English National Ballet – Gala de son 70e anniversaire
L’English National Ballet a ouvert l’année 2020 en soufflant ses 70 bougies. Et pour marquer cet anniversaire, sa directrice artistique Tamara Rojo n’a pas manqué d’ambition, de la même façon qu’elle construit ses saisons depuis sa prise de poste en 2012. Au programme : un gala riche et dense, admirablement bien construit, faisant un tour dans le répertoire de cette troupe un peu particulière tout en l’ancrant dans le présent et ses récents succès. Agrémenté de jolies images d’archive, le spectacle est ainsi allé de Rudolf Noureev à Kenneth MacMillan, de Roland Petit à Annabelle Lopez Ochoa, d’Auguste Bournonville d’Akram Khan et sa Giselle qui n’en finit plus d’être applaudi aux quatre coins du monde. Le tout terminé par un brillant Études de Harald Lander, rappelant que si l’English National Ballet est versatile dans son répertoire, ses deux pieds sont ancrés dans la danse académique.
Créé en 1950 par les stars Alicia Markova and Anton Dolin, l’English National Ballet, appelé alors Gala Performances of Ballet, a toujours le souci de tourner, de se montrer là où la danse classique n’a pas forcément sa place. Encore aujourd’hui, même si Tamara Rojo a fait revenir sa troupe sur le devant de la scène internationale, elle démarre chaque saison par une tournée de plusieurs mois en province. Danser ailleurs qu’à Londres, mais aussi en extérieur, dans des grandes salles de concert, dans des stades (comme à Wembley pour un concert hommage à Lady Diana), dans des conditions parfois pas évidentes, mais toujours avec cette énergie et cette joie d’être sur scène qui caractérise ses artistes. Au fil des années, l’English National Ballet s’est étoffé, a développé ses propres talents (Tamara Rojo par exemple) tout en continuant d’inviter les grandes Étoiles, a monté son école en 1988, s’est enfin installé dans ses propres locaux en 2019. Tout en élargissant son répertoire, en y incluant les grands ballets classiques, le répertoire anglais, les pièces néo-classiques ou des créations, collaborant avec les grands talents de son époque, comme Rudolf Noureev en son temps, Akram Khan aujourd’hui. Alors qu’il ne chorégraphiait que pour sa troupe, Tamara Rojo l’a convaincu de travailler pour l’English National Ballet. Cela a donné Dust, autour des commémorations de la Première Guerre mondiale, et un extrait très frappant montré lors du Gala. Et puis bien sûr Giselle, auréolée de nombreux prix et devenue le tube de la compagnie de ces dernières années. Le très court passage dansé lors du spectacle ne donne que plus envie d’aller la découvrir aux Étés de la Danse, qui proposera cette Giselle en juillet, au Théâtre du Châtelet, ou de ne pas manquer Creature en avril à Londres, la prochaine création d’Akram Khan pour la troupe.
C’est toute cette diversité qu’a voulu montrer ce gala du 70e anniversaire. Avec une première partie passionnante, retraçant en 1h30 les grands morceaux du répertoire de la troupe, les enchaînant comme un seul fil, lié par les interprètes. L’on passe ainsi du pas de deux de Carmen de Roland Petit aux danses de caractère de La Sylphide d’Auguste Bournonville, du classique pas de cinq de La Belle au bois dormant de Kenneth Mac Millan au duo sensuel Three Preludes de Ben Stevenson, de la grande scène des chevaliers de Roméo et Juliette de Rudolf Noureev au flamenco de Le Tricorne, du swing du solo de Wo Cares? de George Balanchine à l’énergie de groupe enivrante de Playlist (Track 2) de William Forsythe, de la jolie scène de corps de ballet de Coppélia de Ronald Hynd au prenant trio Swansong de Christopher Bruce. Des petits bouts de danse, entrecoupés d’images d’archive et de témoignages, qui retracent ainsi une histoire étonnante et riche, d’une troupe pas tout à fait comme les autres. L’on y regarde le passé, mais aussi le présent avec quelques créations marquantes, comme Broken Wings d’Annabelle Lopez Ochoa sur Frida Kahlo, une commande pour un programme « Chorégraphes femmes ». Soucieuse des discriminations sexistes encore vive dans le monde de la danse, Tamara Rojo a assumé monter une soirée composée uniquement d’oeuvres de femmes.
Côté artistes en scène, ce gala permet aussi de faire le point sur l’état de forme de sa troupe, avec ses forces comme ses faiblesses. Les interprètes montrent beaucoup de personnalité scénique et une aisance naturelle pour passer d’un style à l’autre – on y voit ainsi de la danse académique, contemporaine, de caractère, du flamenco, des claquettes ou du néo-classique, même si la troupe semble de fait plus à l’aise dans ce dernier style. Et c’est bien cette versatilité qui semble être la force de la troupe, tout comme son énergie collective, sa volonté de danser ensemble alors que chacun vient d’une école différente. Les danseuses montrent dans l’ensemble un joli niveau, une homogénéité réussie du corps de ballet et de belles personnalités de solistes. Citons ainsi Emma Hawes et sa sensuelle Carmen, Jia Zhang et ses lignes magnifiques dans Three Preludes de Ben Stevenson, la percutante Precious Adams soliste de Who Cares?, qui arrive à faire quelque chose de ses bras et jambes interminables avec une vraie gouaille, Katja Khaniukova à la présence magnétique en Frida Kahlo ou la très jolie Coppélia de Shiori Kase (et un bel ensemble général pour cette scène de corps de ballet).
