Programme de rentrée Rudolf Noureev – Ballet de l’Opéra de Paris
Après plus de six mois sans spectacle, le Ballet de l’Opéra de Paris a enfin signé son retour en scène début octobre, entre autres par son programme Rudolf Noureev, mêlants duos et solos des productions du chorégraphe russe. Le plaisir de retrouver l’écrin du Palais Garnier était palpable côté artistes comme côté public, et la scène aménagée sur le devant du plateau proposait une proximité bienvenue. Mais malgré quelques beaux moments d’émotion ou de virtuosité individuelle, le programme semblait bancal et les danseurs et danseuses pas si à l’aise que ça dans un programme qui est pourtant censé être le coeur de leur répertoire. La danse de Rudolf Noureev sans tout l’apparat autour, montre aussi plus facilement ses faiblesses. Reste ce plaisir de retrouver Étoiles et solistes, qui avaient toutes et tous visiblement à coeur de faire un beau retour.
Après sept mois sans spectacle des deux côtés de la scène, la rentrée a quelque chose d’excitant. L’on se souvient ainsi de l’intensité du retour en scène du Malandain Ballet Biarritz ou de la nouvelle énergie du Ballet de l’Opéra de Lyon. L’on s’attendait un peu à ce genre de chose pour le retour en scène si attendu du Ballet de l’Opéra de Paris. Mais les problèmes internes ne s’atténuent pas en six mois de confinement. Bien sûr, il y a ce plaisir savoureux de retrouver le Palais Garnier, ses loges rouges, son grand escalier, ses ouvreurs comme de vieilles connaissances, ce plafond et cette salle si particulière. En travaux, la scène est fermée, le spectacle se déroulant sur un plateau spécialement aménagé devant le rideau de scène, sur la fosse d’orchestre. Cela limite décors, lumière et coulisses, mais cette scène éphémère est plutôt bien faite et apporte une proximité agréable malgré son dénuement. Et les douze artistes en scènes, Étoiles et Premiers danseurs avaient tous visiblement à coeur de donner le meilleur pour ses retrouvailles avec le public.
Mais la composition du programme posait problème. Sans ses apparats et ses mises en scène si efficaces, les chorégraphies de Rudolf Noureev à nu ne révèlent souvent que ce qu’elles ont de pire, avec ses pas emberlificotés et cette anti-musicalité parfois problématique pour une virtuosité « un pas une note » qui semble bien vieillotte. Les pas de deux choisis n’étaient pas tous les plus porteurs – l’on regrette d’ailleurs quelques passages emblématiques des ballets Noureev comme la variation lente de Siegfried. Et puis cela fait finalement longtemps que ces pas de deux ne sont plus forcément au coeur du répertoire quotidien de l’institution : plusieurs artistes faisaient ainsi leur prise de rôle, d’autres reprenaient un pas de deux qu’ils n’avaient pas dansé depuis plusieurs saisons, et cela se sentait (bien plus que les six mois d’arrêt). On peut aussi regretter que des partenariats qui fonctionnaient bien n’aient pas été renouvelés pour ces deux spectacles de rentrée. Bref, tous les éléments n’étaient pas forcément là pour permettre la plus sereine des soirées de reprise et la rentrée a semblé plutôt âpre.
C’est d’ailleurs un duo qui se connaît bien qui a dominé la soirée. Valentine Colasante et Francesco Mura dansent souvent ensemble avec Les Italiens de l’Opéra de Paris, ce pas de deux de Don Quichotte est un peu leur tube. Et la maîtrise est là. Si l’on sent encore Francesco Mura encore au début de sa carrière de soliste, Valentine Colasante est pleinement à son aise dans le rôle de Kitri. L’on a pu souvent la critiquer sur DALP, dans des rôles plus aériens, mais il faut reconnaitre que les personnages de caractère lui vont comme un gant. Pétillante, joyeuse et en belle forme technique – et cela fait pleinement partie du personnage de Kitri, jeune femme audacieuse et culottée – Valentine Colasante apparaît dès son entrée en scène épanouie et si heureuse d’être là, sans une once de trac ou de peur de mal faire – à l’inverse de la plupart de ses collègues de la soirée, il faut le dire. Elle a le charme du personnage et ce chic de prendre quelques risques techniques – hop, je tiens mon arabesque quelques secondes de plus au final, et on part sur des fouettés doubles avec quelques coups d’éventail – toujours bien dosés. Elle forme avec Francesco Mura un couple attachant, avec déjà de bonds réflexes à travailler ensemble et une empathie appréciable, tandis que lui se défend bien malgré un solo difficilement brillant (est-ce que les danseurs de l’Opéra de Paris devront danser cette variation de Basilio jusqu’à la fin des temps ? Il semblerait bien).
