Tatiana Julien – Soulèvement, un solo comme une révolte
Tatiana Julien est sur les routes pour son solo Soulèvement qu’elle a chorégraphié pour elle-même avec le support de sa compagnie C’Interscribo. Pièce dont l’intention est contenue toute entière dans le titre : une déflagration physique paradoxale où la danseuse seule sur scène durant 60 minutes invoque la recherche du collectif et caresse l’espoir d’un geste communautaire révolutionnaire. La chorégraphe livre une danse survoltée qui la met hors d’haleine, subjugue mais laisse comme un goût de trop peu.
La danse peut-elle être politique? Doit-elle délivrer un message ? Comment les chorégraphes peuvent avoir prise sur le monde qui les environne et que peuvent-ils en dire ? Ces questions animent nécessairement les créateurs et créatrices qui redoutent de se perdre dans un abîme de futilité. Tatiana Julien n’est pas la première à se poser ses questions légitimes et à vouloir ancrer sa danse dans le réel. Mais sa proposition est singulière et paradoxale. Si Soulèvement veut mettre en cause l’individualisme forcené de notre époque, c’est seule sur scène qu’elle se présente à nous dans un dispositif scénique bi-frontal et une scénographie minimale constituée d’un gros cube au bout du plateau.
Tatiana Julien est déjà là lorsque le public entre, allongée sur le dos, casque sur les oreilles, sourde à la rumeur des spectateurs et spectatrices qui s’installent, en état de concentration absolue. Puis elle s’échauffe, s’étire, quand démarre un déferlement stroboscopique. Suit une scène de playback, Tatiana Julien mimant la chanteuse Mylène Farmer et son tube Désenchantée, hymne désabusé d’une génération flouée des années 1990. Il y a là beaucoup de drôlerie et une manière de ne pas se prendre au sérieux qui suscite immédiatement l’adhésion.
La suite montre que l’essai n’est pas transformé. Tatiana Julien est une danseuse exceptionnelle. On l’a vue récemment aux côtés de Boris Charmatz dans Infini. Elle sait à peu près tout faire : un corps taillé pour la danse dont les lignes sont soulignées et mises en valeur par son justaucorps argenté, une virtuosité virevoltante qui s’impose sur scène, un charisme débridé fait d’une mélange d’androgynie et d’infinie féminité. Mais de ses atouts, Tatiana Julien ne parvient guère à jouer avec suffisamment de poids. La première partie du spectacle offre le plus beau moment de danse dans un va-et-vient survitaminé durant lequel la danseuse crie sa rage dans un mouvement souvent anarchique, qui tangue du côté du clubbing. Une longue pause suit cette séquence, le temps de reprendre son souffle pour le second set qui s’étiole dans un propos lénifiant, en dépit de l’énergie de la danseuse. Faire résonner en bande-son off des extraits de réflexions philosophiques sur le geste révolutionnaire ou des bruits d’ambiance de Mai 68 ne suffit pas à faire de Soulèvement une pièce qui nous permettrait d’interroger le monde. On reste frustré d’autant que Tatiana Julien semble avoir à ce moment là abdiqué toute volonté chorégraphique.
L’inspiration revient enfin dans l’ultime séquence lorsque l’artiste nue s’asperge d’eau avant d’entamer une série de glissades à toute allure sur le ventre ou traversant la scène en grand écart. Le geste est à nouveau plein, intense, virtuose. À ce moment précis, elle semble atteindre enfin son but d’une danse qui incarnerait révolte et résistance.
Soulèvement de et avec Tatiana Julien au Théâtre de Chaillot. Vendredi 22 novembre 2019. À voir les 4 et 5 décembre à la Maison de la Culture d’Amiens, en tournée en France jusqu’en mars 2020.