Rone, (La)Horde et le Ballet de Marseille – Room with a View
(La)Horde, qui vient de prendre la direction du Ballet de Marseille, a présenté au Théâtre du Châtelet sa première création avec la compagnie. Room with a View a été imaginé avec une star de la musique électronique : Erwan Castex alias Rone. Le spectacle se déroule à coup de décibels dans un décor post-apocalypse pour un propos qui se revendique comme politique et ancré dans les problématiques contemporaines : la crise climatique, le renouvellement des rapports hommes/femmes, la peur de l’inévitable chaos. Si cette thématique traverse le spectacle, c’est davantage par la musique et la scénographie que par la danse qui est le parent pauvre de cette création. Room with a View est ainsi davantage un concert mis en espace qu’un ballet à proprement parler tant la chorégraphie y est embryonnaire.
On guettait avec gourmandise le premier spectacle de (La)Horde pour la Ballet de Marseille. La nomination surprise de Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel à la tête d’une institution malmenée ces dernières années avait suscité inquiétude et espoir. Inquiétude car le Ballet de Marseille, fondé par Roland Petit, semblait perdre ainsi définitivement sa vocation classique. Espoir malgré tout car le trio créé en 2013 propose un projet artistique cohérent et attractif, diversifiant les esthétiques en faisant déborder la danse vers d’autres supports. Et Room with a View est est l’incarnation parfaite : (La) Horde a décidé de mettre les 18 danseuses et danseurs du Ballet de Marseille à disposition de Rone, musicien électro; pour jouer sur scène ses dernières compositions qui constitueront son cinquième album.
La première force du spectacle, c’est la scénographie de Julien Peissel. En l’absence de rideau de scène, elle saute aux yeux instantanément. Une colossale carrière à ciel ouvert surplombée par un large trouée où sont regroupés autour de Rone les danseuses et les danseurs. Dans leur jeans et tee-shirts imaginés par Salomé Poloudenny, cet attroupement qui déjà s’agite et se déhanche ressemble évidemment à une rave party. Il y a là des prémisses qui mettent en appétit. Ce prologue qui se prolonge alors que le public prend place dans la salle veut abolir symboliquement la frontière entre artistes et public et rendre le propos plus aigu. Cela fonctionne si l’on accepte de modifier la focale. Room with a View est avant tout un concert de Rone, magnifiquement habillé par (La)Horde, et si l’on est disposé à se contenter d’un clip vivant. Car la danse y est réduite à la portion congrue. Jamais les mouvements ne dépassent ceux d’un clubbing générique.
Il y a une multitude d’images choc dans le spectacle avec la violence pour fil rouge. Celle qui traverse le couple, celle qui fait écho au mouvement #metoo avec un viol simulé. Celle aussi de la destruction programmée de la planète illustrée par des chutes de sables venus des cintres. Celle enfin du tableau final ou toute le troupe se frappe la poitrine jusqu’à se marquer la peau. Mais on regrette que le propos ne soit pas soutenu par une écriture chorégraphique consistante susceptible de servir les qualités de la compagnie et de raconter cette histoire par une chorégraphie, et non pas par l’unique biais de la musique et de la scénographie. Il manque dans Room with a View un geste fort de danse qui dépasserait le simple clubbing. On voit affleurer lors de moments trop courts des ensembles construits et signifiants. Mais c’est trop peu pour séduire.
La salle pourtant est enthousiaste. Le public est venu au Théâtre du Châtelet pour voir et entendre Rone et de ce point de vue, le contrat est parfaitement rempli. Erwan Castex est un maitre de la musique électronique et il le prouve magnifiquement avec ce cinquième opus. Mais la danse et le Ballet de Marseille n’y trouvent pas leur compte.
Room with a View de Rone et (La)Horde par le Ballet de Marseille au Théâtre du Châtelet. Avec Sarah Bicht, Daniel Alwell, Mathieu Aribot, Malgorzata Czajowska, Clara Davidson, Myrto Georgiadi, Vito Giotta, Nathan Gombert, Nonoka Kato, Kelly Keesing, Yoshiko Kinoshita, Angel Martinez Hernandez, Filippo Nannucci, Tomer Pistiner, Aya Sato, Dovydas Strimaitis, Elena Valls Garcia et Nahimana Vandenbussche. Dimanche 8 Mars 2020.