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Ballet de l’Opéra National d’Ukraine – Giselle

Le Ballet de l’Opéra National d’Ukraine a posé ses valises au Théâtre des Champs-Élysées dans le cadre de la saison TranscenDanses. C’est la première fois depuis le début de l’invasion russe que la compagnie basée à Kiev parvient à quitter le pays en guerre pour se produire hors des frontières de l’Ukraine. En dépit des conditions compliquées de répétition et des difficultés pratiques du voyage jusqu’à Paris, le Ballet de l’Opéra National d’Ukraine a offert une Giselle de très belle facture, conduite par le trio de solistes Natalia Matsak (Giselle), Sergii Kryvokon (Albrecht) et Irina Borysova (Myrtha), soutenus par un excellent corps de ballet, notamment sa composante féminine. Succès et émotions pour une série de représentations qui veulent montrer l’importance et la nécessité de la culture dans le contexte de la guerre.

Giselle – Ballet de l’Opéra National d’Ukraine – Natalia Matsak et Sergii Kryvokon

TranscenDanses avait initialement programmé le Ballet de l’Opéra National d’Ukraine avec Casse-Noisette pour les Fêtes de fin d’année au Théâtre des Champs-Élysées. Et on se réjouissait de voir un ballet absent des scènes parisiennes depuis de nombreuses années. Las ! Danser sur la musique de Tchaïkovski n’a pas semblé approprié à la direction de la compagnie. On lui avait substitué La Reine des Neiges mais pour des raisons techniques et artistiques, on lui aura finalement préféré Giselle pour la tournée parisienne. C’est évidemment prendre un risque de danser à Paris l’archétype du ballet romantique de Jules Perrot et Jean Coralli remis en scène par Marius Petipa. « Je me demandais comment allait réagir le public français« , explique la soliste Étoile Kataryna Alaieva qui alterne dans le rôle de Giselle avec Natalia Matsak, que DALP a vu en scène. Aux cotés de son partenaire Oleksii Potomkin, elle raconte le voyage épique qui a mené la compagnie de Kiev à Paris : le départ en bus de Kiev, le pare-brise qui se fend amenant la police des frontières polonaises à refuser l’entrée en Pologne, la nécessité de trouver un autre poste-frontière, puis une crevaison pour finalement rater l’avion de Varsovie et être obligé en catastrophe d’attraper un vol de Cracovie. Près de deux jours de voyage pour finalement rejoindre Paris épuisés, quelques heures avant la première.

Oleksii Potomkin a eu la chance d’échapper à ce voyage dantesque. Depuis plusieurs semaines, il dansait au Ballet de Slovaquie à Bratislava. Kataryna Alaieva a également pensé quitter Kiev mais elle a finalement décidé de rester. L’un et l’autre racontent les premiers jours quand Kiev était bombardé par l’armée russe : la vie dans les abris, les tentatives de joindre les proches pour se rassurer. Durant plusieurs semaines, leur avenir même en tant que danseurs semblait périlleux. Mais en mai, alors que la guerre était cantonnée au Donbass dans l’Est du pays, la compagnie a repris le chemin des studios. Du moins ce qu’il en reste : plus de la moitié des danseuses et danseurs ne sont pas revenues. Certains sont au front, d’autres ont préféré se réfugier à l’étranger. Celles et ceux qui sont restés à Kiev ont repris la barre quotidienne, les exercices pour retrouver une forme physique altérée par l’absence d’entraînements, la fatigue et le stress de nuits dans les abris.

Et le public ukrainien a immédiatement répondu présent. La jauge est limitée à 450 personnes à l’Opéra de Kiev car en cas d’alerte, il faut pouvoir accueillir tout le monde dans l’abri du théâtre. « Nous avons de l’électricité, de l’eau, c’est un peu notre poche de résistance« , plaisante Kataryna Alaieva avant le dernier filage de cette Giselle parisienne. Elle n’a en effet jamais dansé avec Oleksii Potomkin. « C’est un défi mais c’est aussi la force de ce ballet de pouvoir le danser avec d’autres partenaires« , réplique-t-il. Ni l’un ni l’autre ne se seraient opposés à danser Casse-Noisette. « Je comprends qu’en cette période, ce soit compliqué et que l’on privilégie la culture ukrainienne« , précise Oleksii Potomkin. « Mais Tchaïkovski n’est pas simplement un compositeur russe. Il appartient aujourd’hui à la culture mondiale« . Il paraît en effet impossible pour une compagnie classique de se priver des chefs-d’oeuvre que sont Casse-Noisette, La Belle au Bois dormant et Le Lac des Cygnes. Nul doute que la compagnie reviendra un jour avec un de ces tubes du répertoire académique qui font aussi partie de leur propre patrimoine.

