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Programme León & Lightfoot/VanManen – Ballet de l’Opéra de Paris

Le Ballet de l’Opéra de Paris s’est mis à l’heure des Pays-Bas avec l’entrée au répertoire de deux pièces signées Sol León et Paul Lightfoot, actuels directeurs artistiques du Nederlands Dans Theater (Sleight of Hand et Speak for yourself), et la reprise des Trois Gnossiennes de Hans Van Manen, qui fut de 1960 à 1971 danseur, chorégraphe et directeur du NDT. Une soirée contemporaine qui ne manque pas d’intérêt  mais peine à susciter l’enthousiasme tant le programme – 55 minutes de danse en tout, de la musique essentiellement enregistrée et seulement 15 interprètes sur scène ! – paraît bien chiche et incomplet.

Speak for yourself de Sol León et Paul Lightfoot

La question est récurrente : comment doivent s’opérer les invitations de chorégraphes contemporains au Ballet de l’Opéra de Paris ? Sol León et Paul Lightfoot sont sans conteste parmi les créateur.rice.s les plus importants de ces dix dernières années, à la tête de l’une des meilleures compagnies de danse contemporaine en Europe. Leur répertoire, déjà substantiel, est superbement interprété par le NDT et le NDT2 (leur Junior ballet). Est-il vraiment nécessaire que la compagnie parisienne s’empare de ces pièces ? Peut-elle y apporter une interprétation qui enrichirait l’œuvre initiale ? Et pourquoi ne pas solliciter ces chorégraphes pour créer avec la troupe au lieu de recycler leur répertoire ?  Les débuts de réponse ne sont pas tout à fait satisfaisants.

Sleight of Hand (2007), pièce pour cinq danseurs et deux danseuses, marque une inflexion dans le travail du couple León/Lightfoot. Elle propose en effet une incursion du côté de la danse-théâtre où, sans se lier à une trame narrative, les deux chorégraphes installent un univers dramatique avec une scénographie imposante, dont le point d’ancrage sont les deux géants de part et d’autre du plateau. Dans ces rôles, Hannah O’Neill et Stéphane Bullion sont juchés à plus de cinq mètres de hauteur, harnachés dans des colonnes recouvertes de tissu et dont n’émerge que le haut du corps. À l’avant-scène, un escalier descend dans la fosse. Ces décalages et ces perspectives, le noir omniprésent, définissent une atmosphère d’étrangeté et d’ailleurs, celle d’un monde irréel.

La danse y est moins surprenante. On y retrouve l’univers León/Lightfoot, héritiers de Jiří Kylián, avec la pureté des lignes et la superbe simplicité classique du vocabulaire. Chun Wing Lam, Pablo Legasa et Adrien Couvez sont les hommes en noir semblant venus de l’enfer. Germain Louvet et Léonore Baulac incarnent le couple central perdu dans ce monde des ténèbres. Mais c’est Mickaël Lafon qui  crève la scène : en collant, torse nu, affichant un large tatouage au flanc droit, il dégage un érotisme torride et inquiétant. Il est surtout totalement à l’aise dans cette écriture chorégraphique et ce style. C’est un peu moins vrai pour le reste de la distribution. Et on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le choix d’Hannah O’Neill et Stéphane Bullion, merveilleux danseurs, cantonnés à agiter les bras du haut de leur trépied géant ! Pour la partition musicale, on écoute sans déplaisir le deuxième mouvement de la deuxième Symphonie de Philip Glass ( il faudrait tout de même que l’Opéra de Paris pense à créditer la musique enregistrée…), compositeur surexploité par les chorégraphes du monde entier.

