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30e Festival de Flamenco de Nîmes – Rocío Molina et Israel Galván en apothéose

Le 30e Festival de Flamenco de Nîmes s’est achevée dimanche 19 janvier. Et pour cette édition anniversaire, le directeur artistique François Noël avait composé une affiche luxueuse, croisant les grands noms de l’art flamenco et les découvertes. Fidèle à son histoire et sa réputation, le festival de Nîmes propose un mélange savant entre toutes les formes du flamenco qui, en 30 ans, n’a cessé de se réinventer, créant de nouvelles formes esthétiques tout en respectant ses origines. Et cette édition s’est conclu comme un feu d’artifices avec deux monstres sacrés d’aujourd’hui, Rocío Molina et Israel Galván. La première avec un de ses fameux Impulso et le second en s’attaquant avec courage au ballet de Manuel de Falla, L’amour Sorcier.

Rocío Molina et Rafael Riqueni – Impulsio

Que ce soit pour ses aficionados qui courent de spectacle en spectacle ou pour les nouveaux publics, le flamenco demeure toujours un mystère. Pour peu qu’on accepte de larguer les amarres, il nous emmène vers des territoires émotionnels inexplorés. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que cet art pauvre et brut venu du peuple puisse nous plonger dans un univers métaphysique, quelque chose qui s’approche du « duende » que l’on ne saurait traduire en français. Il n’y a jamais de perfection dans le flamenco. Jamais on ne verra deux représentations identiques. C’est un art de l’instant, celui qu’il faut saisir ici et maintenant. Rocío Molina et Israel Galván sont l’une et l’autre les incarnations contemporaines de cette danse flamenca qui sans cesse s’interroge elle-même. Ces deux artistes iconiques ont des propositions artistiques bien différentes, mais ils ont en commun ce souci constant d’explorer de nouveaux territoires, de repousser les limites de l’art flamenco et d’emmener le public là où on ne les attend pas et là où on ne s’attend pas.

Rocío Molina est fidèle à un forme qui lui est chère : l’Impulso. Ces représentations publiques ne sont pas des spectacles aboutis, léchés et formatés, mais un laboratoire d’idées où nous sommes témoins de son processus créatif en mouvement, de ses idées qui fusent, de ses tentatives qui verront un aboutissement ou qui seront abandonnées en cours de route. Pour cette 30e édition du Festival de Nîmes, la danseuse avait convié sur scène l’immense guitariste Rafael Riqueni, virtuose absolu dont les doigts glissant sur les cordes nous plongent immédiatement dans le tréfonds de nos âmes.

Rocío Molina entre en scène, jupe longue ouverte dans le silence, imposant la lenteur au mouvement qui vient du haut du corps et avant tout des bras, lignes de forces de cet Impulso. La fluidité de ses bras jusqu’au bout des doigts semble infinie, à faire pâlir une ballerine classique. Les torsions du haut du corps sont phénoménales, toujours à la recherche d’un point d’équilibre idéal et d’une pose suspendue. Tout n’est pas improvisé évidemment durant ces 60 minutes. Rocío Molina connait la musique par cœur, elle en maîtrise tous les instants, les changements de tempos et de rythme. Elle entre en scène avec un canevas mais c’est sur scène que cet Impulso prend corps, dans ce dialogue intime entre la danseuse et le guitariste. Cette intense complicité entre les deux artistes suscite une émotion de tous les instants, faite de gestes simples, lorsque Rocío Molina vient par exemple opérer elle-même le changement de guitare avec de part de d’autre beaucoup de grandeur et d’humilité. Cet Impulso un peu particulier et conçu spécialement pour Nîmes est un sommet de l’art flamenco et y assister était un privilège rare.

Impulso – Rocío Molina

On serait reparti ravi et heureux de ce moment de grâce mais dans cette journée majuscule, Israel Galván, tout juste arrivé de Paris après Le Sacre du Printemps, clôturait le 30e festival de Nîmes avec un autre solo et un nouveau défi. Après avoir longtemps résisté, le danseur et chorégraphe s’est attaqué à un autre monument du répertoire, L’Amour Sorcier de Manuel de Falla. Ballet mythique composé en 1916 et présenté à l’époque comme une « gitanerie » musicale alternant danse et pantomime. Israel Galván l’a désencombrée de tout fatras folklorique pour conserver l’essentiel : l’histoire de Candela, cette femme qui doit se débarrasser du maléfice que fait peser sur elle son ancien amant pour aimer Carmelo. Comme pour Le Sacre du Printemps, le chorégraphe préfère la version pour piano interprétée par Alejandro Rojas-Marcos avec au chant David Lagos. Et c’est Israel Galván qui apparaît, stupéfiant dans le rôle de la gitane, méconnaissable avec une perruque blonde, lunettes de soleil et ganté de rouge.

El Amor Brujo – Alejandro Rojas Marcos, David Lagos et Israel Galván

Solidement arrimé à une chaise au centre de la scène, on le découvre comme on ne l’a jamais vu. Cette contrainte de l’espace réduit – celui de la chaise – qu’il s’impose donne naissance à un nouveau geste. Les bras prennent évidemment le dessus dans l’expression, mais le corps aussi se vrille, se tend dans des poses lascives, chute parfois. La danse est faite de soubresauts, de tremblements comme un exorcisme pour écarter le mauvais sort. Sa capacité à occuper pleinement l’espace et à  réinventer son flamenco dans un volume minuscule ouvrent vers d’autres horizons chorégraphiques. Israel Galván n’est jamais en paix, toujours en quête du nouveau. Dans sa première version d’El Amor Brujo, il ne quittait jamais ses habits de femme. Et puis, quelques heures avant de montrer le spectacle à Nîmes, Israel Galvan a tout changé. Il lui a semblé nécessaire de retrouver ses atours habituels avant la fin du spectacle. On retrouve alors le danseur virtuose que l’on connait, l’aigle du flamenco, affuté, le geste toujours juste. Il n’est pas certain que ce final soit vraiment nécessaire. Il n’est pas sur non plus qu’Israel Galván le conserve. Qu’importe ! Rien n’est jamais prévisible dans le flamenco. C’est l’un de ses secrets.

El Amor Brujo – Israel Galván

 

Soirée de clôture du 30e Festival de Flamenco de Nîmes.

Impulso de et avec Rocío Molina (danse) et Rafael Riquini (guitare à la  Salle de l’Odéon Nîmes. Samedi 18 janvier 2020.

El Amor Brujo de et avec Israel Galván (chorégraphie et danse), Alejandro Rojas-Marcos (piano) et David Lagos (chant) au Théâtre Bernadette Lafont de Nîmes. Samedi 18 Janvier 2020. À voir à la Maison de la Musique de Nanterre les 23 et 24 janvier. 

 



Comments (2)

  • Alice

    Très agréablement surprise de voir des chroniques de plus en plus nombreuses sur les salles de province, d’autant plus une si petite ville. Malheureusement j’ai raté ces représentations, mais votre article m’a donné envie de prendre les devants de ce festival pour les prochaines années. A quand un agenda de province en début de saison pour Les prochaines années? merci en tout cas.

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    • Amélie Bertrand

      @ Alice : Nous indiquons chaque mois quelques spectacles importants en province dans notre agenda mensuel. Mais nous tâcherons d’être un peu plus équitable sur le ratio « Paris-province », les beaux spectacles ne sont en effet pas qu’à Paris.

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