[Les Nuits de Fourvière 2023] Stéréo Deluxe de Philippe Decouflé
-3, 2, 1… C’est parti pour les festivals d’été ! Le lancement a été fait aux Nuits de Fourvière, qui a démarré le dernier soir de mai avec Philippe Decouflé. Le chorégraphe proposait Stéréo Deluxe, une version augmentée de Stéréo créé l’année dernière à Montpellier Danse. Plus de musiciens sur scène, plus de danseurs et danseuses aussi, des tableaux plus aboutis pour un tout qui sonne comme un shoot d’énergie et de joie communicative de partager la scène. Un hommage aux concerts de rock, qui n’oublie pas de gentiment se moquer des rockeurs, idéal pour démarrer la saison estivale.
Petit retour en arrière, un an plus tôt. Les festivals d’été sonnent comme un nouveau souffle après une saison compliquée post-Covid. La pandémie s’était à peu près fait oublier pendant cette saison, sauf quelques semaines stressantes à Noël. Mais les 18 mois d’arrêt avaient laissé des traces et la saison 2021-2022 eut un goût pesant. Les festivals d’été furent ainsi comme une bouffée d’air frais pour terminer sur une note festive un retour à la normale. Ceux de cette année 2023 ont plutôt la tête d’une échappatoire. Ce printemps fut en effet rythmé par les présentations de saison 2023-2024 ponctuées à de trop nombreuses reprises des termes « Inflation« , « Moins de date » et autres « Risque de fermeture« . La rentrée de septembre s’annonce brumeuse. Mais entre se projeter dans une saison peut-être difficile et profiter des spectacles estivaux, même s’il s’agit un peu de mettre la tête dans le sable, il n’y a pas photo. Les festivals d’été, c’est ce plaisir des créations un peu différentes, ces lieux souvent hors du commun qui (re)deviennent des scènes, cette brise du soir ou ces gouttes de pluie que l’on guette prêt-e à dégainer le poncho.
Il y avait un peu de tout ça dans Stéréo Deluxe de Philippe Decouflé. Le chorégraphe démarrait le 31 mai les Nuits de Fourvière dans le magnifique Grand-Théâtre romain de Lyon, festival qui sonne comme le point de départ des grands rendez-vous de l’été. Il y a eu les gouttes de pluie – 20 minutes à peine, rafraîchissantes après une lourde journée -, l’air frais, un lieu magnifique illuminé et une pièce un peu différente. Stéréo a vu le jour à Montpellier Danse un an plus tôt. L’hommage au rock de Philippe Decouflé sonnait déjà comme un joyeux moment festif. Mais je regrettais à l’époque le mauvais équilibre entre musique et danse. La seconde apparaissait trop souvent comme la simple illustration de la première, les musicien-ne-s en vedette et les danseurs et danseuses presque en figurants. Cette version « Deluxe » gomme les défauts de sa version initiale, resserrant un peu le tout (même si les 1h45 tournent un peu en rond sur la fin), donnant plus de matière aux interprètes et plus de percutant à l’ensemble. Les moyens de production sont aussi présents. De trois musicien-ne-s – Arthur Satàn à la guitare, Louise Decouflé à la basse et Romain Boutin à la batterie – se rajoutent des cuivres – David Lewis à la trompette, Yannick Jory aux saxophones et Philippe Georges au trombone, ainsi que Vincent au clavier. Les performeurs et performeuses passent de cinq à sept, Olivia Lindon et Pierre Boileau rejoignant Baptiste Allaert, Vladimir Duparc, Aurélien Oudot, Violette Wanty et Eléa Ha Minh Tay.
Surtout, chacun et chacune prend plus sa place. Musiciens et danseurs/danseuses – devenant choriste à l’occasion, on est à un concert de rock ou on n’y est pas – forment un ensemble plus équilibré et tous ont la possibilité de s’exprimer pleinement. Gestuelle contemporaine ou circassienne, voguing, hip hop, pointes… Philippe Decouflé s’amuse à piocher un peu partout, se laissant avant tout guider par la musique et l’énergie du rock. Le geste chorégraphique n’est pas en soi des plus poussés. Ce qui compte reste l’ambiance, les personnages, l’énergie, l’humour aussi. Et ses multiples références au rock, que je suis loin d’avoir toutes saisies, ce qui n’empêche en rien d’être emporté par l’énergie euphorisante du spectacle. Baptiste Allaert est toujours savoureux en figure de proue du rockeur – le spectacle ironise avec bienveillance de leurs travers, et c’est savoureux. L’on se plaît aussi à voir la fantastique Eléa Ha Minh Tay, danseuse de hip hop aux multiples facettes, tantôt reine du dancefloor, tantôt créature mystérieuse dans un slow langoureux. C’est aussi la jeune Olivia Lindon qui rejoint la troupe, y apportant toute sa fraîcheur et son allure dégingandée. Danseuse sur Il était une fois Casse-Noisette ce printemps, repérée sur les réseaux sociaux – souvenez-vous de ses capsules hommage au cinéma du confinement ! – elle se glisse dans la peau de la choriste aux nombreux talents.
Sur scène, on fait du air-guitare, on s’empare du micro, on sort ses plus beaux habits de paillettes. On devient un être de la nuit dans ce tableau hypnotique où les danseuses sont aussi bien sur pointes que sur platform shoes des drag queen. Défier l’apesanteur, inventer un nouvel équilibre, devenir une créature mystérieuse : mais ces deux chaussons sont du même combat ! On flirte et on hurle dans son micro, on fait bouger le public et on revient pour un dernier final un peu plus nostalgique. Ce spectacle de Philippe Decouflé ne pouvait pas mieux tomber, et être mieux programmé, qu’en ouverture d’un festival volontairement éclectique. Et où quelques stars de la musique, dont le spectacle rend hommage ou se moque gentiment, seront sur cette même scène quelques jours plus tard. Pas sûr cependant que Stéréo Deluxe passe la rampe avec le même plaisir au cœur de l’hiver sur une scène classique. Mais en ce soir de fin-mai, dans cet amphithéâtre romain, au milieu de 3.000 personnes qui avaient tellement envie de sauter à pieds joints dans l’été et ses festivités, c’était tout simplement parfait.
Festival Les Nuits de Fourvière. Stéréo Deluxe de Philippe Decouflé, avec Violette Wanty, Aurélien Oudot, Eléa Ha Minh Tay, Olivia Lindon, Vladimir Duparc, Pierre Boileau et Baptiste Allaert, et Arthur Satàn (guitare), Louise Decouflé (basse), Romain Boutin (batterie), David Lewis (trompette), Yannick Jory (saxophones), Philippe Georges (trombone) et Vincent Bestaven (clavier). Mercredi 31 mai au Grand-Théâtre de Fourvière. À voir en tournée pendant la saison 2023-2024.
Les Nuits de Fourvière continuent jusqu’au 28 juillet : Benjamin Millepied du 13 au 15 juin, Baro d’evel du 13 au 17 juin, María Pagés les 10 et 11 juillet…