Ballet du Rhin – Danser Schubert au XXIe siècle
Après une brève incursion au Temps d’aimer de Biarritz, Le Ballet du Rhin a fait sa rentrée sur ses terres alsaciennes avec un nouveau programme Danser Schubert au XXIe siècle. Bruno Bouché, le directeur de la troupe, poursuit cette recherche thématique centrée sur un compositeur. Après Bach, Mozart, Mahler et Chostakovitch, c‘est Franz Schubert qui est confronté à la sagacité créatrice de la compagnie. Il a cette fois-ci proposé aux danseuses et aux danseurs de se frotter à la chorégraphie et sollicité Silvère Jarrosson pour imaginer une scénographie commune aux quinze pièces présentées. Une soirée inégale mais qui offre quelques belles découvertes et de réels talents de chorégraphes, impliquant toute la compagnie.
Dans le climat de frustration perpétuelle et d’incertitudes sur les lendemains, comme l’était la saison dernière avec de trop nombreuses créations annulées ou décalées, Bruno Bouché a décidé de lancer un appel à la compagnie pour travailler sur ce nouveau programme. Schubert donc ! Compositeur génial, prolixe en dépit d’une trop courte vie et un répertoire si vaste qu’il y a de quoi y puiser des trésors pour tout chorégraphe. Les réponses furent au-delà des espérances. 16 danseuses et danseurs ont souhaité se lancer dans cette aventure… soit la moitié de la compagnie !
Bruno Bouché n’a pas voulu choisir et écarter des projets : « On est dans l’invitation, dans la confrontation de leur désir d’être chorégraphe malgré les contraintes », écrit le directeur du Ballet du Rhin dans le splendide programme (distribué gratuitement, à noter) et qui revient sur la genèse du projet et les intentions de ces jeunes chorégraphes. Décision généreuse….mais cruelle ! Il y a dans cette trop longue soirée quelques pépites et des écritures chorégraphiques personnelles, mais aussi trop de pièces sous influence et de langages génériques qui nuisent à la construction du spectacle et affaiblissent le propos. On comprend qu’il était compliqué d’écarter des propositions dans un contexte contraint par la pandémie. Mais Danser Schubert au XXIe siècle aurait gagné en force en réduisant sa voilure.
Pour autant, il n’y a jamais d’ennui et on attend avec curiosité chaque nouvelle proposition. La scénographie imaginée par Silvère Jarrosson, ancien élève de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris contraint d’abandonner sa carrière sur blessure, offre une cohérence bienvenue. Les panneaux mobiles se déplacent et s’ordonnent sur scène au gré des chorégraphies. Ses larges toiles dessinent un univers onirique mouvant dont certains chorégraphes s’emparent avec bonheur. C’est le pianiste de la compagnie, Bruno Anguera Garcia, qui les guida pour choisir la musique. Et c’est un plaisir immense d’entendre ces partitions interprétées en direct lorsqu’il s’agit d’œuvres pour le piano ou de lieder de ce compositeur au génie multiple. C’est aussi une soirée qui convoque quasiment toute la compagnie : les danseuses et danseurs deviennent chorégraphes puis retrouvent leur rôle pour la pièce suivante. De ce mouvement de va-et-vient surgit une énergie joyeuse et communicative.
On repère ainsi quelques interprètes exceptionnels. Comme Ryo Schimizu qui ouvre les festivités – et les referme – et qui prête sa danse impeccable à l’imagination de Marwick Schmitt pour Adam. Le danseur japonais que l’on a applaudi dans Le Lac des Cygnes de Radhouane El Meddeb et Les Beaux Dormants d’Hélène Blackburn se plie à ce rôle d’histrion ou de gnome : précis, acéré, fluide, il campe cet être mi-homme, mi animal imaginé par le chorégraphe qui place la soirée dans une tonalité ténébreuse et surnaturelle. Monica Barbotte et Olivier Oguma illuminent aussi la soirée dans un duo intense. Partenaires sur scène et à la ville, ils ont conçu le duo énigmatique Shall We ?, construit sur un rai de lumière infime qui ne cesse de s’élargir. La chorégraphie, qui fait appel à de multiples vocabulaires, est un des moments les plus réussis du programme : une écriture élaborée, un propos, un récit suscité servi par deux superbes artistes sur le sublime Trio en Mi bémol majeur, un des hits du répertoire de Schubert.
Pierre Emile Lemieux-Venne est l’autre excellente surprise. Le canadien a choisi un autre tube du compositeur autrichien, La Jeune Fille et la Mort, pour un quintette composé de quatre danseurs – dont lui-même – et une danseuse. Là aussi, le vocabulaire est riche, varié, inventif et sa pièce qu’il a nommée Le Temps d’une bise laisse imaginer une de ses fameuses Schubertiades, ces rendez-vous où le compositeur jouait devant et avec ses amis. De l’humour et de la fantaisie, de la gravité parfois, Pierre-Émile Lemieux-Venne offre un des sommets de cette soirée riche, trop riche mais qui donne du grain à moudre à une compagnie jeune et truffée de talents.
Danser Schubert au XXIe siècle par le Ballet du Rhin au Théâtre municipal de Colmar. Chorégraphies de Monica Barbotte & Oliver Oguma, Susie Buisson, Christina Cecchini, Noemi Coin, Pierre Doncq, Brett Fukuda, Cauê Frias, Mikhael Kinley-Safronoff, Pierre-Émile Lemieux-Venne, Jesse Lyon, Jean-Philippe Rivière, Marwik Schmitt, Alain Trividic, Julia Weiss et Dongting Xing . Scénographie : Silvère Jarrosson ; Mezzo-soprano : Liying Yang ; Baryton : Damien Gastl ; Pianos : Bruno Anguera Garcia et Karolina Halbig – Jeudi 21 octobre 2021.