cherkaoui avec la reprise de Faun, l’allemand Marco Goecke pour sa création Dogs Sleep et le suédois Pontus Lidberg qui se confronte courageusement à la partition d’Igor Stravinsky Les Noces. Soirée brève avec seulement 70 minutes de danse et de facture très inégale. Sidi Larbi Cherkaoui offre une vision sensuelle du poème de Mallarmé et Pontus Lidberg réussit sa rencontre avec la compagnie en renouvelant avec doigté la thématique des Noces. Mais le programme est plombé par la vacuité de la pièce de Marco Goecke malgré la qualité des solistes avec lesquels il a travaillé.
Construire une soirée avec trois univers différents n’est pas chose facile et on peine quelque peu à trouver la cohérence artistique de ce programme. Certes, Faun et Les Noces s’inscrivent dans une relecture de deux Ballets Russes iconiques sur des partitions qui ne le sont pas moins. Mais Dogs Sleep a quelques difficulté à s’insérer dans ce registre. D’où la sensation d’une soirée bancale et peu satisfaisante. Elle s’ouvre pourtant en beauté avec Sidi Larbi Cherkoui et la reprise de Faun, une pièce créée en 2009 au Sadler’s Wells de Londres pour un danseur et une danseuse de sa compagnie en hommage à Diaghilev. Elle fut donnée sur la scène du Palais Garnier pour une soirée unique à l’occasion du gala d’ouverture de 2017. Ce fut pour beaucoup une superbe découverte.
Le rideau se lève ainsi sur Marc Moreau dans le rôle du faune, torse nu, dans un rond de lumière. Sidi Larbi Cherkaoui est revenu à la source du poème de Stéphane Mallarmé pour construire une pièce qui déborde de sensualité animale : une danse très ancrée au sol dans une scénographie impeccable composée d’une forêt en automne en image sur grand écran où subrepticement clignotent des lumières. L’arrivée sur scène de sa partenaire Juliette Hilaire transforme la sensualité en érotisme délicat. Les corps s’apprivoisent, s’entrelacent et le couple se sublime dans un pas de deux ciselé, parfois gymnique et toujours d’une suprême élégance. Marc Moreau démontre qu’il n’a pas usurpé son rang de Premier danseur : son interprétation est exceptionnelle, nuancée et musicale. Juliette Hilaire est devenue une danseuse qui excelle dans le répertoire contemporain et qui trouve dans cette œuvre un vecteur d’expression qui lui convient parfaitement. Atout supplémentaire : la direction de Vello Pähn à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris.
Le temps d’un précipité et on change d’atmosphère avec Dogs Sleep, titre énigmatique de la pièce de Marco Goecke. On se réjouissait qu’un chorégraphe contemporain ait choisi de créer pour la compagnie parisienne alors que d’autres se contentent trop souvent d’importer à l’Opéra de Paris des pièces de leur répertoire. Hélas ! Le chorégraphe allemand a raté sa rencontre avec les solistes qu’il a choisis. Trois danseuses (Ludmilla Pagliero, Marion Barbeau, Muriel Zusperreguy) et quatre danseurs (Stéphane Bullion, Mathieu Ganio, Marc Moreau, Arthus Raveau) partagent la scène. Pourquoi elles ? Pourquoi eux ? La question est sans réponse. Il n’y a rien à danser dans cette pièce absconse, dépourvue d’épine dorsale et qui s’éternise durant 30 minutes dans une répétition frénétique de gestes vains composés de mouvements de bras saccadés dignes d’un cours d’aérobic des années 1980 ! Il faut s’armer de jumelles pour distinguer ce qui se passe sur scène et qui danse : les artistes sont en permanence noyés dans la fumée qui cache le bas du corps et assombris par un rideau translucide. Pour la partition, Marco Goecke a convoqué Ravel et Debussy pour un collage musical qui s’achève sur la voix fabuleuse de Sarah Vaughan chantant April in Paris. Mais le chorégraphe allemand n’est jamais à la hauteur de ce choix ambitieux. Dogs Sleep ne distille qu’un ennui profond, un manque d’inspiration manifeste et le regret de voir des danseuses et des danseurs de talents perdus dans ce voyage sans pilote.
L’entracte n’est pas de trop pour se remettre de ce naufrage chorégraphique et déambuler avant la dernière pièce de la soirée. On s’inquiète bien sûr mais à tort : Les Noces selon Pontus Lidberg remettent les choses à leur place et la danse sur la scène. Le chorégraphe suédois offre enfin dans cette soirée une œuvre pour la compagnie et non pour des solistes. Ils sont 18 au total issus du corps de ballet pour ces Noces revisitées. Pontus Lidberg a conservé le thème originel du ballet initialement chorégraphié par la sœur de Nijinsky, Bronislava Nijinska, en 1923 sur la partition de Stravinsky pour quatre pianos, quatre chanteurs et un chœur. Le compositeur a aussi écrit le texte qui s’inspire de textes populaires à propos d’un mariage paysan. On ne peut plus traditionnel dans l’esprit mais Pontus Lidberg propose une vision actuelle des Noces. Rien de conventionnel dans le propos du chorégraphe suédois qui dessine un ballet aérien et coloré où les couples tous sexes confondus se composent, se décomposent et se recomposent avec le souci constant de n’être jamais seul. Patrick Kinmonth a imaginé des costumes d’aujourd’hui pour habiller ce marivaudage et un décor composé d’une rose rouge géante et de panneaux noirs coulissants qui viennent masquer les danseuses et les danseurs que l’on retrouve dans une autre composition. Mais ne sait-on pas que les histoires d’amour finissent mal… en général ? Voilà donc la rose qui se fane, nous dit Pontus Lidberg. Le chorégraphe suédois réussit son inauguration sur la scène du Palais Garnier et crée pour la compagnie une œuvre légère et mélancolique. Elle mérite, celle-ci, de rester au répertoire.
Programme Cherkaoui/Goecke/Lidberg par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Faun de Sidi Larbi Cherkaoui, avec Juliette Hilaire et Marc Moreau. Dogs Sleep de Marco Goecke avec Ludmila Pagliero, Marion Barbeau, Muriel Zusperreguy, Stéphane Bullion, Mathieu Ganio, Marc Moreau, Arthus Raveau. Les Noces de Pontus Lidberg avec Aurélia Bellet, Lydie Vareilhes, Aurélien Houette, Antoine Kirscher, Takeru Coste, Julien Guillemard, Caroline Robert, Silvia Saint-Martin, Letizia Galloni, Juliette Hilaire, Clémence Gross, Ninon Raux, Daniel Stokes, Yvon Demol, Simon Le Borgne, Andrea Sarri, Giorgio Fourès et Nikolaus Tudorin. Mardi 5 février 2019. À voir jusqu’au 2 mars.
Patrick G
Bonjour,
Je suis surpris de votre critique ayant trouvé à l’inverse que GOECKE est la révélation de ce spectacle et qu’il confirme son originalité après le spectacle présenté au théâtre des Champs Elysées en janvier. LIDBERG par contre est décevant, rien de nouveau sous le soleil, pour moi un second couteau.
CHERKAOUI est bon, comme à son habitude
Cordialement