Les élèves du département chorégraphique du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris se sont lancés à corps perdu dans l’oeuvre de l’immense chorégraphe américaine Trisha Brown, égérie de la danse post-moderne, disparue en 2017. Trisha Brown X 100 est un savant montage de différentes pièces, interprétées par l’ensemble des classes de danse du CNSMDP, donnant une dimension prolifique bienvenue. Avec le soutien des instrumentistes du Conservatoire, ils livrent un spectacle de facture professionnelle et se jouent des écueils des chorégraphies complexes de Trisha Brown. Le directeur des études chorégraphiques du Conservatoire Cédric Andrieux réitère ainsi la formule inaugurée lors du centenaire de Merce Cunningham en réunissant toutes les forces vives de l’école pour un spectacle jubilatoire.

Trisha Brown X 100 – CNSMDP

Il y avait deux bonnes raisons de se ruer à la Villette pour le spectacle Trisha Brown X 100. D’abord les connaisseur.se.s savent l’excellence de l’enseignement du Conservatoire. Les danseurs et danseuses qui en sortent sont courtisés par de nombreuses compagnies, l’on a ainsi pu voir récemment le talent prometteur d’anciens élèves qui ont rejoint  le Ballet du Rhin. Et puis Trisha Brown ! Il y a deux ans, la grande tournée anniversaire des 50 ans de la Trisha Brown Dance Company, qui devait la mener à travers l’Europe, a dû s’interrompre brutalement en mars 2020 lorsque les théâtres du monde ont baissé le rideau. J’avais eu la chance de voir l’ultime représentation de la tournée qui débutait au Théâtre de Nîmes. Et il y a aujourd’hui trop peu d’occasions de revoir l’oeuvre de Trisha Brown pour ne pas profiter de ce moment rare et trop court.

C’est pourtant un challenge. Si tout paraît simple et fluide dans les pièces de Trisha Brown, son vocabulaire est complexe et d’une précision minutieuse. Il requiert des danseuses et danseurs la mise en oeuvre de la totalité du corps sollicité d’un coup dans une totale décontraction. Les bras y ont un rôle central, servant de balancier et de boussole pour le reste du corps, les hanches totalement relâchées. C’est encore l’expérimentation de la chute et plus encore de la marche, qui n’est autre que le premier mouvement de danse.

Trisha Brown X 100 – CNSMDP

Et c’est de cette manière que débute Trisha Brown X 100. Les élèves se font fronts de chaque côté de la scène dans un alignement pléthorique qui offre une magnifique profondeur de champ. Commence une longue série de pas en avant et en arrière : un, puis deux, puis trois. Il y a là déjà tout le style de Trisha Brown. La seconde séquence voit les danseuses et les danseurs armés de baguettes, tel un mikado géant qui finit par s’aligner bout à bout dans une improbable et complexe forme géométrique. Cette première partie sans musique est sans aucun doute la plus complexe. Car paradoxalement, il faut être doté d’une forte musicalité intérieure pour danser en silence et savoir écouter les autres en permanence. Il y a bien ici ou là un geste gauche, mal maîtrisé, mais loin de nuire à l’ensemble, il rend le spectacle infiniment vivant.

On croise aussi dans ce pot-pourri les fameuses fanfares imaginées par Trisha Brown qui jouent de loin hors de la salle et qui bougent sans arrêt dans les artères collatérales, modifiant l’ampleur du son. Cette seconde partie est tout aussi réussie. On y rencontre alors les arabesques de Brown qu’elle a empruntées à Merce Cunningham, les petits sauts en série. Tout l’univers de Trisha Brown nous est offert dans ce spectacle trop court qu’on aurait volontiers prolongé et qui nous dit l’excellence de l’enseignement de la danse au Conservatoire de Paris.

Trisha Brown X 100 – CNSMDP

Trisha Brown X 100 remonté par Kathleen Fisher et Dai Jian à la Grande Halle de La Villette. Avec 100 élèves CNSMDP. Avec l’aimable collaboration de la Trisha Brown Dance Company, sur une idée de Cédric Andrieux, directeur des études chorégraphiques – Musique: Département jazz du Conservatoire sous la direction Riccardo Delfra – Vendredi 3 décembre 2021.