Après un trop long précipité, cette première partie s’achève avec la reprise des Trois Gnossiennes d’Erik Satie chorégraphiées par Hans Van Manen. Il est fort bien d’avoir enfin mis au répertoire ce chorégraphe essentiel, créateur d’un univers néo-classique singulier au répertoire vaste et hélas inconnu en France. Le Ballet de l’Opéra de Paris et Hans Van Manen, c’est la trop longue histoire d’un rendez-vous manqué. Sa Grande Fugue avait été dansée en 1986 à la Salle Favart par la compagnie mais elle ne fut jamais reprise. Et pour beaucoup, ces Trois Gnossiennes sont une découverte car cette courte pièce ne fut donnée que lors du gala d’ouverture de la saison dernière. Si on se réjouit, on reste tout de même sur sa faim : Trois Gnossiennes est un pas de deux de 8 minutes au classicisme exemplaire sur une partition que tout le monde connaît, d’un expressionnisme débridé où tout se joue dans les nuances de l’interprétation d’un thème répété plusieurs fois. Ludmila Pagliero et Hugo Marchand sont irréprochables et dégagent une sensualité délicate appuyée par une technique sans faille. Ils sont merveilleusement accompagnés au piano par Elena Bonnay – seul moment bienvenu de musique live ! –  au piano sur scène, guettant chacun de leurs pas dans un belle osmose. Un court moment suspendu.

Trois Gnossiennes de Hans Van Manen – Hugo Marchand et Ludmila Pagliero

Speak for Yourself, pièce de 25 minutes créée en 1999 par le couple León/Lightfoot, constitue la seconde partie de la soirée. En 20 ans, l’oeuvre est devenue un classique du répertoire du NDT, mais elle est aussi dansée par d’autres compagnies. Le Ballet de Zurich en donna ainsi une version la saison passée. C’est au tour du Ballet de l’Opéra de Paris de s’en emparer, autour de trois danseuses et six danseurs en tenue unisexe, body court gris brillant. Speak For Yourself penche du côté de l’esthétisme pur et allie L’Art de la fugue de Jean-Sébastien Bach et Come out de Steve Reich. Sur cet attelage musical défilent une série de solos, de duos et d’ensembles dans le plus pur style León/Lightfoot, habile réinterprétation de la grammaire classique au profit d’une danse fluide et élégante, mais parfois sans relief. François Alu ouvre la bal, transformé en encensoir, fumant de toute part, un dispositif qui lui permet de faire très bien son show et de sortir du lot dans une distribution de haute tenue, d’où l’on remarque l’aisance de Simon Le Borgne et Pablo Legasa, qui semblent prendre beaucoup de plaisir scène. La pluie est aussi de la partie tombant en gouttelettes du haut des cintres et rendant le plateau glissant.

Speak for Yourself est une pièce plaisante, agréable à regarder mais insuffisante pour conclure une soirée qui laisse un goût de trop peu. Faute d’une pièce supplémentaire (il eut été opportun de faire appel à Jiří Kylián, le maitre du NDT), le programme est bancal. Au delà du minutage, la soirée semble en équilibre instable. À plus de 110€ pour les places de parterre, le public attend autre chose, plus en phase avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Car ce programme, pour attrayant qu’il soit, ne fera pas date pour la compagnie. C’est une soirée exclusivement pour solistes, sans corps de ballet qui reste quoi qu’on en dise la raison d’être d’une grande troupe classique et qui se trouve en chômage technique pour encore de longues semaines. Certes, les danseuses et les danseurs de l’Opéra de Paris ne déméritent pas dans ce répertoire, mais ils ne lui apportent rien de nouveau. Dommage !

Speak for yourself de Sol León et Paul Lightfoot – François Alu

 

Programme León & Lightfoot/VanManen par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Sleight of Hand  de Sol León et Paul Lightfoot, avec Hannah O’Neill, Stéphane Bullion, Léonore Baulac, Germain Louvet, Mickaël Lafon, Chun Wing Lam, Pablo Legasa et Adrien Couvez ; Trois Gnossiennes de Hans Van Manen, avec Ludmila Pagliero et Hugo Marchand ; Speak for yourself de Sol León et Paul Lightfoot, avec François Alu, Ludmila Pagliero, Hugo Marchand, Valentine Colasante, Daniel Stokes, Sylvia Saint-Martin, Simon Le Borgne, Pablo Legasa et Andrea Sarri. Vendredi 19 avril 2019. À voir jusqu’au 23 mai.

 

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