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Biennale de danse du Val-de-Marne 2023 – Dominique Bagouet / Marco da Silva Ferreira

Temps fort chorégraphique de ce début de printemps, la 22e Biennale de Danse du Val-de-Marne était attendue après une précédente édition en 2021 qui avait eu lieu en ligne en raison de la pandémie. Durant un mois, la danse a irrigué 25 lieux du département du Val-de-Marne. Parmi les propositions, Necesito, pièce pour Grenade de Dominique Bagouet, reprise par neuf jeunes artistes de l’Ensemble chorégraphique du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, créée à Montpellier Danse en 2022, a constitué un puissant moment de transmission. Autre belle découverte de cette riche édition conçue par Sandra Neuveut, directrice de la Briqueterie, Carcass du chorégraphe portugais Marco da Silva Ferreira. Une pièce sous haute tension qui emporte tout sur son passage par l’intensité de ses interprètes et la force de son propos.

Necesito, pièce pour Grenade de Dominique Bagouet.

Créée en juillet 1991, Necesito, pièce pour Grenade est la dernière œuvre de Dominique Bagouet, décédé en 1992. Une oeuvre basée sur l’improvisation et la liberté des interprètes, conviés à endosser le costume imaginaire de neuf personnages haut en couleurs. Soit au hasard, une reine extatique, un roi en proie au doute, un émir « qui pleure », une infante qui rêve, un torero peureux, une magicienne arabo-andalouse… Des figures qui déploient leur propre partition de manière subtile, dans un décor ocre et bleu inspiré des beautés de l’Alhambra.

Avec leurs tennis blanches, leurs shorts et leurs robes légères, ces jeunes gens ressemblent à une troupe de touristes. Mais à bien regarder leurs micro-gestes, ces clins d’œil qui explosent à tous instants, ces faux touristes sont peut-être des réincarnations dansantes de personnages historiques de cette Grenade fantasmée. Chacun.e semble s’être approprié un morceau de cette histoire qu’ils restituent à tour de rôle. Dans Necesito, pièce pour Grenade, comme dans une cour de récréation, on joue à être quelqu’un d’autre. « On dirait que je serais… » semblent se chuchoter ces interprètes pleins de malice.

Necesito, pièce pour Grenade de Dominique Bagouet.

Reprise par neuf jeunes artistes de l’Ensemble chorégraphique du CNSMDP, sous la conduite par Rita Cioffi, une des interprètes d’origine, cette pièce exhale une heureuse étrangeté qui séduit encore pleinement aujourd’hui. Quand il m’arrive de sortir terriblement frustrée d’un pièce chorégraphique où les interprètes dansent si peu, quel bonheur de redécouvrir cette pièce où la danse est sublimée à ce point ! La composition si fine et si complexe n’a non seulement pas pris une ride, mais elle stupéfie par son exigence et sa rigueur. Sans oublier son humour délicieux. Chaque interprète décrit sa propre trajectoire sans jamais interférer sur celles des autres et sans jamais que cette complexité ne vienne alourdir le déroulé de la pièce. La relation à la musique (rythmes andalous remixés et chant de fontaines) est aussi saisissante.

Parfaite réussite, cette transmission apporte toute la démonstration du besoin (Necesito en espagnol !) de continuer de faire vivre des œuvres majeures du répertoire contemporain. Pour les interprètes comme pour le public. Au-delà d’avoir accueilli ce travail et de s’en être saisis avec beaucoup d’intelligence, ces jeunes danseuses et danseurs en master « Danseur interprète répertoire et création », pas nés à la création de la pièce, repartent profondément nourris de ce kaléidoscope de mouvements. Gageons que cela devrait être une étape importante de leurs parcours respectifs.

Carcass de Marco da Silva Ferreira

Un festival, c’est une multitude de propositions où se côtoient les générations et les personnalités. Âgé de 36 ans, Marco da Silva Ferreira est sans conteste un des artistes chorégraphiques les plus intrigants du moment. Avec Carcass, le chorégraphe portugais déboule avec une pièce très réussie par son propos et par une écriture métissée très personnelle. Carcass, c’est d’abord un casting. Dix personnalités très identifiées, dont le chorégraphe lui-même, qui s’imposent sur la scène avec une crânerie et un brio qui impressionnent. Tous sont incroyables, de André « Speedy »Garcia, avec son bras droit prolongé d’une prothèse à Nala Revlon, enceinte à vue de nez de 5 ou 6 mois, qui ne se ménage en aucune façon. Une fièvre s’est emparée de ces corps en ébullition.

Vêtus de noir au début puis parés de prolongements fluo aux connotations ethniques, les dix interprètes se déplacent sur un carré de linoléum blanc qui circonscrit un terrain de jeu dont ils s’extraient par moment. Chaussés de baskets, ils martèlent le sol avec des mouvements de jambes et de pieds au départ très répétitive. Mais au fur et à mesure, les références affluent. Marco da Silva Ferreira a puisé dans de nombreux registres, les danses folkloriques et traditionnelles angolaises (kuduro) et portugaises mais aussi les danses urbaines, house, krump qu’il fusionne pour produire un cocktail explosif. Dans ce jusque-boutisme, dans cette physicalité exacerbée, on perçoit l’influence d’un Hofesh Shechter dont il a été l’interprète. Mais il prend aussi ses distances pour creuser un sillon original.

Carcass de Marco da Silva Ferreira

Dans sa deuxième partie, qui, pour émettre une toute petite remarque tire un poil en longueur, le propos se fait plus revendicatif. Poings tendus vers le ciel, gorges déployées, corps écartelés, les interprètes crient leur rage ou se bâillonnent avec leurs propres vêtements. Lutter contre le patriarcat, contre toutes les formes de dictatures… « Tous les murs tomberont », écrit l’un d’eux à la bombe fluo sur le linoleum qu’ils ont dressé en calicot revendicatif. On voudrait tellement y croire dans un monde où, au contraire, ils s’érigent de nouveau un peu partout.

Comment se construit-on une identité collective alors que les séparatismes se multiplient ? Comment faire communauté quand tout semble se disloquer ? Sans doute en continuant de se nourrir des différences de chacun dans un mouvement ininterrompu, semble revendiquer le chorégraphe. Le final sur la musique de Scarlatti revisitée à la sauce électro, préfiguration des nouveaux combats à mener, constitue le point culminant de cette pièce à haut potentiel émotionnel. On aimerait que ça ne finisse pas.

Carcass de Marco da Silva Ferreira

Biennale de danse du Val-de-Marne 2023.

Necesito, pièce pour Grenade de Dominique Bagouet. Reconstruction chorégraphique sous la direction de Rita Cioffi. Avec l’Ensemble chorégraphique du Conservatoire : Adam Fontaine, Yingyu Lyu, Suzanne Henry, Lou Chaleix, Lisa Rinsoz, Emma Lois, Tom Guilbaud, Arthur Bordage, Inès de Vilhena. Samedi 18 mars 2023 au Théâtre Claude Debussy de Maisons-Alfort. À voir les 23 et 24 mai à Chaillot-Théâtre national de la danse.

Carcass de Marco da Silva Ferreira. Avec André Garcia, Fabio Krayze, Leo Ramos, Marc Oliveras Casas, Marco da Silva Ferreira, Maria Antunes, Max Makowski, Mélanie Ferreira, Nelson Teunis, Nala Revlon. Mardi 21 mars au Théâtre de Châtillon. À voir les 5 et 6 avril au Maillon à Strasbourg. Du 11 au 13 octobre à la Maison de la Danse de Lyon.

La Biennale de danse du Val-de-Marne se poursuit jusqu’au 6 avril.




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