[Festival d’Avignon 2022] Le Sacrifice – Dada Masilo
Après deux annulations en raison du Covid, la question se posait de savoir si la chorégraphe sud-africaine Dada Masilo viendrait présenter sa relecture du Sacre du printemps au Festival d’Avignon. C’est chose faite ! Le Sacrifice a enfin pu se déployer dans la cour du lycée Saint-Joseph. Pour cette pièce dans laquelle elle a choisi de se confronter comme moult chorégraphes avant elle au chef-d’œuvre d’Igor Stravinsky, Dada Masilo revient à ses origines africaines et puise dans la gestuelle élégante et précise de la danse tswana comme elle l’expliquait à DALP avant ses premières dates françaises. « Pour demander quelque chose aux ancêtres, vous devez être capable de donner quelque chose en retour« , souligne la chorégraphe rappelant la force symbolique du sacrifice sur le continent africain. Si ce Sacrifice est peut-être un peu en deçà de ses précédentes pièces, la chorégraphe emporte encore la mise et sait nous saisir avec une mise en scène sobre mais d’une grande beauté plastique.
En s’emparant du Sacre du printemps qui continue de fasciner les chorégraphes plus d’un siècle après sa création, Dada Masilo reste fidèle à ce qui la fait connaître : la relecture des classiques du répertoire. Après Giselle, Le Lac des cygnes ou Carmen, elle s’attaque à un chef-d’œuvre qui ne pouvait que faire écho à sa culture africaine et à la place occupée par le rituel sacrificiel. Et comme à chaque fois qu’un.e chorégraphe s’attaque à ce Goliath patrimonial, l’attente est forte. Peut-être trop…
Sur le plateau habité uniquement en fond de scène de quelques projections vidéo de ramifications d’un arbre, la chorégraphe apparaît d’abord seule, buste nu, pour un solo liminaire qui condense toute la poésie de son travail. Dada Masilo, danseuse tanagra au crâne rasé, déploie durant quelques minutes une danse fluide, très ancrée dans le sol, avec des bras qui décrivent dans l’air des mouvements frénétiques. Pas de doute possible : voici l’Élue, celle promise au sacrifice que rien, ni personne, ne pourra sauver. Elle est rejointe par neuf autres danseuses et danseurs. Les danses de groupe se succèdent. On peut y lire cette fusion entre les danses traditionnelles, notamment celles du Botswana et le propre langage chorégraphique de la Sud-Africaine passée par l’école P.A.R.T.S. de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker.
Dada Masilo est l’Élue mais elle est surtout, comme à son habitude, celle qui fédère ses partenaires autour d’elle. Elle mène la danse de bout en bout, incroyable d’énergie et de force vitale. Cette capacité à entraîner le groupe était déjà perceptible dans ses précédentes pièces. Elle est encore bien présente et son sacrifice n’en est que plus douloureusement beau. Ces bras implorants le ciel, ces bustes tendus vers celle qui se meurt sont à la hauteur de cette relecture qui convoque immanquablement – pas forcément à son avantage – d’autres propositions du dit Sacre du printemps.
Malgré d’incontestables qualités, l’ensemble peine à convaincre totalement. Il manque à ce Sacrifice le climax qui lui donnerait un relief autre. En voulant se détacher de la partition de Stravinsky, Dada Masilo a sans doute affadi son propos. Ou peut-être est-ce la chorégraphie qui, au bout d’un moment, semble se répéter. Une sensation de déjà vu sourd derrière ces martèlements au sol, ces ondulations ou ces frappes de mains. La violence et l’âpreté présentes dans ses précédentes pièces manquent étrangement à ce Sacrifice.
La collaboration avec les musiciens produit pourtant quelque chose de très habité, notamment grâce à la présence du violoniste Leroy Mapholo et de Ann Masina, chanteuse lyrique sud-africaine, déjà appréciée chez Robyn Orlin. Sa rencontre avec la chorégraphe – deux femmes, deux puissances – constitue l’une des réussites de la pièce. La chorégraphe aurait peut-être dû pousser plus loin cette confrontation, qui rappelle le jeu en miroir du Orphée et Eurydice de Pina Bausch. Une autre histoire de sacrifice.
Le sacrifice de et avec Dada Masilo, dans le cadre du Festival d’Avignon. Avec Sinazo Bokolo, Lwando Dutyulwa, Thuso Lobeko, Songezo Mcilizeli, Thandiwe Mqokeli, Refiloe Mogoje, Steven Mokone, Lebo Seodigeng, Tshepo Zasekhaya. Et les musiciens : Tlale Makhene, Leroy Mapholo, Ann Masina, Nathi Shongwe. Mardi 19 juillet 2022 dans la cour du lycée Saint-Joseph, à voir jusqu’au 25 juillet au Festival d’Avignon.
À voir en tournée : le 5 octobre au théâtre des Salins de Martigues (13), du 15 au 17 novembre à Bonlieu, Scène nationale d’Annecy (74), du 7 au 10 décembre à La Villette à Paris.