Suresnes Cités Danse – Bouziane Bouteldja et Salim Mzé Hamadi Moissi
La 28e édition deSuresnes Cités Danse a débuté hors-les murs dans le théâtre André Malraux de Rueil-Malmaison avec deux créations. D’abord Tel Quelles/TelsQuels de Bouziane Bouteldja, qui est allé chercher ses trois danseurs et ses quatre danseurs en France et du côté du Maroc. Puis le comorien Salim Mzé Hamadi Moissi qui a répondu à la commande du festival avec Massiwa, une pièce pour sept danseurs. Pas de désir d’exotisme en soi dans ce premier programme mais une plongée dans deux univers très divers du continent africain avec d’évidentes connotations politiques liées à des pays où la danse n’a rien d’une évidence. Deux spectacles sensibles et virtuoses, pleinement généreux.
Il faut saluer en prélude le travail fantastique mené par Oliver Meyer : sans lui, la danse de cités n’aurait pas aujourd’hui la même aura. Son audace avec Suresnes cités danse a permis de confronter l’univers de la danse hip-hop à celui des chorégraphes contemporains, créant de nouvelles esthétiques. Dans ce parcours qui dure depuis presque 30 ans, il faut aussi rendre hommage au maire de Suresnes Christian Dupuy, qui a pris un risque en imposant ce festival dans cette ville de l’ouest parisien, où les danses urbaines n’allaient pas de soi comme il l’a rappelé avec humour avant le lever de rideau. Après 37 ans à la tête de la municipalité, il rendra son écharpe au printemps prochain avec un bilan pour la culture à faire pâlir de nombreuses villes de banlieue.
Bouziane Bouteldja revient cette année à Suresnes cités danse avec une création ambitieuse. La pièce veut interroger le destin singulier des trois danseuses et quatre danseurs, français et marocains, et leur rapport à la danse dans un contexte où tout se mondialise, et où l’on pourrait croire que les spécificités s’amenuiseraient au profit d’un culture globale. C’est plus compliqué, nous dit en substance le chorégraphe qui a imaginé une scénographie ouverte et sobre : des carrés de lattes de bois qui délimitent une aire de jeu, un point de rencontre pour cette troupe mixte. Cela ne va jamais de soi dans les danses urbaines qui se sont imposées dans un format très masculin. Et trois danseuses et quatre danseurs, cela donne des combinaisons multiples. Bouziane Bouteldja a ainsi imaginé TellesQuelles/TelsQuels comme une succession de séquences qui chacune raconte une histoire. Tout n’y est pas forcément limpide mais le chorégraphe parvient souvent à faire mouche. Les ensembles sont parfaitement structurés, mais ce sont les solos, les individus, qui touchent davantage.
Et tout d’abord Zineb Boujema. L’actrice et danseuse marocaine, qui est le visage cette année de l’affiche du festival, est dotée d’une charisme naturel et impose une danse explosive, osant une certaine brutalité dans le geste tout en conservant l’élégance. On ressent le combat qui l’anime, cette volonté farouche de danser quoi qu’il en soit. Le danseur marocain Redouane Nasry offre un autre moment suspendu. En observant sa technique superlative, sa musicalité, son sens inné de la scène, on peine à croire que c’est la première fois qu’il se produit sur un plateau. Sa danse est proprement hypnotique. Là aussi, on discerne ce besoin viscéral de danser envers et contre tout. Bouziane Bouteldja le montre très habilement sur la scène lorsque le danseur est confronté à ceux qui voudraient l’empêcher de bouger et de s’exprimer, référence à l’histoire vécue de Redouane Nasry. Ces histoires – l’histoire de la vie de ces danseuses et danseurs marocains – fera l’objet d’un documentaire commandé par Dans6T, la compagnie de Bouziane Bouteldja, réalisé par Othmane Saadouni qui sortira en avril 2020 et qui évoquera cette interdépendance entre la danse, la vie, la famille ou la religion. TellesQuelles/Tels Quels est un spectacle encore frais qui a besoin de se peaufiner mais qui délivre déjà de belles émotions.
C’est un univers bien différent que celui de Salim Mzé Hamadi Moissi. Le chorégraphe et danseur comorien avait séduit les festivaliers lors de l’édition 2019 avec Soyons Fous. Olivier Meyer lui confie cette année une création pour sept danseurs, Massiwa, qui signifie les îles. Ce quatrième spectacle est parfaitement abouti. Divisé en quatre scènes, il raconte la vie des comoriens, celle en tout cas de ces jeunes danseurs. Le premier tableau met aux prises un soliste entouré de six danseurs armés d’une lance de bois, qui tour à tour emprisonne, freine, mais peut aussi se transformer en pont pour faciliter le passage. Il y a dans cette première partie une parabole de l’empêchement et du dépassement de soi. La danse est parfois tribale, délicate et toujours virtuose.
Une autre scène lorgne vers une veine plus comique avec un sac de chaussures de tous les styles que chacun s’arrache et essaye. Le final avec un ensemble des sept danseurs montre comme une réconciliation et une fraternité sur un style qui allie technique hip hop et danses traditionnelles. Salim Mzé Hamadi Moissi signe une pièce très aboutie sur une très jolie playlist .Voilà un diptyque plus que séduisant pour ouvrir cette 28e édition de Suresnes cités danse.
Telles Quelles/Tels Quels de Bouziane Bouteldja avec Mouad Aissi, Allison Benezech, Zineb Boujema, Soufiane Faouzi Mrani, Naïs Haïdar, Fatima Zohra El Moumni et Redouane Nasry ; Massiwa de Salim Mzé Hamadi Moissi avec Ahmed Abel-Kassim, Fakri Fahardine, Toaha Hadji Soilihy, Mzembaba Kamal, Abdou Mohamed, Ben Ahamada Mohamed, Mohamed Oirdine – Samedi 11 janvier 2010, Théâtre André Malraux , Rueil-Malmaison, dans le cadre de Suresnes Cités danse.
Suresnes cités danse continue jusqu’au 2 février.