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[Festival de Marseille 2022] Aina Alegre, Marlene Monteiro Freitas et Compagnie l’Autre Maison

Deuxième escale à l’édition 2022 du festival de Marseille foisonnante et riche de propositions qui chamboulent et questionnent. L’occasion de découvrir R-A-U-X-A, l’intense solo de la danseuse et chorégraphe Aina Alegre que nous avions manqué lors de l’édition 2021 de June Events. Séance aussi de rattrapage pour Mal – Embriaguez Divina, la pièce de Marlene Monteiro Freitas à l’expressionnisme débridé qui bouleverse tout sur son passage présentée au dernier festival d’Automne. Pour terminer, Parade, la création de la compagnie L’Autre Maison installée à Marseille, qui délivre son message festif d’une communauté dansante associant les différences.

R-A-U-X-A de Aina Alegre

Avec son exigence très singulière, Aina Alegre propose R-A-U-X-A un solo à l’épure très sophistiquée. Le jeu avec la lumière donne un relief singulier à ce travail autour du mouvement très martelé par moments, plus doux à d’autres. Au fil de la pièce, les lumières de Jan Fedinger lui offrent un écrin plein de contrastes : tantôt dans une lumière crue, tantôt dans une pénombre à l’orangé semblable à une tempête de sable. Dans ce paysage mouvant où la proposition sonore contribue aussi à donner une ambiance polymorphe, la danseuse aux belles lignes se livre à une impressionnante dissection de la mobilité. Pas de minute de répit dans ce qui s’apparente à une infatigable exploration du rythme.

Régulièrement, elle s’applique à dessiner des spirales qui n’en finissent pas de tourner, produisant un effet hypnotique à la fois fascinant et euphorisant. Dans ce pentagone tracé au sol conçu par James Brandily qui devient son terrain de jeu dont elle s’extirpe peu, Aina Alegre frappe le sol, repousse le vide avec ses bras tandis que la musique semble se mettre à l’unisson de ses battements de cœur. Au bout du compte, ce n’est plus une femme qui se fait entendre dans la force par des frappements au sol, c’est une danseuse « extra-terrestre » qui semble à l’issue de la pièce avoir délaissé son corps pour accéder à une dimension cosmique.

Mal, embriaguez divina de Marlene Monteiro Freitas

Marlene Monteiro Freitas est une artiste qui a plus que sa place dans une programmation aussi luxuriante que celle du festival de Marseille. Sa dernière pièce Mal, embriaguez divina, qui a déjà beaucoup tourné, peut être assimilée à une tornade chorégraphique et dramatique. Quelle surprise aussi de la découvrir sur scène tant elle envoie du lourd ! Aucun.e interprète de la distribution n’est d’ailleurs en reste. Cette pièce d’une 1h55 ne supporte pas la demi-mesure. Chacun à sa manière est impressionnant dans la place qu’il ou elle occupe dans ce pamphlet chorégraphique sur l’ivresse du pouvoir (entre autres) ébouriffant et hyper original.

La chorégraphe cap-verdienne mise sur l’excès. Elle s’en délecte dans chaque grimace, outrance ou geste exagérément souligné. Tout doit finir sans dessus dessous dans ce simulacre de parlement ou de tribunal, où l’être humain n’est que la victime d’un système absurde qui le dépasse et l’engloutit. Rien n’est laissé au hasard dans cette mise en scène qui tourne au foutraque, où chaque interprète cherche à pousser toujours plus loin l’exaltation. Et, malgré quelques baisses de régime, rien n’est gratuit, tout prend sens au fur et à mesure que se déploie cette gigantesque mascarade. C’est parfois too much mais jamais à côté de la plaque, extrêmement imaginatif et délirant. Restent des moments qui marquent la rétine durablement comme cette réinterprétation du Lac des Cygnes dans laquelle les neuf artistes prennent leur envol avec une bizarrerie irrésistible. La signature d’une grande chorégraphe.

Parade d’Andrew Graham

Mais qui sont ces dix-huit performeurs qui s’emparent de la scène du KLAP-Maison pour la danse en cet après-midi de juin ? Des personnes d’horizons divers soudées par une envie de danser communicative et revigorante. De Parade, cette célébrissime œuvre collective pour les Ballets russes écrite par Cocteau, chorégraphié par Léonide Massine et scénographié par Picasso, sur une musique de Satie, le chorégraphe Andrew Graham a choisi de conserver l’aspect festif et démonstratif.  Mais aussi avant-gardiste. Un défilé ouvert à tous les modes d’expression. Dans un étonnant bouillonnement d’énergies, d’états de corps et de sensibilités, se côtoient des hommes, des femmes, des enfants, des amateurs et des professionnels, dits « valides » et en situation de handicap.

Agrégeant leurs différences, cette compagnie atypique forme une chaîne humaine qui se déploie avec une vivacité joyeuse associée à un dispositif scénique ingénieux. « Étonne-moi« , avait demandé Diaghilev à Cocteau. Plus d’un siècle plus tard, ces dix-huit interprètes relèvent le défi en explorant avec beaucoup d’inventivité toutes les façons de faire corps sur scène. Toutes et tous étonnent, bouleversent, émeuvent par leur aplomb, leur écoute de l’autre, leur créativité. Cette parade n’a rien d’exhibitionniste. Avec pudeur, délicatesse mais aussi extravagance, elle met en valeur la force du collectif. « Amusez-vous« , a sans doute suggéré Andrew Graham à ses interprètes. Ils et elles semblent l’avoir écouté !

Parade d’Andrew Graham

 

R-A-U-X-A de et avec Aina Alegre. 

Mal, embriaguez divina de Marlene Monteiro Freitas avec Flora Détraz, Henri “Cookie” Lesguillier, Joãozinho da Costa, Kyle Scheurich, Mariana Tembe, Marlene Monteiro Freitas, Miguel Filipe, Tomas Moital.  La Criée, Théâtre national de Marseille. Mercredi 22 juin 2022. 

Parade d’Andrew Graham. Mise en scène : Andrew Graham, Béatrice Pedraza. Avec Elise Argaud, Noé Argaud, Breno Angelo, David Aubert, Agnès Cavin, Maëlle Cavin, Jean Codo, Alia Coisman, Mathilde Hannoun, Ramzya Katuf-Hasan, Inès Kerkeni, Muriel Mifsud, Petronille Poirot-Bourdain, Jérôme Poncet, Greta Sandon, Anne-Gaëlle Thiriot, Coralie Viudes. KLAP Maison pour la danse. Vendredi 24 juin 2022.

Le Festival de Marseille se poursuit encore quelques jours jusqu’au 9 juillet 2022.

 



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