Ballet du Capitole – Les Saltimbanques de Kader Belarbi
Au Ballet du Capitole, on attendait le Toulouse-Lautrec de Kader Belarbi (patience, la pièce arrive à l’automne). Hasard de cette année compliquée, c’est Picasso qui coiffe au poteau le peintre postimpressionniste pour de joyeuses retrouvailles avec le public. Kader Belarbi, le directeur de la troupe toulousaine, a décidé de re-créer Les Saltimbanques, son ballet de 1998 librement inspiré du tableau Famille de Saltimbanques (Les bateleurs). Conçue pour une scène circulaire, cette nouvelle production est une fresque foisonnante et poétique traversée de clins d’œil au cirque et à la danse où joie et mélancolie s’entremêlent au son de l’accordéon de Sergio Tomassi. Cette troupe de saltimbanques à laquelle Kader Belarbi donne chair et âme a fière allure et nous enchante.
Quelle heureuse idée a eu Kader Belarbi de remonter cette pièce dont l’inspiration lui est venue lors d’une tournée avec l’Opéra de Paris à Washington à la fin des années 1990. En visite à la National Gallery of Art où la toile est exposée, il découvre Famille de Saltimbanques (Les bateleurs) de Picasso, datant du printemps-automne 1905. La rencontre avec cette toile et la lecture de la 5e des Élégies de Duino de Rainer Maria Rilke lui donnent l’idée de réunir cirque et danse et de mettre en mouvement ces personnages figés sur la toile. Créée à l’Orchard Hall de Tokyo en août 1998, la pièce retrouve ici une seconde jeunesse dans une configuration circulaire baignée du jeu de lumières de Sylvain Chevallot qui évoque d’emblée l’univers circassien.
Dès le départ, l’envie du chorégraphe est de se détacher du ballet narratif pour une succession d’entrées qui évoquent les numéros de cirque. Les artistes, clowns, acrobates, funambules, ballerines, bouffons défilent. Tout un monde dansant prend vie sous nos yeux. L’Arlequin joue les Monsieur Loyal. Si dans la toile, Picasso se serait représenté sous les traits de ce personnage, nul doute que Kader Belarbi s’est un peu identifié à son Arlecchino en costume à losanges et bicorne. Le voici qui nous convie à prendre la route avec cette troupe bigarrée, truculente. Et se plaît à semer des clins d’œil aux Forains de Roland Petit ou à la Petite danseuse de 14 ans de Degas. Il crée des passerelles entre la souplesse des acrobates, la grâce de la funambule ou la pantomime des clowns et celles des danseur.euse.s.
Le décor est constitué d’une immense toile que les danseur.euse.s hissent ou déposent au gré de l’avancée du spectacle. Chacun en la manipulant participe à l’évolution de la scénographie et transforme cette pièce de décor au gré de leurs pérégrinations. D’autres trouvailles émaillent la scène comme ces cubes servant de podiums ou de rochers de Sisyphe. Des ballons flottent dans les airs comme autant de balises dans un espace mouvant. Clou du spectacle, qui nous ferait presque lâcher un grand « oh! » de surprise, des guindes lestées de balles tombent des cintres pour délimiter une cage, royaume d’une téméraire dompteuse d’hommes à tête de cheval.
Réalisés par Elsa Pavanel, les magnifiques costumes rendent hommage à la palette chromatique de la période rose de Picasso. Tout au long de la pièce, les artistes revêtent ou se dépouillent d’éléments de costumes qui symbolisent les différents rôles dans lesquels ils se coulent. Du plus sobre au plus sophistiqué, ils épousent les évolutions de ces artistes dont la vie consiste à jongler entre l’ombre et la lumière.
Comme dans les spectacles de cirque, Kader Belarbi s’appuie aussi sur le caractère cosmopolite de sa compagnie. Pas de moins de 14 nationalités parmi ses interprètes qui donnent des couleurs distinctes à leur interprétation. Mention particulière au désopilant duo de clowns Alexandre Ferreira et Kayo Nakazato dont la marinière et la perruque orange ébouriffée évoquent la Gelsomina de Fellini dans la Strada. Chacun se glisse avec beaucoup d’intensité dans la partition universelle des saltimbanques, ces « voyageurs fugaces« , « plus fugitifs que nous-mêmes« .
Pourquoi cette pièce nous touche-t-elle autant ? Sans doute pour cette dimension particulière qu’elle revêt après des mois de mise à l’arrêt. Kader Belarbi l’évoque très bien : « Cette fragilité de l’acrobate-danseur, en équilibre entre grâce et chute, défiant autant la gravité que la dureté d’une vie errante avec ses incertitudes du lendemain, c’est bien sûr celle de notre condition humaine. Incidemment elle fait écho à cette pandémie et à cette crise que nous traversons tous, mais qui s’avère particulièrement éprouvante pour les artistes et le spectacle vivant. » Ces Saltimbanques nous émeuvent, nous transportent, nous font rire et frissonner. Autant d’émotions propres au spectacle vivant qui nous avaient tant manqué.
Les Saltimbanques de Kader Belarbi par le Ballet du Capitole à la Halle aux Grains. Création musicale et accordéon : Sergio Tomassi. Scénographie : Coralie Lèguevaque. Costumes : Elsa Pavanel. Lumières : Sylvain Chevallot. Assistante chorégraphes : Laure Muret. Maître de ballet invité : Vincent Chaillet. Conseiller théâtral : Samuel Mathieu. Jeudi 24 juin 2021.