Hofesh Shechter – LIGHT: Bach Dances à la Philharmonie de Paris
Hofesh Shechter présentait à la Philharmonie de Paris, dans le cadre de la saison du Théâtre de la Ville Hors-les-murs, LIGHT: Bach Dances. Une pièce à part dans l’oeuvre de la superstar de la danse contemporaine. Le chorégraphe israélo-britannique y délaisse les sons électroniques saturés au profit de cantates de Jean-Sébastien Bach, interprétées en direct par le Concerto Copenhagen sous la direction de Lars Ulrik Mortensen dans une mise en scène de John Fulljames. Ce projet ambitieux, centré sur le thème de la maladie et de la mort, pâtit de l’inadéquation de la Philharmonie pour la danse. Mais aussi d’une dramaturgie trop pauvre, réduisant le spectacle à une succession de séquences, qui peinent à construire un récit cohérent sur un thème difficile.
Hofesh Shechter est désormais un chorégraphe international, reconnu partout, menant sa compagnie autour du monde. Non content de produire chaque année de nouvelles pièces, il rassemble tous les deux ans un groupe de jeunes danseurs et danseuses à qui il propose de reprendre une de ses créations antérieures. Des milliers de candidatures affluent à chaque session. Le Théâtre des Abbesses reprenait ainsi début janvier Contemporary Dance 2.0. Hofesh Shechter est aussi très demandé par les grandes compagnies classiques : le Ballet de l’Opéra de Paris et le Staatsballett de Berlin ont récemment inscrit avec succès ses chorégraphies à leur répertoire. On pourrait aussi ajouter qu’il a chorégraphié Un Violon sur le toit à Broadway, une production qui continue à faire le tour des États-Unis. Ajoutons à cela le film de Cédric Klapisch En Corps qui a élargi son auditoire en France. Tout cela est très mérité. Hofesh Shechter a apporté un style novateur, mélangeant danse contemporaine et traditionnelle, construisant des ensembles hypnotiques survitaminés et irrésistibles. Son sens du groupe est exceptionnel et ses interprètes déploient une technique sans failles et une énergie communicative. Un spectacle d’Hofesh Shechter est une expérience inoubliable.
Voilà pourquoi, en ce jour de première, dès la sortie du métro Porte de Pantin, s’étirait un public recherchant places désespérément. Le site internet de la Philharmonie s’est engorgé quand une poignée de places fut remise en vente. Rares sont les chorégraphes contemporains qui peuvent remplir pour cinq représentations une salle de 2.400 personnes. Seule Pina Bausch aurait pu rivaliser dans cet appétit du public. C’est une excellente nouvelle. Non seulement parce qu’Hofesh Shechter est un artiste majeur de la scène chorégraphique mondiale mais aussi parce que cet engouement conduit le public vers d’autres spectacles, d’autres artistes moins connus.
L’affiche était excitante : Hofesh Shechter, Bach interprété et chanté en direct. Tout cela promettait un spectacle exceptionnel. Hélas ! L’ajout de talents n’est jamais un gage de réussite. Et rien ne fonctionne vraiment tout à fait dans LIGHT. Il y a tout d’abord la salle. La Philharmonie de Paris est aujourd’hui l’une des meilleures salles au monde pour les concerts symphoniques. Les orchestres qui s’y produisent louent ses qualités. C’est en revanche une scène désastreuse pour la danse. Les précédentes expériences ne furent pas bien fameuses. Le plateau prenant la place de l’arrière-scène augmente de manière inconsidérée les places du parterre. Du premier et du second balcon, les artistes se perdent dans un flou d’autant plus accentué par un choix de lumières très sombres, tamisées en permanence, laissant l’orchestre dans l’obscurité. Pire encore, la musique est sonorisée, ce qui est un comble pour une salle de concerts, mais ce qui était indispensable pour l’écoute. Et lorsque le premier violon interpréta un solo à l’avant-scène, on peina à l’entendre.
Il y avait pourtant un matériau de première qualité. Les cantates de Bach évidemment, chefs-d’oeuvre incontestables, auxquelles Hofesh Shechter a adjoint des témoignages recueillis dans des hôpitaux de Londres auprès de malades confrontés à la maladie et à l’idée quotidienne de la mort possible. Des extraits de ces interviews alternent ainsi avec la musique de Bach. Là aussi, la Philharmonie est un obstacle. Les sous-titres en allemand pour les cantates et en anglais pour les témoignages apparaissent 15 mètres au-dessus de la scène, obligeant à une gymnastique insoluble : les lire ou regarder ce qui se passe sur scène. Impossible de faire les deux simultanément. Il n’y a d’autre solution que d’abandonner la lecture pour se concentrer sur ce qui se dit sur scène.
Mais il ne s’y dit pas grand-chose. La mise en scène de John Fulljames, avec qui Hofesh Shechter avait monté Orphée et Eurydice au Royal Opera House, ne parvient pas à installer une dramaturgie pertinente. La scénographie, constituée d’une multitude de chaises côté jardin et de l’orchestre sur scène côté cour, fait un certain effet. On discerne aussi une estrade à l’arrière, tout cela plongé dans une obscurité dont on imagine qu’elle est une métaphore des ténèbres de la mort. Il faut se contenter de la succession des cantates avec les témoignages intervalles et la danse. C’est la partie la plus réussie du spectacle. Hofesh Shechter a concocté une série d’ensemble où l’on reconnaît immédiatement sa patte qui est déjà un style. Mais ce sont de simples pastilles qui ne permettent pas au chorégraphe d’instaurer une tension, une montée en puissance, un climax. Immédiatement, le spectacle retombe dans une forme de léthargie.
On aurait imaginé ce spectacle plus à l’aise au Théâtre du Châtelet et peut-être même, ses qualités auraient contrebalancé ses faiblesses. Mais la distance à la Philharmonie est irréparable. Y produire de la danse est une hérésie.Le Théâtre de la Ville, toujours en attente de sa grande salle qui devait rouvrir en septembre, n’avait à l’évidence pas d’autre alternative. C’est dommage. On brûle de retrouver Hofesh Shechter dans ses murs.
LIGHT-Bach dances de Hofesh Shechter et John Fulljames (direction artistique) avec la Hofesh Shechter Company. Lars Ulrik Mortensen (direction musicale), Concerto Copenhagen. Vendredi 6 janvier 2022 à la Philharmonie de Paris.