Eins, Zwei, Drei – Comment Martin Zimmermann réinvente le clown
Martin Zimmerman explore la figure du clown dans sa dernière création Eins, Zwei, Drei. Un, deux, trois… mais en fait, ils sont quatre comme les trois Mousquetaires. Au côtés de Tarek Halaby, Dimitri Jourde et Romeu Runa se trouve Colin Vallon, créateur, interprète de la musique du spectacle et acteur à part entière de cette introspection délirante au sein d’un musée imaginaire où les cimaises se mettent à trembler et où les œuvres d’art adoptent des formes peu conventionnelles. Le metteur en scène zurichois invite à suivre les déambulations désopilantes et acrobatiques de ces trois personnages.
« I am the director of the museum » annonce Tarek Halaby en costume blanc. Mais très vite tout déraille ! Il se met à parler dans toutes les langues, les mots se bousculent, la voix s’envole dans les aigus. Rien ne semble déjà se passer comme prévu. Et pour signifier l’entrée dans l’univers du clown, il se grime… en blanc. Le clown, figure incontournable du cirque et pourtant quasiment absent dans la création circassienne contemporaine. Martin Zimmermann va donc les venger avec bienveillance dans ce spectacle où ils sont trois comme de juste à endosser ce costume-là.
Dimitri Jourde est le deuxième à entrer en scène. Manteau noir très long pour ce qui le concerne, et bonnet de fourrure, il incarne la figure de l’auguste, celui pour qui le monde est une succession d’objets retors qui lui échappent quoi qu’il fasse. Romeu Runa est le dernier à littéralement surgir dans le rôle indispensable du contre pitre. Mais dans cette incarnation du clown gaffeur, il développe une virtuosité impeccable : le danseur portugais qui a longtemps collaboré avec Alain Platel au Ballets C. de la B peut tout à la fois exécuter une superbe arabesque et se transformer subitement en magnifique contorsionniste quand ses deux compères le plient de force pour le faire pénétrer dans une boîte transparente.
Ce musée de pacotille ne cesse de bouger et de se transformer pour devenir à l’occasion une salle des ventes, allant jusqu’à se faire envahir par des objets qui l’encombrent. De l’espace net et clair du début ne reste au bout du compte qu’un étalage improbable et sulfureux. Et ces trois clowns, artistes de haut vol, se déchainent, se disputent et s’affrontent pour s’imposer. Il y a parfois un basculement bienvenu et parfaitement maitrisé dans une esthétique grand guignolesque et décadente. Et l’on est perpétuellement saisi par la précision du travail de Martin Zimmermann. Ce qui semble à première vue foutraque est en réalité chorégraphié avec une précision extrême et un ressort comique qui ne faiblit pas.
Nos trois clowns – faut-il le redire ! – sont portés du début à la fin par la musique de Colin Vallon, tout à tour pianiste et batteur qui a inventé pour l’occasion une partition qui scande superbement toutes les séquences de Eins, Zwei, Drei. Avec ce spectacle, Martin Zimmermann continue à creuser son sillon en conjuguant avec brio danse, cirque, musique où l’art visuel est constamment au premier plan. Un bonheur de spectateur !
Eins, Zwei, Drei de Martin Zimmermann au 104. Avec Tarek Halaby, Dimitri Jourde, Romeu Runa et Colin Vallon (création musicale et interprétation). Dimanche 24 février 2019. À voir en tournée en France jusqu’au 7 juin.