Ballet de l’Opéra de Paris – Le Défilé et Jalet/Voelker/Lander pour le Gala d’ouverture de saison
La tradition est récente mais c’est désormais par un Gala que s’ouvrent les saisons du Ballet de l’Opéra de Paris. Pour ce retour sur scène et avec du public, après l’interruption due à la pandémie, Aurélie Dupont avait choisi un programme éclectique, réunissant à l’affiche trois pièces précédées par le Défilé du Ballet. D’abord Brise-Lames de Damien Jalet, dont on avait pu mesurer la force grâce au film réalisé pour sa diffusion télévisée. Puis Clouds inside, bref pas de deux de la toute jeune américaine Tess Voelker. Enfin Études de Harald Lander, joyau chorégraphique qui célèbre la danse académique. À défaut de proposer une unité artistique comme de véritables retrouvailles avec son public, cette soirée de gala aura toutefois montré une compagnie en pleine forme et des solistes acérés, parmi lesquels la toute nouvelle Étoile Sae Eun Park qui régala de sa virtuosité époustouflante.
Durant son court mandat à la tête de la direction de la danse, Benjamin Millepied avait importé des États-Unis, où il fit sa carrière de danseur, le « Gala d’ouverture ». Ce fut sur le papier une heureuse initiative : quoi de plus enthousiasmant qu’un gala pour célébrer la danse, revoir la compagnie et réunir le public après la pause estivale ? Las ! Ce qui est présenté officiellement comme le coup d’envoi de la saison est en fait un événement semi-privé. La quasi-totalité des places est réservée aux mécènes de l’Opéra et seule une poignée de billets à des tarifs prohibitifs – les moins chers sont à 80€ – est mise en vente. Ce Gala est tout sauf un événement populaire. Et les discours de lever de rideau du Directeur de l’Opéra et de la Directrice de la Danse n’ont pas caché le but ultime de l’événement : satisfaire et s’assurer de la fidélité du mécénat dont dépend aujourd’hui l’Opéra de Paris, en dépit d’une très grasse subvention. Ainsi les paroles d’Alexander Neef et d’Aurélie Dupont, citant doublement le nom des grands mécènes au moment où l’Opéra de Paris, exsangue après une longue grève et une plus longue pandémie, a dû être renfloué par les caisses de l’État à hauteur de 106 millions d’euros, résonnaient étrangement. Côte à côte sur scène, ils ont fait mine de croire qu’il s’agissait de retrouvailles avec le public alors que ce Gala est avant tout un événement mondain. L’Opéra de Paris a bien sûr aujourd’hui besoin du mécénat pour survivre, mais on aurait préféré que l’on garde l’esprit des galas des compagnies américaines où les places ne sont pas surtaxées et le public de passionnés de danse présent.
On aimerait en avoir fini avec ce flot de critiques, mais l’on ne peut passer outre la scandaleuse préemption du fameux Défilé du Ballet. Ce rendez-vous incontournable de tous les amateurs et amatrices de danse et des amoureux de cette compagnie offre à chaque fois un moment intense de communion, grâce au génie de Serge Lifar qui a inventé cette sublime présentation sur scène de toute la compagnie et de l’École de Danse sur la Marche des Troyens d’Hector Berlioz. Désormais, le Défilé semble réservé au Gala d’ouverture, à la grande colère des balletomanes. Gustavo Dudamel, le tout nouveau directeur musical de l’Opéra de Paris, a lui-même demandé à diriger le Défilé et a annoncé dans le programme son désir de s’associer dans le futur à des productions de ballets : « J’ai quelques idées en tête ! J’adore la danse et ce sera un grand privilège », écrit-il ainsi. Il offrit une direction tout en nuances de la Marche des Troyens avec de superbes pianissimo. Mais dès le Défilé terminé, l’Orchestre de l’Opéra de Paris prenait la clef des champs ! À l’exception de Brise-Lames, la musique de ce gala était en effet enregistrée, y compris celle de Carl Czerny choisie par Harald Lander pour Études. Difficile ainsi de parvenir à rendre cohérent le propos de Gustavo Dudamel sur son amour de la danse et la décision de la direction d’imposer une bande-son sur une partition classique. Comme si le Ballet ne méritait pas tout à fait l’Orchestre de la maison. Enfin, il ne faudrait pas croire trop hâtivement que le public des galas est naturellement bien élevé. Dès le Défilé et jusqu’au final d‘Études, la salle du Palais Garnier crépitait des lumières des smartphones de l’Orchestre aux Loges, avec flash si nécessaire sans aucun souci ni des artistes, ni du public dans la salle.
