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The Collection d’Alessandro Sciarroni – Ballet de l’Opéra de Lyon

Le Schuhplattler, vous connaissez ? C’est par cette danse traditionnelle, encore pratiquée au Tyrol et en Bavière, que le Ballet de l’Opéra de Lyon a démarré sa saison. The Collection d’Alessandro Sciarroni a vu le jour en février 2021 en pleine saison morte, donc sous forme vidéo. La pièce a enfin fait sa rencontre avec le public et prend ainsi toute sa dimension, tant le rapport entre artistes en scènes et personnes dans la salle y est puissant. Mais pas question ici d’une performance vide de sens seulement tenu par le plaisir sadique de voir des danseurs et danseuses souffrir en scène. Au contraire, The Collection offre de multiples variations, de subtilités, une certaine forme hypotonique et vaste terrain de jeu pour les dix interprètes.

The Collection d’Alessandro Sciarroni – Ballet de l’Opéra de Lyon

Le plateau est nu et sans coulisse, la lumière banalement blanche. Sur scène, les interprètes prennent place en cercle, dans des tenues passe-partouts de danse contemporaine, si ce n’est quelques t-shirts rappelant vaguement les costumes traditionnels Une danseuse s’avance, expliquant ce qui va se jouer devant le public ce soir. Et de préciser : « Cette danse continuera tant qu’il y aura quelqu’un dans la salle pour la regarder, ou quelqu’un pour la danser en scène« . Le ton est dit : si l’on a envie de partir, la porte est ouverte. Et c’est peut-être un soulagement quand démarre la pièce. Les dix danseurs et danseuses du Ballet de l’Opéra et Lyon, en cercle, entament une phrase chorégraphique d’une minute. Il s’agit du Schuhplattler, une danse folklorique encore vivante en Bavière et dans le Tyrol. Des sauts rapides marqués les frappes vives des mains sur le corps, un moment de respiration par le sol, quelques frappes de plus, plusieurs pas en se toisant son voisin, la main repliée.

Ce travail autour du Schuhplattler, Alessandro Sciarroni l’avait déjà monté pour sa pièce FOLK-S will you still love me tomorrow en 2012. Il s’agissait de vraiment découvrir cette danse folklorique, de s’y replonger de l’apprendre auprès de ceux qui la dansent encore en Allemagne. De s’interroger aussi sur comment une danse vit, meurt et revit. Et comment se mettre à l’apprécier et à l’aimer, à la transcender. Le travail avec le Ballet de l’Opéra de Lyon n’a pas été tout à fait le même, puisqu’il n’y avait plus cette phase de découverte, mais plutôt d’apprentissage. La structure se retrouve néanmoins, avec sa part de hasard et de changements au fil des représentations. Sans musique, seul le bruit des frappes des mains sur les corps rythme cette phrase chorégraphique – et demandant par là une incroyable concentration des artistes, qui doivent rester ensemble pour éviter la cacophonie des bruits des claques qui ne seraient pas synchros. Une phrase chorégraphique d’une minute. Qui se répète une fois, deux fois, trois fois…

The Collection d’Alessandro Sciarroni – Ballet de l’Opéra de Lyon

Hum, serions-nous tombés dans une performance où le-la chorégraphe semble surtout prendre un malin plaisir à faire souffrir ses interprètes comme le public ? La crainte d’y être effectivement tient une dizaine de minutes, avant de se laisser emporter par une certaine fascination. Il ne s’agit pas ici de répéter les choses ad nauseam. Mais de les faire vivre, au travers de multiples et infimes variations, d’y voir ce qui se joue dans le groupe. Et d’y prendre du plaisir. Le chorégraphe Alessandro Sciarroni n’est de toute façon ni dans une veine doloriste, ni vaine.  « Je n’aime pas voir des personnes souffrir sur scène, j’aime créer de l’empathie entre les performeur-euse-s et l’audience« , explique-t-il.

Et c’est exactement ce qui se crée en scène. Il ne s’agit pas ici de voir se répéter une phrase, mais d’assister à la synergie d’un groupe, ses variations, ses moments de désordre comme de grandes ententes. Petit à petit, la répétition du geste comme le bruit des frappes des mains sur les corps crée une sorte de fascination, de rythme propre. Et la mécanique bien huilée se joue du hasard. Là, un danseur part dans une autre direction, là une autre se dissocie du groupe, là un geste du bras part un peu différemment. Parfois, un interprète sort du groupe pour se diriger vers une sono. Sort alors une musique planante, un morceau de folk ou de la techno sorti tout droit des années 2000. Et les artistes de se regarder, de prendre cette énergie différente et de se ressaisir leur phrase chorégraphique sur cette nouvelle musique.

The Collection d’Alessandro Sciarroni – Ballet de l’Opéra de Lyon

The Collection est aussi une histoire de vagues. Celle des corps, celles des sons. Celles aussi du groupe qui se sépare sans presque sans apercevoir – de remarquer ainsi qu’un danseur est parti de scène sans que l’on s’en aperçoive. Dans le public, au bout de 45 minutes (la pièce dure 1h20), les premiers battements de chaise se font entendre. Puisqu’on en a l’autorisation, ils ne se font pas discrets. Mais ils ne sont pas gênants et font justement partie de l’expérience – et pour tout dire, ils ne sont pas si nombreux. Ils ne cassent en rien la dynamique de groupe, fascinant à observer. Au début, le groupe est soudé, très concentré sur sa coordination. Au fur et à mesure que les artistes quittent le plateau, les échanges se font plus personnels. Ici un regard d’encouragement, là un sourire de défi face à la musique choisie. La tenue n’est pas toujours la même, la fatigue se fait aussi sentir, comme un certain amour de la performance. Ainsi, après une petite pause au milieu du spectacle, l’ensemble semble avoir du mal à reprendre : l’énergie se fait lourde, les frappes moins coordonnées et à la limite de la dissonance. La vague pourrait tout emporter d’un instant à l’autre. Puis l’une quitte le plateau, un autre aussi, un troisième choisit une musique. Ils ne sont plus que trois ou quatre en scène, repartant d’une nouvelle énergie, galvanisée de se retrouver ensemble.

Et c’est finalement dans une sorte d’exultation que se termine The Collection. Celles des danseurs et danseuses ivres de leurs mouvements et du plaisir de danser ensemble, celle du public emporté par cette énergie hypnotique. Cette performance, si étrange au début, se révèle au final pleine de surprise, de petites joies et d’étourdissements. Une belle découverte pour lancer la saison.

The Collection d’Alessandro Sciarroni – Ballet de l’Opéra de Lyon

The Collection d’Alessandro Sciarroni par Ballet de l’Opéra de Lyon à l’Opéra de Lyon. Vendredi 9 septembre 2022. À voir jusqu’au 13 septembre, puis du 28 au 30 septembre au 104 – Paris.  





 

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