Les danseurs sont plus hétérogènes en soliste, et l’on sentait plus avoir à faire, en cette matinée, à la seconde distribution. C’est là le souci de l’English National Ballet : si elle n’a pas de mal à dénicher et faire évoluer ses talents, elle a plus de soucis pour les garder une fois qu’ils sont au sommet. Il y a du talent, du ballon, de la présence, mais il manque chez certains un travail plus affiné, plus poli, un peu moins brut de décoffrage, notamment dans le travail du bas de jambe. Il faudra suivre néanmoins Brooklyn Mack (qui se remarque en Franz) ou Aitor Arrieta (Apollo convainquant dans le jeu) pour voir comment cette jeune génération évolue, et si la compagnie arrive à les garder (drame de la danse où les danseurs sont bien moins en concurrence que les danseuses). Mais les hommes font oublier ces défauts par l’énergie de groupe, notamment par l’enthousiasmant extrait de Playlist (Track 2) de William Forsythe. Tout comme dans Blake Works I pour l’Opéra de Paris, le chorégraphe s’est amusé à rendre hommage à la pure danse classique sur une musique d’aujourd’hui, ici la techno très rythmée de Lion Babe. Mais alors que la pièce parisienne m’avait laissée une impression trop sage, l’on est ici complètement emporté par l’énergie et l’envie de s’amuser des interprètes (choix de musique plus rythmé, danseurs qui se regardent aussi un peu moins danser). Pour continuer sur les beaux passages de groupe, saluons aussi le très beau travail des élèves de l’English National Ballet School, vraiment impeccables et radieux dans la danse de caractère de La sylphide.
Après cette riche première partie, l’English National Ballet a proposé un classique de son répertoire, un classique tout court de la danse : Études de Harald Lander. On y a retrouvé les qualités comme les défauts évoqués ci-dessus : un corps de ballet impeccable, notamment chez les danseuses, de jolies solistes, et des hommes parfois à la peine dans la petite batterie malgré un charisme évident. Mais l’énergie de l’ensemble a emporté le tout. Car c’est cela aussi, Études. Un ballet qui démarre comme de rien à la barre, et puis l’énergie monte, monte, et explose dans un final qui en met plein les yeux et les coeurs par cette joie irrésistible de danser. Le dessin d’une compagnie au passé prestigieux et d’un futur qui l’est tout autant.
Gala des 70 ans de l’English National Ballet, au London Coliseum.
Extraits de : Le Tricorne avec Sergio Bernal, Dust d’Akram Khan avec Anjuli Hudson et James Streeter, Swansong (premier trio) de Christopher Bruce avec Miguel Angel Maidana, Henry Dowden et Victor Prigent, …Of What’s To Come de Richard Bermange avec l’English National Ballet School, Apollo de George Balanchine avec Aitor Arrieta, Roméo et Juliette (la danse des Chevaliers) de Rudolf Noureev avec Emma Hawes (Juliette), James Forbat (Pâris), Fabian Reimair (Tybalt), Stina Quagebeur (Lady Capulet), Dominic Hickie (Lord Capulet) et Laura Hussey (la Nurse), Giselle (Migration) d’Akram Khan avec l’English National Ballet School, Broken Wings (La Llorona pas de deux) d’Annabelle Lopez Ochoa avec Katja Khaniukova (Frida Kahlo) et James Streeter (Diego Rivera), Who Cares? (Fascinatin’Rhythm solo) de George Balanchine avec Precious Adams, La Sylphide d’Auguste Bournonville avec Anjuli Hudson, Henry Dowden, Joshua McSherry-Gray et l’English National Ballet School, La Belle au bois dormant (pas de cinq des Pierres précieuses) de Kenneth MacMillan avec Erik Woolhouse, Alison McWhinney, Alice Bellini, Francesca Velicu et Emilia Cadorin), Three Preludes (premier Prelude) de Ben Stevenson avec Jia Zhang et Skyler Martin, Carmen (pas de deux de la chambre) de Roland Petit avec Emma Hawes et Aitor Arrieta, Coppélia (la Mazurka) de Ronald Hynd avec Shiori Kase (Coppélia), Brooklyn Mack (Franz), Adela Ramírez (Dawn), Isabelle Brouwers (Prayer), Laura Hussey, Michael Coleman et Fabian Reimair ; Strictly Gershwin (The man I love) de Derek Deane avec Fernanda Oliveira et Joseph Caley ; Playlist (Track 2) de William Forsythe, avec Francesca Gabriele Frola, James Streeter, Miguel Angel Maidana, William Yamada, Victor Prigent, Rentaro Nakaaki, Matthew Astley, Skyler Martin, Brooklyn Mack, Erik Woolhouse, Rhys Antoni et Yeomans, Noam Durand.
Études de Harald Lander, avec Shiori Kase, Katja Khaniukova, Alison McWhinney, Aitor Arrieta, Daniel McCormick, Jeffrey Cirio et Brooklyn Mack.
Samedi 18 janvier 2020 (matinée).