De belles performances individuelles, mais un peu frustrantes, ont ainsi marqué la soirée. Pour démarrer la soirée, Dorothée Gilbert sait tout de suite instaurer une ambiance et nous faire croire à son personnage de jeune Clara dans Casse-Noisette, malgré l’absence des décors. Dès son entrée en scène, elle sait créer cette sorte de magie sur le plateau, cette petite chose qui vous accroche tout de suite le regard et vous fait basculer dans son histoire. Si l’on avait quitté en pleine forme Paul Marque en mars, il semble pour cette rentrée plus en retrait, voire crispé pour des pas de deux qu’il n’avait jamais encore abordés. Le partenariat avec Dorothée Gilbert est encore en recherche. Dommage d’ailleurs que ces deux artistes aient eu droit à deux adages plutôt qu’au pas de deux complet du deuxième acte, où les variations et la coda auraient permis de mieux les mettre en valeur, qu’ils puissent s’exprimer pleinement (l’on peut d’ailleurs se questionner sur la logique artistique de donner un pas de deux tronqué de ses variations). C’est ainsi ce qui a pu améliorer le dernier duo de la soirée, le pas de deux de La Belle au bois dormant du dernier acte, cette fois-ci du Marius Petipa pur jus. Germain Louvet et Léonore Baulac étaient bien trop crispées et crispantes pour vraiment profiter de cet archétype du ballet académique. Mais les variations ont permis une certaine détente, notamment du côté de la danseuse qui a semblé de plus en plus épanouie au fur et à mesure de l’extrait, laissant voir son joli travail du haut du corps et son souci de stylisation du personnage, qui lui va naturellement bien. Alors que cette Étoile est toujours plus à l’aise dans le néo-classique, l’on peut toutefois s’interroger sur le fait de lui donner à danser la pièce la plus académique du programme, qu’elle n’avait de plus jamais abordée, alors qu’elle aurait pu être mieux mise en valeur dans un autre extrait.
Germain Louvet, son partenaire, a semblé plus à l’aise dans le néo-classique de Roméo et Juliette. Qui donna aussi le plaisir de revoir la si lumineuse Myriam Ould-Braham, absente depuis longtemps, et toujours aussi touchante et sincère. Le partenariat, plutôt bien assorti et complémentaire, se cherchait toutefois encore (ils ont très peu l’habitude de danser ensemble). Et malgré l’engagement théâtral des deux Étoiles (même si parfois un peu forcé), on ne voyait un peu que les défauts de la chorégraphie : un duo amoureux où les deux protagoniste ne cessent de se courir après sans se regarder. On ne va pas regretter nos séances vidéo du confinement, mais après une cure de Kenneth MacMillan, c’est tout de même un peu dur. Le partenaire de prédilection de Myriam Ould-Braham, Mathias Heymann, était occupé ce soir-là à reprendre Manfred, solo emporté et romantique, demandant un engagement total. Si le danseur n’avait plus cette fougue absolue de sa prise de rôle, lors d’un retour à la scène après une longue blessure il y a quelques années, il est apparu ce soir plus mature, plus intériorisé, et toujours aussi sincère et engagé. Ce danseur a décidément l’âme d’un poète.
Citons encore Alice Renavand, si lumineuse et glamour en Cendrillon et très élégamment accompagné par Florian Magnenet. Le pas de deux du tabouret n’est là encore pas le choix le plus brillant, même si les deux artistes ont tout fait pour créer leur histoire. Mais ils paraissent bien en forme et l’on aurait aimé en voir plus. Terminons enfin avec Amandine Albisson et Audric Bezard, dans l’adage du Cygne blanc de Marius Petipa et Lev Ivanov. Ils se connaissent bien et ont formé le duo le plus harmonieux de la soirée, en accord dans leurs émotions comme leurs gestes. Mais l’émotion a toutefois eu du mal à paraître. Ils dansaient après la tornade Valentine Colasante/Francesco Mura, pas facile ainsi d’instaurer après ça une ambiance plus intimiste. Difficile aussi de danser ce pas de deux sans les cygnes autour, qui font partie intégrante de ce passage emblématique, et sans les variations. (là encore, le pas de trois du Cygnes noir aurait peut-être été plus indiqué).
Finalement en l’écrivant, malgré un tout un peu décevant, je retiens tout de même beaucoup de jolies choses. Pas de grand frisson ainsi, mais de belles performances individuelles, avec ce plaisir partagé des deux côtés de la scène de se retrouver. Une joie qui ne cache pas, encore une fois, la sensation d’avoir une maison un peu perdue.
Programme Rudolf Noureev par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Avec Dorothée Gilbert et Paul Marque (Casse-Noisette), Alice Renavand et Florian Magnenet (Cendrillon), Germain Louvet et Myriam Ould-Braham (Roméo et Juliette), Valentine Colasante et Francesco Mura (Don Quichotte), Amandine Albisson et Audric Bezard (Le Lac des cygnes) Mathias Heymann (Manfred) et Léonore Baulac et Germain Louvet (La Belle au bois dormant). Mardi 6 octobre 2020. À voir jusqu’au 30 octobre.