GöteborgsOperans Danskompani – Damien Jalet/Imre et Marne van Opstal
Fidèle à la GöteborgsOperans Danskompani, le Théâtre National de la Danse Chaillot invite de nouveau, en cette fin de saison hors-les-murs, celle qui est l’une des compagnies contemporaines les plus enthousiasmantes d’Europe. Avec un programme en deux parties : Kites de Damien Jalet et To Kingdom Come du duo néerlandais Imre et Marne van Opstal. Une soirée qui séduit autant par la force de ces deux propositions que par la qualité de danseuses et de danseurs exceptionnels qui se plient avec grâce et talent aux exigences esthétiques des chorégraphes. Après le succès de Skid, première pièce qu’il avait créée pour la compagnie, Damien Jalet retrouve pour Kites la même équipe avec une scénographie imposante signée Jim Hodges, alors que Imre et Marne van Opstal flirtent du côté de la danse théâtre dans To Kingdom Come. Avec pour point commun l’extrême virtuosité de la troupe suédoise.
Damien Jalet avait frappé un grand coup pour sa première collaboration avec la GöteborgsOperans Danskompani : Skid (2017), entrée depuis au répertoire du Ballet du Grand Théâtre de Genève. Une oeuvre puissante, extrême, magistrale, qui met la barre très haut. Kites – cerfs-volants en français – peut se voir comme le prolongement de Skid. Là où le chorégraphe avait imaginé un plan incliné géant, il propose ici, avec son scénographe, une structure qui explore également la pente comme une piste de skateboard aux extrémités arrondies. Elle offre aux 15 danseuses et danseurs une promesse de mouvement perpétuel et de dynamique renouvelée. Mais avant cela, c’est au sol et dans la pénombre que débute Kites. Un texte en anglais, qui aurait pu être sur-titré, semble prononcé par une danseuse, allongée. Elle se lève soudainement, avec un entrelacs de torsions du corps dans un geste splendide, parfois acrobatique et totalement maîtrisé. Ce prélude donne le ton de Kites, pièce sur-vitaminée.
Dans leur costume gris et leurs chaussures blanches, les quinze interprètes entament une course folle, surgissant de la coulisse à l’assaut de ce double plan incliné qui forme comme le 8 de l’infini. Parfois, une danseuse, un danseur s’attarde pour un bref solo comme pour redonner de la force au groupe. On repère l’écriture de Damien Jalet, son savoir-faire pour construire des mouvements de groupes organiques, des ondulations ad libitum.
La seconde partie nous fait découvrir le travail d’Imre et Marne van Opstal, encore trop peu vus en France. Ils font partie de cette galaxie de chorégraphes qui, tel Damien Jalet, collaborent régulièrement avec le prestigieux Nederlands Dans Theater. Ils ont aussi travaillé avec la Batsheva Dance Company. On est donc en terrain connu. Mais leur toute dernière et récente création pour la compagnie de Göteborg, To Kingdom Come, donne la mesure de leur talent. Une pièce d’une heure qui, sans être explicitement narrative, parle du traumatisme individuel et collectif en poussant les limites des corps à l’extrême.
L’ouverture de To Kingdom Come semble faire écho à la pièce de Damien Jalet, avec encore une fois une danseuse seule sur scène dans la pénombre et un texte dont on essaye de saisir le sens pour démarrer. Apparaît alors une vaste arène ovale remplie de sable où va se jouer ce combat. Après un plan fixe des douze danseuses et danseurs telle une photo de famille, débute un ballet infernal où les artistes semblent lutter pour leur survie. Le langage stylistique est superbe. Il emprunte évidemment beaucoup à celui de Jiří Kylián qui régna sur le NDT durant de longues années et marqua de son génie l’esthétique contemporaine. Les duos imaginés par Imre et Marne van Opstal virent aux pas de deux riches d’hyper-extensions, de vrilles et d’un travail au sol soigné. La pièce gagnerait probablement en force si elle était resserrée pour éviter quelques redites, mais l’ensemble est enthousiasmant. On espère revoir très vite le travail de ce couple de chorégraphes néerlandais.
De la même manière, on attend la prochaine visite en France de la GöteborgsOperans Danskompani. Sous la direction éclairée de Katrin Hall depuis 2016, la troupe suédoise s’est enrichie d’un répertoire où se côtoie la fine fleur des chorégraphes contemporains. Elle compte dans ses rangs des interprètes exceptionnels capables de se fondre dans des styles et des esthétiques très diverses. Et qui font de cette compagnie aujourd’hui l’une des toutes premières.
Kites de Damien Jalet assisté d’Amilios Arapoglou, avec Ben Behrends, Zander Constant, Miguel Duarte, Sabine Groenendijk, Mai Lisa Guinoo, Janine Koertge, Zenon Zubyk, Elinar Nikkerud, Riley O’Flynn, Christoph von Riedemann, Frida Dam Seidel, Duncan C Schultz, Endre Schumicky, Joseba Yerra Izaguirre et Amanda Akesson ; To Kingdom Come d’Imre et Marne Van opstal, avec Benjamin Behrends, Mei Chen, Nathan Chipps, Viola Esmeralda Grappiolo, Mai Lisa Guinoo, Logan Hernandez, Rachel McNamee, Riley O’Flynn, Auguste Palayer, Duncan C Schultz, Arika Yamada et Zenon Zubyk. Jeudi 7 juin 2023 à la Grande Hallet de la Villette, dans le cadre de la saison Chaillot Nomade. À voir jusqu’au 10 juin.