Ballet du Rhin – Alice d’Amir Hosseinpour et Jonathan Lunn
Monter sur scène une nouvelle adaptation de Alice au Pays des merveilles, par le Ballet du Rhin toujours bouillonnant, et sur une nouvelle partition du génial Philippe Glass, il y a de quoi créer l’événement ! Cette nouvelle création le réussit en partie. Par sa théâtralité diablement efficace tout d’abord, à la fois moderne et multipliant les clins d’œil à l’imaginaire de ce conte. Par sa scénographie ensuite, qui nous fait tout droit plonger dans le terrier, un monde fantasmagorique rempli de trouvailles. Cette Alice d’Amir Hosseinpour et Jonathan Lunn est à bien des égards une petite merveille. Mais la danse en elle-même, bien pauvre et trop illustrative, empêche d’emporter complètement l’adhésion, malgré une troupe au grand complet et très engagée théâtralement.
Il y a mille et une façons d’aborder Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll : le conte pour enfants, son univers surréaliste, ses aspects terrifiants aussi (Alice est-il un rêve ou un cauchemar ?), son regard psychanalytique. C’est ce qui rend chacune de ses adaptations surprenantes. Alice d’Amir Hosseinpour et Jonathan Lunn, surtout connus pour leur mise en scène d’opéra, ont pris le parti du monde fantasmé et peut-être un peu regretté. « C’est peut-être cette préoccupation pour l’imaginaire et le monde des rêves à laquelle les enfants se rattachent et que les adultes ont quelque peu délaissé, qui est la clé de compréhension« , explique ainsi le duo. Et la possibilité de créer sur scène un autre monde, rempli de surprises et de personnages fantasmés.
Loin de tomber dans une relecture de Walt Disney, qui est peut-être le piège de ce genre de reprises tant le dessin animé est ancré dans nos mémoires, le duo sait créer son propre univers. Notamment en inscrivant leur Alice dans notre réalité. Sur scène, Alice a 80 ans et quelques. La petite fille qui a inspiré Lewis Carroll il y a des années, c’est elle. Devant son poste de télévision, ses souvenirs refont surface. Et son monde se met à tanguer : son piano semble prendre vie, le lapin blanc fait son entrée et tout part dans une autre réalité. Sur scène, la délicieuse comédienne Sunnyi Melles mène la danse, à la fois Alice et Lewis Carroll, reprenant des extraits du livre qui ponctuent tout le spectacle.
Sommes-nous au théâtre ou dans une comédie musicale ? En tout cas dans un univers onirique, celui des contes pour enfants – avec ce qu’il faut aussi de frousse et de mystère, on n’est pas chez les bisounours – que d’un univers fantasmagorique dans lequel replongent les adultes. Absolument tout dans cette magnifique production nous emmène loin. Il y a d’abord la merveilleuse musique de Philippe Glass, répartie en 16 saynètes (ce qui donne aussi cette impression de musical). Une partition qui donne tout le mystère, qui semble stable et attendue dans sa répétition avant de déraper et de partir dans une direction où on ne l’attend pas. Le compositeur avait déjà travaillé avec le duo Amir Hosseinpour et Jonathan Lunn, l’on sent leur complicité dans le travail. Il y a ensuite la superbe scénographie, mêlant astucieusement décors et vidéo. Le mélange des genres, là encore, n’est pas facile. Elle est ici savoureuse, participant pleinement à la création d’un monde original, mettant en scène de nouvelles créatures et ambiances aussi étranges que poétiques. L’un des premiers tableaux, semblant se dérouler sous l’eau, est une petite pépite à elle seule.
Et puis il y a toute cette foule de personnages, ceux que l’on semble si bien connaître mais qui arrivent à nous surprendre. Il ne faut pas y chercher une narration, une reprise du livre. Il s’agit plutôt d’une évocation. Alors on s’y perd parfois. Ainsi Alice est jouée par six artistes, de la comédienne Sunnyi Melles à une petite fille en passant par une danseuse sur pointes en mode drag queen, sans que l’on en saisisse forcément le sens. Mais qu’importe. De multiples portes s’ouvrent sur un univers fascinant, aux nombreuses passerelles entre l’époque victorienne et la nôtre, à la fois magnifique et follement inquiétant. L’on y trouve une scène de salle de classe semblant tout droit sortie de Harry Potter, une partie de foot remplaçant le cricket, un tea-time en pleine forêt. Des trouvailles, des idées, toujours cohérentes soigneusement liées entre scénographie, décors, costumes, mise en scène et vidéo qui ont toujours travaillé main dans la main. Notre coup de cœur ? La Reine de cœur bien sûr, à l’allure et au sac à main d’Elizabeth II, avant de se transformer en meneuse de revue.
Alors pourquoi ces réserves exprimées au début de cette chronique ? Parce que la danse en soi n’est pas à la hauteur de cette production. Le Ballet du Rhin est pourtant beaucoup sollicité, aussi bien par des tableaux d’ensemble que par les qualités théâtrales demandées à de nombreux interprètes. Mais la chorégraphie reste très illustrative, n’utilisant que trop peu les qualités techniques des danseurs et danseuses, restant sans saveur et sans véritable définition. Elle se contente d’ailleurs trop souvent de n’être qu’une mise en scène un peu poussée. Amir Hosseinpour et Jonathan Lunn, le duo à la tête de Alice, s’est d’ailleurs plus illustré dans la mise en scène d’opéra que dans la danse proprement dite. Ce qui rend l’ensemble terriblement frustrant. Car pourquoi demander une création à Philippe Glass (ce qui n’est quand même pas rien), monter une production aussi incroyable, pour finalement délaisser ce qui devrait être la recherche principale : la danse ? D’autant qu’avec une chorégraphie véritablement inventive, et sachant se servir pleinement des qualités des artistes du Ballet du Rhin, l’on avait là une Alice potentiellement géniale.
Alice d’Amir Hosseinpour et Jonathan Lunn (chorégraphie et dramaturgie), de Philip Glass (musique), d’Anne Marie Legenstein (scénographie et costumes) et David Haneke (vidéo design et animation des peintures) par le Ballet du Rhin. Avec Sunnyi Melles (Alice/Lewis Carroll), Brett Fukuda (Alice #1), Ana Enriquez (Alice #2), Christina Cecchini (Alice #3), Clémence Wild (Petite Alice), Cedric Rupp (Lewis Carroll), le Lapin Blanc (Rubén Julliard), le Chat du Cheshire (Jesse Lyon), Audrey Becket (le Chapelier fou/Dragqueen Alice), Marin Delavaud (le Loir), Pierre-Émile Lemieux-Venne (le Lièvre de Mars), Dongting Xing (la Reine), Olivier Oguma (le Prince), Deia Cabalé (la Duchesse) et Pierre Doncq (le Cuisinier). Vendredi 18 février 2022 à l’Opéra de Strasbourg.
JP
Bonjour
Pas du tout d’accord avec vous.
Beaucoup apprécié ce spectacle magique à bien des égards qui combine magnifiquement effets visuels incroyables et danse de grande qualité.
Pour info j’ai fait un peu de danse moi-même et je trouve la maitrise technique du Ballet du Rhin tout à fait remarquable. J’ai adoré aussi leur expressions faciales comme des acteurs ce qui est rare chez les danseurs professionnels. J’ai également vu des mouvements très créatifs notamment dans des portés à couper le souffle. Bravo bravo aux chorégraphes, daneseurs, accessoiristes et responsables des effets spéciaux ainsi qu’à Sunniy Melles qui s’est mise ‘en danger’ en s’intégrant dans un rôle peu conventionnel pour elle ! Superbe !