Mais passons à ce qui se passa sur scène. Que dire du Défilé ? Il est depuis sa création impeccablement réglé par les Maîtres et Maîtresses de Ballet. Ce rituel immuable est un bonheur absolu, un sommet de beauté classique et l’occasion unique de voir toute la compagnie, des Petits rats aux Étoiles, avec le baptême du feu pour les nouveaux nominés Paul Marque et Sae Eun Park, et le dernier entre autres pour Stéphane Bullion et Alice Renavand dont c’est l’ultime saison. C’est aussi l’occasion de constater quelques déséquilibres dans la composition de la compagnie : dix Étoiles féminines pour six étoiles masculines. Cela ne permet guère de diversifier les distributions des grands ballets académiques et exige de prendre des risques considérables lorsqu’il faut au pied levé remplacer un danseur blessé, comme ce fut le cas sur Roméo et Juliette, faute d’avoir permis à de jeunes danseuses et danseurs de faire leurs preuves sur scène dans les grands rôles du répertoire. Mais cela peut attendre : il n’y aura pas de grand ballet narratif du répertoire avant le mois de décembre.
On avait pu voir sur écran Brise-Lames de Damien Jalet. Le chorégraphe avait refusé une diffusion précipitée par Facebook, préférant créer un vrai film de danse, entouré de tout le soin nécessaire, des lumières, du montage et de la réalisation. Brise-Lames est une pièce créée dans l’urgence et la fébrilité de l’épidémie. Aurélie Dupont avait eu l’idée superbe de construire un proscenium pour trois programmes inédits dont une soirée de créations, alors que le Palais Garnier était fermé pour travaux sur la scène. Le deuxième confinement a mis un coup d’arrêt à ce beau projet. Ce Gala était donc l’occasion unique cette saison de voir deux de ces créations. Brise-Lames, qui ouvre la soirée, conserve sur scène les qualités que l’on décelait dans le film réalisé par Louise Narboni. Cinq danseuses et quatre danseurs alignés dans la pénombre, à terre dans un mouvement perpétuel, ondulent et forment comme une vague interminable qui va et revient. Comme une mise en abyme dans cette idée de vaincre l’adversité des éléments, la puissance implacable de la mer qui engloutit. Brise-Lames se déplie comme une longue phrase chorégraphique unique où l’on retrouve ce formidable travail des bras cher à Damien Jalet et cette science de l’ensemble, faisant bouger les interprètes comme un corps unique. Toutes et tous sont impeccables et Letizia Galloni dégage une aura qui enveloppe tout le groupe. Damien Jalet avait conçu cette pièce pour le proscenium avec cette avancée qui mêlait quasiment public et danseur.se.s, avec le piano du compositeur Koki Nakano côté jardin qui a refait le voyage pour ce gala et offert le seul moment de musique en direct. Brise-Lames et sa scénographie de JR résistent bien à leur transfert sur la scène entière du Palais Garnier, même si l’on imagine que la puissance devait en être décuplée. Il faut en tout cas espérer revoir très vite cette heureuse entrée au répertoire.
Tess Voelker qui partage l’affiche de cette soirée a un CV formidable. L’américaine de 23 ans a été formée à la danse classique mais aussi au modern jazz et aux danses urbaines. Elle est passée par le prestigieux Joffrey Ballet de Chicago pour atterrir finalement en Europe au Nederlands Dans Theater qui continue à accueillir les plus grands chorégraphes. Son incursion dans la chorégraphie avec Clouds Inside montre une maîtrise certaine de nombreuses techniques. Mais ce pas de deux écrit pour Marion Gautier de Charnacé et Antonin Monié sur Cello Song de Nick Drake laisse indifférent. Les pas qui mêlent tous les vocabulaires sont trop génériques pour séduire. La chorégraphe a tout le temps de mûrir mais Clouds Inside est tout sauf nécessaire. Coincée entre deux pièces magistrales, la programmer pour ce gala n’était pas un cadeau à lui faire.
