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Le Temps d’aimer – Compagnie l’Octogonale, (La)Horde et Nach

Continuons notre week-end de rentrée au Temps d’aimer à Biarritz avec, après le Malandain Ballet Biarritz, deux troupes interrogeant et racontant l’histoire de la danse – sur des périodes et de façon bien différentes. La compagnie L’Octogonale même ainsi un travail de recherche et chorégraphique autour du duo Ruth Saint-Denis et Ted Shawn, couple pionnier de la modern dance au début du XXe siècle, pour un spectacle d’une grande richesse et inventivité. Avec To da Bone, (La)Horde retrace son chemin et celui du jumpstyle, jouant plus sur la sympathique et l’énergie du collectif. Entre les deux, l’interprète-découverte de ce festival : la danse de krump Nach

A Taste of Ted – Jérôme Brabant et Maud Pizon

Comment rendre sexy un travail de recherche en danse ? Petite phrase triviale pour se poser toutefois une question fondamentale : comment amener sur scène un travail d’archive de longue haleine et le vulgariser auprès du public par le biais du spectacle, comment y mêler une création chorégraphique ? C’est le pari audacieux, et réussi, de la compagnie L’Octogonale. Jérôme Brabant et Maud Pizon ont tous les deux des expériences universitaires et chorégraphiques. Par « curiosité historique et esthétique« , ils se sont lancés dans un travail d’archéologue de la danse autour de l’oeuvre et la personnalité de Ruth Saint-Denis et Ted Shawn. Ce couple a été l’un des pionniers de la modern dance américaine au début du XXe siècle, fondant en 1915 la Denishawn School qui accueilla Martha Graham ou José Limon.

Jérôme Brabant et Maud Pizon sont partis à leur recherche, fouillant et regardant de multiples archives en France ou aux États-Unis. Et le spectacle A Taste of Ted est le résultat de leur périple, réussissant le pari de proposer une véritable création artistique tout en s’appuyant sur un travail pédagogique d’une grande clarté, vulgarisant sans simplifier, et en questionnant ce travail de post-modern à notre regard sur XXIe siècle. Le duo utilise un procédé qui a fait ses preuves : ils dansent sur scène sans dire un mot mais en réagissant à leur voix-off racontant leur procédé de recherche comme leurs réflexions personnelles. Un moyen peut-être un peu trop utilisé aujourd’hui, mais diablement efficace dans les mains des deux artistes, qui interprètent quelques compositions de Ruth Saint-Denis et Ted Shawn à travers les souvenirs qu’ils ont gardé de leurs visionnages des archives (qu’ils n’avaient pas le droit d’emmener avec eux). Le tout accompagné au piano avec délice et humour par Aurélien Richard.

A Taste of Ted – Jérôme Brabant et Maud Pizon

Et c’est à la fois l’histoire de ce duo de la modern dance qui défile sur le plateau, comme l’histoire de Jérôme Brabant et Maud Pizon et leur place en tant qu’artistes dans le monde d’aujourd’hui. Leurs voix-off racontent ainsi leur travail méthodique d’archive, leurs découvertes, quelques traits de personnalité de ce couple de danse hors du commun, aussi leur questionnement qu’apporte cette modern dance sur notre monde du XXIe siècle. Toute la fin du spectacle tourne ainsi autour de « l’exotisme », Ruth Saint-Denis ayant chorégraphié des « danses égyptiennes » et autres « danses indiennes ». Des chorégraphies qui, sous leurs contours exotiques justement, sont on ne peut plus occidentales comme le rappelle Maud Pizon, avec leur symétrie et leur rythme binaire. Comment définissons-nous alors l’exotisme aujourd’hui dans la danse, le regard a-t-il vraiment changé ? Le-la balletomane ne pourra que sourire quand ces questionnements sont évoqués en voix-off alors que la danseuse se lance dans une danse indienne ressemblant furieusement à la variation du 2e acte de Nikiya, et l’on sait que La Bayadère suscite encore bien des débats. 

