Peer Gynt de Johan Inger – Ballett Theater Basel
À l’heure où les compagnies françaises ne jurent que par Crystal Pite et les chorégraphes made in NDT se pose la question : pourquoi Johan Inger en est donc absent ? Mis à part le Ballet de l’Opéra de Lyon pour de courtes pièces abstraites, les troupes hexagonales ne pensent pas l’inviter, alors qu’il fait lui aussi partie de cette galaxie des incontournables d’Europe du Nord. D’autant plus dommage que Johan Inger a un talent fantastique pour la narration et créer de nouveaux ballets à la trame forte. Merci ainsi à la Maison de la Danse de Lyon d’inviter des troupes européennes avec ce répertoire. Il y a deux ans, sa Carmen par la Compañía Nacional de Danza avait été un choc. Cette saison, place à sa dernière création, une oeuvre étonnante et tout aussi marquante sur Peer Gynt, par le Ballett Theater Basel (Ballet de Bâle). Johan Inger propose une relecture de cette fable nordique où sa vie propre vie se mêle à celle du héros, dans un monde mi-d’hier, mi-d’aujourd’hui. Une oeuvre expressive, magistralement interprétée par la troupe suisse, qui bluffe par son sens de la narration et son inventivité. Et en bonus : Mats Ek en Roi Troll.
Créé au XIXe siècle, Peer Gynt est une pièce de théâtre de l’auteur norvégien Henrik Ibsen, sur la célèbre musique de Grieg (mais si, on vous assure que vous connaissez). Farce douce-amère, elle raconte les aventures, les ratés et les amours de Peer Gynt, anti-héros parcourant le vaste monde truffé de références au folklore nordique et fantastique (trolls et gnomes sont de la partie). Johan Inger, suédois, a dû baigner dedans depuis son enfance (quand ce conte est plus inconnu de par chez nous). Et il s’en empare d’une façon étonnante, à l’occasion d’une création pour le Ballett Theater Basel, excellente troupe suisse qui met tout son talent théâtral au service du ballet.
Aventures, amours qui tournent mal, découvertes de contrées lointaines, bourdes et maladresses… Il y a tout dans Peer Gynt pour l’histoire initiatique. Johan Inger prend à la fois le conte au pied de la lettre et le transforme en y rajoutant… sa propre histoire. Se voit-il comme le Peer Gynt d’aujourd’hui ? Pas vraiment sûr. Mais l’idée lui permet de créer un monde étrange, mélangeant les références d’hier et d’aujourd’hui tout en travaillant sur le style de sa danse. Tout démarre ainsi avec un pur divertissement classique, où le héros, même s’il connaît las technique, semble un peu gauche dans son collant. Sa découverte du monde l’amène à tester différentes façons de danser, plus contemporaines et qui lui conviennent mieux. Jusqu’à la rencontre du roi Troll, le père de l’une de ses conquêtes, qui prend les traits de… Mats Ek, le maître de Johan Inger. Le tout entouré de ses personnages emblématiques, notamment sa Giselle. Au deuxième acte, qui propose une vision de Peer Gynt 20 ans plus tard, le chorégraphe se projette lors de sa création Carmen, une puissante relecture montée en 2015 pour la Compañía Nacional de Danza et qui lui a valu un Benois de la Danse. Le chemin de Peer Gynt apparaît ainsi comme le parcours artistique de Johan Inger, naviguant entre différentes écoles avant de trouver sa maturité pour proposer la sienne.
Le choix artistique permet aussi de créer un monde très étrange en scène, truffé de références au folklore comme à celui du XXIe siècle et quelques notes pop. Allures théâtrales des interprètes, costumes et décors, il est impossible de planter cette version dans une époque. L’effet fantastique, élément propre au conte original, est ainsi renforcé, avec tout un univers unique, étonnant et étrange. Ainsi au début, danseurs et danseuses sont en tenue traditionnelle, mais Peer Gynt s’envoie en l’air avec une jeune mariée dans une cabine de bain dès 60′. Puis il construit une maison en kit aux couleurs d’une chaîne de déco suédoise bien connue pour abriter sa bien-aimée, tout en allant fricoter avec une troll répondant à l’image traditionnel de ce personnage imaginaire. Quant à la mise en scène, elle propose parfois une mise en abyme avec un public regardant la salle et des décors mouvants qui construisent l’espace. Johan Inger devient-il le propre spectateur de sa vie artistique ?
Il est en fait difficile de décrypter toutes les clés de ce ballet aux multiples ressorts, d’autant plus pour quelqu’un ne maîtrisant pas toutes les références des pays nordiques. « Je n’ai pas tout compris mais je n’ai pas vu le temps passer« , lâche ainsi ma voisine. Réflexion on ne peut plus juste car, même si des choses nous échappent, l’originalité et la maîtrise de la narration sont bluffantes. Nous sommes face à un ovni, un spectacle unique en son genre mais indéniablement fort, avec une démarche artistique assumée qui fait du bien quand tellement de créations néo-classiques se ressemblent. Le tout est porté magistralement par le Ballett Theater Basel, dont les artistes proposent une qualité théâtrale et une aisance pour jouer avec le second degré idéales pour ce spectacle. Il faut espérer que la troupe suisse recommence à tournée en France. En attendant, le public parisien pourra découvrir un peu mieux le talent unique de Johan Inger avec sa Carmen par la Compañía Nacional de Danza, invitée des Étés de la Danse du 8 au 17 juillet. À ne pas manquer, vraiment.
Peer Gynt de Johan Inger par le Ballett Theater Basel à la Maison de la Danse de Lyon. Avec Frank Fannar Pedersen (Peer Gynt), Sergio Bustinduy (Aase), Tana Rosás Suñé (Ingrid), Florent Mollet (Le marié), Ayako Nakano ((la mère de la mariée), Piran Scott (le père de l’époux), Max Zachrisson (le Roi Troll, Mats Ek) et Andrea Tortosa Vidal (La dame verte). Mercredi 13 mars 2019.