Pour ouvrir la saison, il fallait évidemment une pièce qui fête la compagnie et son corps de ballet. Études du danois Harald Lander, créé en 1948, est un bijou en forme de célébration de l’art du ballet académique. Un festival mené à train d’enfer durant 45 minutes, où défilent tous les rituels de la danse classique et de ses interprètes, de la classe quotidienne aux démonstrations pyrotechniques. L’on démarre du grand plié, l’on finit avec les grands sauts et fouettés, et la si belle et si difficile variation de l’Étoile. Aucun décor, juste la barre pour le début du ballet qui conserve près de 75 ans après sa création une force inégalée. On ne peut pas résister à Études : c’est un moment de danse pure, agencé avec humour et fantaisie. Ce déferlement de virtuosité fut magnifiquement servi par la compagnie qui, en dépit des interruptions, conserve une forme éclatante, même si certains ensembles auraient mérité une meilleure synchronisation. Paul Marque prouve qu’il n’a en rien usurpé son titre d’Étoile, même s’il peut voir qu’il lui reste du chemin à parcourir en observant Mathias Heymann qui, en dépit de ses fragilités physiques, offre une danse magnifique, racée et affutée techniquement. On a hâte de les retrouver vite dans les grands rôles du répertoire.
Mais ce fut avant tout la soirée de Sae Eun Park. La nouvelle Étoile de l’Opéra de Paris a cassé la baraque. Elle prend tous les risques, ne freine jamais l’allure et offre une technique sans égal dans la compagnie. Dans son solo et le Pas d’Adage, elle démontre aussi qu’elle est une artiste accomplie aux lignes superbes, destinée à être un pilier des distributions pour les années à venir. On ne peut que regretter que ce gala fût une soirée unique : tant de travail et de répétitions pour une seule représentation ! C’est sans doute la loi du genre et ce que demandent les mécènes pour créer l’événement. La danse hélas n’y trouve guère son compte.
Gala d’ouverture de saison du Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier? Brise-Lames de Damien Jalet avec Marion Barbeau, Héloise Bourdon, Letizia Galloni, Clémence Gross, Juliette Hilaire, Pablo Legasa, Adrien Couvez, Alexandre Gasse et Takeru Coste ; Clouds Inside de Tess Voelker avec Marion Gautier de Charnacé et Antonin Monié ; Études de Harald Lander remonté par Thomas Lund avec Sae Eun Park, Paul Marque, Mathias Heymann et le corps de ballet. Représentation unique du 24 septembre 2021.
Iris
Mondain est le terme adéquat.
Si encore c’était une soirée réservée aux mécènes…. Le parterre était rempli d’invités vip (influenceurs Instagram, présentateurs télé, acteurs) qui ne montrent aucun intérêt particulier pour le ballet, demandent en quoi consiste la soirée et vapotent dans le palais Garnier
Karine
Je propose qu’on lance une pétition pour que le Gala soit diffusé sur la plateforme L’Opéra chez soi !
Lili
Pour le moment ils rediffusent le Gala de l’an dernier. J’ose espérer que l’an prochain, un nouveau Gala fermé justifiera de rendre visible (et de générer de nouvelles recettes…publicitaires) celui de cette année. La poule aux oeufs d’or…
phil
C’est vrai, on se perd en mondanités et on peut y perdre une partie du public fidèle à l’Opera de Paris : un pari risqué.Une blessure de Germain Louvet(Etoile et Général) et voici Guillaume Diop choisi pour le role principal(Roméo) qui passe pour un instant de Quadrille (Caporal) à Etoile (Général), enfin cela prouve le haut niveau des danseurs (pourquoi tant de hiérarchie?)!
Lili
Pauvres danseurs, privés d’un Défilé qui leur offre l’amour du public, au profit d’une exposition de bêtes de foire pour VIP fortunés et indifférents…. J’espère que de leur côté aussi c’est le scandale et la protestation.