Le duo réussit donc ce tour de force de nous apprendre et de nous raconter une page de l’histoire de la danse parfois méconnue en France, tout en réalisant une véritable proposition artistique – Jérôme Brabant et Maud Pizon ne sont pas Ruth Saint-Denis et Ted Shawn sur scène, même s’ils les interprètent. Sans en oublier l’humour, l’auto-dérision et de véritables réflexions sur l’héritage de la danse, pour un spectacle surprenant tout autant qu’instructif.

To da Bone – (La)Horde

Ruth Saint-Denis avait un travail des bras particulièrement abouti, aimant rendre indépendante chaque articulation. Tiens, ça ne nous rappèlerait pas le hip hop 100 ans plus tard ? Avec To da Bone, (La)Horde fait un petit peu le même travail que A Taste of Ted, mais version jumpstyle : la troupe nous y raconte la genèse de cette danse du XXIe siècle, l’importance des réseaux sociaux et de Youtube pour son développement, mais aussi la naissance du collectif et comment chaque personne qui le compose s’y est retrouvé. La pièce démarre toutefois un peu poussivement : les danseurs et la danseuse sont dans la performance, mais leur danse ne semble pas dépasser le stade de la formidable énergie et l’on manque un peu de consistance. C’est finalement lorsque les artistes s’emparent du micro, racontent leurs parcours ou refont des rassemblements que les liens du spectacle se tissent. Chorégraphiquement, dans ce spectacle en tout cas, le jumpstyle n’arrive pas à s’approprier une richesse de geste suffisamment puissante pour attirer à lui seul l’attention. To da Bone fonctionne ainsi bien plus sur la personnalité des danseur-se-s, leur force en scène, leur énergie et sur la joyeuse sympathie qui émane du collectif. L’heure de spectacle passe vite et agréablement, mais l’on se demande comment leurs autres créations peuvent tenir la durée une fois passée le plaisir de mieux connaître ces artistes. Room with a View la saison dernière était d’ailleurs bien plus un concert mis en scène qu’un spectacle de danse.

Cellule – Nach

Si l’on parle d’interprétation, impossible de quitter Le temps d’aimer sans évoquer Nach, danseuse de krump, et sa pièce Cellule. Dès la première seconde, elle est saisissante. Son regard planté dans celui du public, elle semble comme exploser chacun de ses mouvements, femme puissante dans le muscle comme dans l’âme. « Je suis une guerrière. Je risque« , écrit-elle en préambule. Sa danse est violente, parfois incroyablement sensuelle, toujours profondément humaine, personnelle et percutante. Cellule, son premier solo, se veut être un « auto-portrait à fleur de peau« . Une pièce personnelle sans contexte, mais qui manque d’une véritable ligne directrice, semblant trop jouer à saute-mouton d’image en image, aux contours un peu trop flous. Reste une formidable interprète, unique dans sa physicalité, dont on a très envie de suivre l’évolution.

 

 

Spectacles vu dans le cadre du Temps d’aimer 2020.

A Tastes of Ted de et avec Jérôme Brabant et Maud Pizon – Compagnie L’Octogonale. Samedi 12 septembre 2020 au Théâtre du Colisée. À voir en tournée en 2020 et 2021.

To da Bone de Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel par le Collectif (La)Horde, avec Magali Casters, Kevin Martinelli aka MrCovin, Maxence Foor aka Skylerz, Thomas Hongre aka ToPa, Pawel Nowicki aka Pafcio, Bartlomiej Paruszewski aka Bartox, Edgar Scassa aka Edx, Damian Szczegielniak aka Edx et Michal Adam Zybura aka Zyto. Dimanche 13 septembre 2020 au Théâtre du Casino. À voir en tournée en 2020 et 2021.

Cellule de et avec Nach – Nach Van Van Dance Company. Dimanche 13 septembre 2020 au Théâtre du Colisée.

Le Festival Le Temps d’aimer continue jusqu’au 20 septembre.

 




 

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