Giselle – Ballet de l’Opéra National d’Ukraine – Natalia Matsak

À Paris, l’atmosphère était fébrile pour ce soir de première devant une salle comble. Vony Sarfati qui dirige la saison Transcendanses explique les conditions difficiles de production de ce spectacle. Mais peu après le lever de rideau, il y eut de quoi être rassuré. Natalia Matsak et Sergii Kryvokon, partenaires sur scène et dans la vie et duo de la première, sont précis et musicaux. Elle campe une Giselle moins fragile que dans la plupart des interprétations. Lui manque un peu de présence dans le rôle d’Albrecht mais la pantomime est splendide, lisible et le récit limpide. Le corps de ballet paraît aussi tout à fait affûté. Même constat pour les solistes du Pas des paysans : Kateryna Kurchenko et Tymofiy Bykovets ne tremblent pas que ce soit dans leur duo ou leurs variations.

Giselle est un ballet qui appartient aux danseuses, que ce soit les solistes ou le corps de ballet, elles sont le moteur du récit et créent la dynamique de la danse dans le deuxième acte, quintessence de l’acte blanc du répertoire romantique. Le second acte est aussi celui de la reine des Willis, Myrtha, rôle pivot et essentiel magnifiquement interprété par Irina Borysova. Autorité, belle technique, elle règne avec assurance sur les Willis. Là aussi, moment essentiel de ce ballet. N’attendez pas du Ballet de l’Opéra National d’Ukraine de délivrer la même sophistication du travail du bas de jambe que l’Opéra de Paris. C’est  une spécificité et un atout de l’école française. Mais le corps de ballet féminin produit des alignements splendides, des arabesques sans trembler et une danse parfaitement coordonnée.

Giselle – Ballet de l’Opéra National d’Ukraine

On peut parfois regretter une certaine rigidité dans les déplacements, Natalia Matsak pourrait offrir davantage d’ampleur dans les sauts mais ce sont là des détails qui n’obèrent pas les qualités de l’ensemble. Solistes et corps de ballet féminin construisent une narration qui éblouit avec une magnifique scénographie du deuxième acte dessinée par Tetiana Bruni, évoquant parfaitement cet univers éthéré du monde des Willis. Pas d’entrechats six pour Albrecht dans cette version de Giselle au profit de brisés moins spectaculaires mais bien exécutés par Sergii Kryvokon.

Le Ballet de l’Opéra National d’Ukraine a  reçu une ovation des grands jours avec un Théâtre des Champs Élysées, debout dès le tomber de rideau. Moins sans doute pour la performance artistique d’excellent niveau que pour leur seule présence à Paris et leur incroyable résilience. Comment ne pas être submergé par l’émotion lorsqu’on voit sur scène ces artistes qui, depuis dix mois, vivent dans un pays dévasté par la guerre, ignorant quand ils pourront reprendre le cours normal de leur carrière ? C’est une chance inouïe de les applaudir à Paris et on peut remercier les équipes de TranscenDanses comme du Théâtre d’avoir rendu possible ce petit miracle.

Giselle – Ballet de l’Opéra National d’Ukraine

Giselle de Marius Petipa, d’après Jules Perrot et Jean Coralli, par le Ballet de l’Opéra National d’Ukraine. Avec Natalia Matsak (Giselle), Sergii Kryvokon (Albrecht), Iryna Borysova (Myrtha), Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion), Kateryna Kurchenko et Timofiy Bykovets (Pas de deux des paysans). Orchestre Prométhée dirigé par Dmytro Morozov. Mercredi 21 décembre 2022 au au Théâtre des Champs-Élysées, dans le cadre de la saison TranscenDanses. À voir jusqu’au 5 janvier 2023.




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