Nederlands Dans Theater 2 – Ekman / Goecke / León&Lightoot
Le Nederlands Dans Theater 2, la troupe de jeunes artistes du NDT, est repassé en France pour notamment un programme parisien en trois temps. La soirée était signée des chorégraphes Sol León et Paul Lightfoot, le duo qui dirige la compagnie, et deux de leurs compagnons de route, Alexander Ekman et Marco Goecke. Trois esthétiques différentes mais qui se rejoignent dans le souci d’offrir à cette jeune troupe d’exception un matériau chorégraphique sophistiqué.
Cette soirée au Théâtre de Chaillot fait nécessairement écho à celle du Ballet de l’Opéra de Paris qui vient de mettre à son répertoire deux pièces de Sol León et Paul Lightfoot et une reprise de Hans Van Manen, trois personnalités essentielles dans l’histoire du NDT qui l’ont successivement dirigé. Il faut bien sûr y ajouter Jiří Kylián, directeur de 1978 à 2004 qui a façonné cette compagnie et l’a menée sur des sommets artistiques qu’elle n’a jamais quittés. Jiří Kylián est à l’origine de la création du NDT 2, cette troupe de jeunes danseuses et danseurs, recrutés pour trois ans qui se confrontent à l’excellence du répertoire de la compagnie et travaillent avec les chorégraphes d’aujourd’hui. Ce qu’ils montrent sur scène est fabuleux : technique impeccable, énergie explosive et engagement artistique maximum.
Alexander Ekman ouvre la soirée avec FIT, une pièce créée pour le NDT 2 dont la première eut lieu à La Haye le 15 novembre 2018. Le chorégraphe suédois, qui entretient une relation privilégiée avec le NDT2, est là à son meilleur. On retrouve son univers loufoque et décalé, comme ces longues jupes de tulle qui habillent les 18 danseurs et danseuses sans distinction de sexe. Ou cette longue, très longue perche au bout de laquelle est suspendue une ampoule qui n’éclaire pas grand-chose, une lourde pierre à l’avant-scène côté cour et cette malle qui monte inéluctablement vers les cintres diffusant des nuages de poussière. Allez comprendre ? Ou plutôt non : glissez-vous pour 30 minutes dans le monde onirique d’Alexander Ekman et laissez vous conduire. Son art de la topographie de la scène et son talent pour composer des ensembles au cordeau feront le reste.
Sur le standard musical archiconnu Take Five par le The Dave Brucket Quartet, Alexander Ekman construit une chorégraphie qui privilégie le groupe surfant sur la répétition ad libitum de la rythmique de la partition : au sol, à genoux, à terre, debout mais aussi explorant continuellement des positions originales avec comme des arrêts sur images. Il y a aussi ce trublion en simple jupe de tulle et loup noir sur les yeux. Ce choix d’une musique que tout le monde a dans l’oreille, qui est rembobinée pour une version au ralenti dans la deuxième partie, fonde une forme de familiarité qui nous aide à appréhender le monde d’Alexander Ekman, artiste et showman doté d’une grande musicalité. Ce n’est pas la pièce la plus technique de la soirée, bien qu’elle exige de la troupe un sens du timing parfait. C’est surtout extrêmement joyeux, porté par l’élégance d’Alexander Ekman et ses images ludiques.
Changement de climat avec Wir Sagens Uns Dunkles de Marco Goecke. D’une gaieté débordante, on passe dans un monde plus obscur tel que sait les dessiner le chorégraphe allemand. Sur un patchwork musical qui allie Schubert, Schnittke et Placebo, Marco Goecke reste fidèle dans cette pièce créée pour le NDT 2 en novembre 2017 à son style et ses gimmicks, comme les saccades incessantes du corps, les bras perpétuellement agités, les gestes sans cesse répétés. Ce style avait paru bien fade dans la pièce que le chorégraphe avait créée cet hiver pour le Ballet de l’Opéra de Paris. Il retrouve là tout sons sens. Le solo inaugural interprété par Surimu Fukushi est un spectacle en soi. Le danseur a fait totalement sienne la gestuelle de Marco Goecke avec un naturel qui en chasse ce qui ailleurs pourrait sembler un tic. Il s’approprie superbement la phrase chorégraphique que lui propose le chorégraphe allemand avec ce haut du corps perpétuellement énervé. L’atmosphère de Wir Sagens Uns Dunkles y est sombre, parfois anxiogène mais constamment transcendée par la danse et l’interprétation des onze artistes sur scène.
Signing Off du couple Sol León/Paul Lightfoot pour six danseurs et danseuses est davantage un pièce de solistes. C’est aussi la plus courte de la soirée – 18 minutes – et celle qui propose la scénographie la plus sophistiquée, composée de larges panneaux de soie noires imaginés par les deux chorégraphes et qui se déplacent, enveloppent parfois les danseurs et les danseuses au point de faire partie intégrante de la chorégraphie. Signing Off a été créé pour le NDT en juin 2003 et on y sent l’influence du maître Jiří Kylián avec cette utilisation subtile de la grammaire académique. C’est la pièce la plus technique de la soirée, mais les quatre danseurs et les deux danseuses du NDT 2 y sont parfaitement à l’aise. Arabesques, portés acrobatiques, pas de deux délicats : nous sommes là en terrain connu que l’on a toujours grand plaisir à revisiter. La pièce s’achève sur une image forte quand deux danseurs disparaissent dans les replis des drapés de soie pour ne devenir qu’une ombre. Les lumières se rallument, nous forçant à quitter les rives enchanteresses d’une compagnie jeune mais majuscule.
Le Nederlands Dans Theater 2 au Théâtre de Chaillot. FIT d’Alexander Ekman avec Fay van Baar, Amanda Mortimore,Thalia Crymble, Eve-Marie Dalcourt, Tess Voelker, Nicole Ishimaru, Mikaela Kelly, Jordan Pelliteri, Sara de Greef, Surimu Kukushi, Boston Gallacher, Toon Lobach, Adam Russel-Jones, Donnie Duncan Jr, Kyle Clarke, Jesse Callaert, Charlie Skuy et Stef Leeenen ; Wir Sagen Uns Dunkles de Marco Goecke avec Fay van Baar, Nicole Ishimaru, Tess Voelker, Thalia Crymble, Surimu Fukushi, Boston Gallacher, Adam Russel-Jones, Toon Lobach, Kyle Clarke, Donnie DuncanJr et Jesse Callaert ; Signing Off de Sol León et Paul Lightfoot avec Amanda Mortimore, Fay van Baar,Toon Lobach, Adam Russel-Jones, Surimu Fukushi et Donnie Duncan Jr. Mercredi 15 mai 2019.