Johann Le Guillerm – L’art ineffable du Pas Grand Chose
Face au succès qui ne se dément pas et à la demande générale, Johann Le Guillerm est revenu à Paris au 104 avec Le Pas Grand Chose qu’il avait déjà présenté au Théâtre Montfort. Depuis 2017, il vagabonde en France, en Europe et au delà des Océans avec le dernier chapitre de son parcours solo entamé lorsque ce circassien de formation créa en 1994 son premier spectacle. Volontairement inclassable, ce Pas Grand Chose emprunte aussi bien au cirque, au théâtre qu’à l’art du one-man-show et nous emmène dans un voyage au sein de l’univers mental de Johann Le Guillerm et de son personnage. Un moment magique de loufoquerie absolue.
« Je cherche le chemin qui n’irait pas à Rome« , s’exclame Johann Le Guillerm dès son entrée en scène. Costume strict mais chaussures rock’n roll, look de conférencier déjanté, il pousse un chariot improbable, sorte d’établi surplombant des tiroirs de toutes tailles qui se révèlent être une malle aux trésors. Son objet d’étude ? Le point sous toutes ses formes, ce rien irréductible qui se compose pour faire un tout : des lettres, des chiffres, des ronds… Bref ! Toute une géométrie de l’absurde qu’il dessine devant nous en direct avec une caméra qui projette sa main se promenant à toute vitesse sur l’ardoise. On croit le suivre dans sa démonstration mais nous voilà très vite emportés à notre tour dans les méandres vertigineux de son cerveau. Les chiffres se dédoublent et en forment d’autres, basculent. Le 9 se contorsionne et devient poisson et le V prend ses aises pour faire un Z.
Johann Le Guillerm échappe à toute tentative de formatage. Certes, il est né à la scène par le cirque. Il a étrenné en 1989 la toute première promotion du CNAC de Châlons-en-Champagne et a traîné ses tresses dans ces grandes maisons circassiennes que sont le cirque Archaos ou les Arts Sauts. Mais il s’est affirmé comme un artiste à part, décalé et en recherche perpétuelle de son univers propre. Sommes nous au cirque ? Est-il un clown ? Un Prestidigitateur ? Un acrobate ? Tout cela et rien de cela. Johann Le Guillerm prend soin d’utiliser la technique qui lui semble la plus appropriée pour nous parler de ce Pas Grand Chose qui pourrait être l’infinie fragilité du point et de l’équilibre. Il peut tout aussi bien nous démontrer les talents cachés d’une banane, celles en tout cas qui savent se balancer aussi longtemps que possible avant de chuter ! Car les objets découvrent leurs vies cachées dans les mains de Johann Le Guillerm et même inanimés, ils se mettent à se mouvoir.
Cette « tentative pataphysique ludique » comme il la désigne est de bout en bout savoureuse. Johann Le Guillerm est un conteur fabuleux, virtuose du jeu de mots qu’il manie comme un billard à trois boules. Sans même nous en rendre compte, il nous fait voir les objets et le monde qui les entoure comme nous ne les avons jamais vus. Et quand il repart en équilibre instable sur sa drôle de carriole, il nous laisse riche de son regard sur les choses et le monde. Comment, dès lors, pourrions-nous désormais regarder un chiffre ou une banane de la même manière ?
Le Pas Grand Chose de et par Johann Le Guillerm au 104. Avec David Dubost (vidéo), Alexandre Piques (son), Anaîs Abel (costume) et Alexandre Boucan (décoration). Mardi 1er février 2019. À voir en tournée en France et au Québec.